Dip et ses dessins…
Dip vient de l’enfance. Il parle à l’enfant en chacun de nous. Non pas l’enfant idéal d’un monde bleu et or, mais l’enfant égratigné, celui d’Alice qui court après le lapin et rencontre le sourire du chat, l’enfant qui voit la lune rencontrer le soleil, et les morceaux épars se rassembler en un joyeux désordre.
L’enfant qui entend une parole d’adulte éclaboussée de pluie et la capte pour en faire le miroir de son rêve.
L’enfant qui veut savoir et n’en a ni le droit ni les moyens, qui se heurte au discours des grands et le transforme pour le rendre acceptable entre chien et loup, entre père et mère, entre oiseau et sexe, entre plein et vide…qui cherche à découvrir pourquoi et comment. Pourquoi et comment la forme du ballon et celle du sein, pourquoi et comment le ventre des femmes et les crocs du chien, pourquoi l’impossible liaison du sentiment et de l’image, du mot et des sensations, pourquoi la solitude, et aussi le regard ébloui qui accroche un lambeau du temps, un débris d’histoire interrompue on ne sait comment, on ne saura jamais…
Dip vient de l’enfance et questionne en laissant aller sa liberté, dans un geste de lâcher-prise, loin du cynisme de l’adulte revenu de tout, ou du moralisme de celui qui a oublié qu’il vient d’un ventre, qu’il vient du sperme, qu’il vient d’un non-lieu de mémoire.
Les dessins de Dip viennent de la mémoire du corps, du geste, du récit. Ils viennent de la rencontre.
Et Dip, avec ses dessins, nous invite à la rencontre d’un regard évanoui.
Son trait est une évidence étonnée. Lorsqu’il s’arrondit il semble sourire, lorsqu’il se brise il espère qu’un ballon le rattrapera. Si un nuage traverse la page, un corps s’absente partiellement comme s’absente la pensée lorsque vient l’extase, ou lorsque, soumis à l’effroi ou à l’indicible, l’enfant va puiser dans le geste pour réunir les éclats d’une situation ou les lambeaux d’une relation si instable qu’elle en devient prodigieuse.
C’est avec un trait qui puise à la source de l’innocence contrariée que Dip semble faire bord à la question de l’étrangeté du monde. Alors l’image d’un sexe peut côtoyer la fleur, celle d’une mâchoire aux dents acérées rencontrer le regard ébloui d’un personnage qui pourtant, à une extrémité improbable, se fait dévorer. Alors un oiseau peut apparaitre dans le noir de l’encre qui se répand sur une feuille blanche.
Dip, avec sa liberté jaillissante, autorise l’enfant qui, en nous, désire, exulte et tremble.
Pour Renaud Allirand/ Dip. Avec mon amitié affectueuse