Voici une revue qui  tombe des mains. Je la ramasse. Elle retombe. Je tourne trois pages…Cela devient un jeu. Par où commencer ?

Dis­so­nance est par­faite­ment dérangeante, idéale­ment décalée. Cela  réjouit d’être enfin poé­tique­ment dérangée, sans se laiss­er pour autant recaler en lec­ture. Entre les opus­cules d’un sérieux inex­orable, conçus- rédigés-et-lus par des gens au sérieux  inoxyd­able qui par­ticipent au grand fatras infor­matif et par­fois poé­tique, cette Dis­so­nance là paraît une excep­tion donc un priv­ilège. Ni plus, ni moins. Elle se joue des codes depuis 33 numéros. Il nous faut quand même  appren­dre à la… décoder.  Osons ?

L’édito d’une exem­plaire dis­cré­tion (de Jean-Marc  Flapp, en haut de la page 2)  esquisse et ébauche les inévita­bles dévoile­ments du thème « Nu ». De fait « nu », c’est ni Le nu, ni La nudité, mais la lib­erté du sty­lo. Atten­tion de ne pas le con­fon­dre avec  les thèmes proches précédem­ment choi­sis — comme Le vide et La peau… Nu, c’est nu,  l’état brut de l’art et de la chair. Pas nunuche du tout !  Dans ce bazar – le mot  qui n’est pas méprisant  en révèle la richesse con­tenue —  du nu de hasard, on trou­vera du cul sous forme l’ « haÏcul » (Marc Benet­to) ; on trou­vera de  la mise à nu par deux auteures dont l’une (Béa­trice Machet)  désha­bille car­ré­ment  l’alphabet, tan­dis que l’autre (Ingrid S. Kim) effeuille, elle, la langue (et ses « mots-tap­ins en résille ») ; on trou­vera aus­si du vieux sous forme de « encore belle » (toi­let­tage de vieille dame de la mar­quise de Carabas) ; on trou­vera…. Qui dit mieux ?

Dissonances, Nu, Eté 2017, revue pluridisciplinaire à but non objectif, 5€.

Dis­so­nances, Nu, Eté 2017, revue pluridis­ci­plinaire à but non objec­tif, 5€.

Ain­si donc, une porte d’entrée s’est ouverte à ce foutu « Nu » qui ne l’est en rien, car il est fait de  sur­pris­es essaimant de rubrique en rubrique. Des sur­pris­es rangées selon deux par­ties (créa­tion et cri­tique), dont la pre­mière pos­sède une apothéose créa­tive (la carte blanche), tan­dis que la sec­onde accouche de qua­tre sous-par­ties cri­tiques (dis­sec­tion, dis­jonc­tion, dis­si­dences, digres­sion). Des sur­pris­es qui  ne peu­vent pas ne pas en être : le pro­jet édi­to­r­i­al mar­que une volon­té démoc­ra­tique basée sur l’idée que « tous les auteurs ont la même chance de se faire pub­li­er ». Pour ce faire et pour obtenir le pré­cieux visa de pub­li­ca­tion, les textes reçus sont  pure­ment et sim­ple­ment « anonymés » quels qu’ils soient (issus de col­lab­o­ra­teurs ou d’auteurs autres) avant d’être sélec­tion­nés par l’équipe éditoriale.

La  dis­sec­tion dis­so­nante — presque ento­mologique — a choisi le poète Philippe Jaf­feux (pas le délégué phar­ma­ceu­tique, son dou­ble ?,  qui plas­tronne  sur Inter­net).  Il faut bien s’arrêter quelque part, être injuste en piochant dans un ouvrage col­lec­tif, en rai­son des lim­ites de toute lec­ture ou la fini­tude d’une recen­sion-notule-cri­tique de livre. C’est lui que je choi­sis parce qu’il a  choisi  pour épi­taphe un point d’exclamation ( ?), parce qu’il appré­cie les « ques­tions sans réponse » et que toute ques­tion – juste­ment – con­tient déjà sa pro­pre réponse (dont  la ques­tion cru­ciale «  Qu’est-ce que la poésie ? » et – enfin – parce qu’il attend des autres qu’ils ne soient plus « des autres ».  Sa pho­to – est-ce lui ? — en gamin per­plexe n’a même  pas de besoin d’être légendée (« petit ») car il n’a rien d’un vieil­lard cacochyme.

La dis­jonc­tion (cri­tique) est para­doxale­ment une con­jonc­tion (aye, tant pis) :  un haro en qua­tre temps qui tombe sur le pale­tot du sieur Michel Houellebecq.

La dis­per­sion pro­pose un flopée de cita­tions tous azimuts qui s’égarent : à  nu dans les nues, sur une dou­ble page,  de Quig­nard à Bar­ri­co en pas­sant par Fou­cault et en venant de…. Musset.

Tiens, la dis­tinc­tion, à ne pas oubli­er : les élus pub­liés dans la revue peu­vent, par ric­o­chet, élire un film, un disque et un livre de leur choix. Mon élu  à moi sera Lam­bert Schlechter (Mon­taigne-Truf­faut-Glenn Gould) !

Ques­tion dis­tri­b­u­tion, la revue Dis­so­nance donne au lecteur et à la lec­trice une envie : se ren­dre au bistrot La route du sel qui, à Ingrandes- sur-Loire, la pro­pose en vente.

Quelques ques­tions néan­moins (la mal­adie de la philosophe) ? « ?? » Je case déjà mes deux points d’interrogation, à l’espagnole. Ques­tion 1. Est-ce par ce qu’un des écrits qui com­mence  chaque alinéa par des points de sus­pen­sion mis de sur­croît entre par­en­thès­es  dépasse la con­trainte  de 9 000 signes? Ou l’auteur Hen­ri Clerc  a‑t-il  sim­ple­ment pro­posé un texte  pourvu de cette logique der­ri­di­enne ? Ques­tion 2. L’œuvre de Lau­re Mis­sir, Madame Image, con­cré­tise-t-elle les phan­tasmes de Ducasse Isodore, à savoir la ren­con­tre for­tu­ite sur une table à dis­sec­tion d’une machine à coudre et d’un para­pluie ? Celle qui fait « dérailler le déjà vu », fera-t-elle désor­mais dérailler le déjà nu ?

Bref, toute la revue est un appel du pied expéri­men­tal, rédigé par­fois sur une vieille Rem­ing­ton (typo) que cer­tains auteurs d’époque (lesquels ? il y en a tant) n’auraient  pas renié. Bref  (autre bref plus bref), cette revue non con­forme est du vrai poil à grat­ter et ça me plaît.

 

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Jane Hervé

Jour­nal­iste aux Nou­velles Lit­téraires, auteure de La femme de lune (édi­tions Gal­li­mard), Née du chaos, et Le soleil ivre  (édi­tions du Guet­teur). Co-auteure de  La femme tatouée et de Neige d’amour avec le pein­tre Michel Jul­liard et co-auteure de pièces de théâtre : La légende de Guritha, femme viking et de Guritha, le retour avec Danièle Saint-Bois. janeherve@free.fr — voir aus­si : http://leguedelange.over-blog.com/