Didier Ayres, Sommeils
... un souffle autour de rien. Un vol de Dieu. Un vent.
La nuit mortelle est un grand papillon d'ombre
comme la coupe de ton absinthe
en cette haute fenêtre cruciforme.
*
J'ai donc l'hiver pour camarade
un chien de verre où descendent les divinités.
*
Est-ce la caille ivre
que j'ai jeté trois fois dans la nuit salée
ce sanglot de fer qui va en moi comme un orage
où nous fûmes le myosotis
au milieu du printemps et de la mort
alouettes qui prennent les feux
comme ce cerf dans le feuillage oblique
et parmi les grands glaieuls bruns du soir ?
*
Tu appartiens à l'âge bizarre des soleils
aux peupliers de charbon et d'éthanol
dont on boit le vin vert et le chagrin.
*
Pluies et voûtes des oiseaux
première jonquille de tes yeux
le baiser marial de ton baiser
j'ai coupé la chasuble vermillon du matin
ainsi que trois rossignols
où brûle la chambre nue de mes mains.
*
Tu es chaude comme la mer
le printemps qui se précipite en vainqueur.
*
Fleurs de noir cristal
ta poitrine est une épine et un coquelicot de pierre
où nous allâmes magnétiques
pour boire les eaux de la tristesse
comme deux enfants de métal
parmi les bateaux d'herbes hautes des torrents.
*
J'avais le coeur battu hier dans notre sommeil
comme si deux gerfauts avaient dansé au milieu des incendies
et ma prière ce fut toi et ta chevelure
le manteau de parme et la guitare.
*
C'est nuit contre nuit que nous nous sommes trouvés
fraternels dans les lits de fougères
plus brûlés que notre dieu
et fatigués ainsi que l'hiver.
*
Et j'ai connu la gloire des ciels noirs
infinis et comme frappés des épithètes
ainsi que trois flocons et les édelweiss de tes yeux
un grand navire enténébré et brutal
dans nos mains communes.
*
Puis le soleil a pris l'obscurité
dans le lit et les citronniers
par l'absorption de l'absinthe et du sel
car mourir n'est rien sinon une valse jaune
et toi aussi dans la flamme.
*
As-tu vu l'enfer et sa blancheur
comme nous étions dans les vaisseaux
par ce séjour de folle avoine
et le vent coupable de notre orgueil ?
*
Quelle mélancolie avons-nous des âges de midi
où sont les douleurs mystiques
dans le grand occident du ciel ?
*
Nous marchions dans les brûlures
une vive nuit de verre
comme si nous perdions la double inquiétude de notre étoile
une robe opiacée où nous buvions l'angoisse
et le gouvernement indivisible de cet amour.
*
Notre esprit comme un camélia sombre et morbide
partagé en soi dans la maison de noces
est le seul refuge où la nuit ne tombe pas
ni le mystère de l'incandescence et du repos.
*
J'ai notre insomnie
une petite aiguille de vitre
où sont les pensées inverses
et les trois énigmes du jour.
*
Nomme encore le mitan inquiet qui est notre demeure
parce que nous venons comme ensemble et désunis.
26 mars 2013