Voici une revue qui tombe des mains. Je la ramasse. Elle retombe. Je tourne trois pages…Cela devient un jeu. Par où commencer ?
Dissonance est parfaitement dérangeante, idéalement décalée. Cela réjouit d’être enfin poétiquement dérangée, sans se laisser pour autant recaler en lecture. Entre les opuscules d’un sérieux inexorable, conçus- rédigés-et-lus par des gens au sérieux inoxydable qui participent au grand fatras informatif et parfois poétique, cette Dissonance là paraît une exception donc un privilège. Ni plus, ni moins. Elle se joue des codes depuis 33 numéros. Il nous faut quand même apprendre à la… décoder. Osons ?
L’édito d’une exemplaire discrétion (de Jean-Marc Flapp, en haut de la page 2) esquisse et ébauche les inévitables dévoilements du thème « Nu ». De fait « nu », c’est ni Le nu, ni La nudité, mais la liberté du stylo. Attention de ne pas le confondre avec les thèmes proches précédemment choisis — comme Le vide et La peau… Nu, c’est nu, l’état brut de l’art et de la chair. Pas nunuche du tout ! Dans ce bazar – le mot qui n’est pas méprisant en révèle la richesse contenue — du nu de hasard, on trouvera du cul sous forme l’ « haÏcul » (Marc Benetto) ; on trouvera de la mise à nu par deux auteures dont l’une (Béatrice Machet) déshabille carrément l’alphabet, tandis que l’autre (Ingrid S. Kim) effeuille, elle, la langue (et ses « mots-tapins en résille ») ; on trouvera aussi du vieux sous forme de « encore belle » (toilettage de vieille dame de la marquise de Carabas) ; on trouvera…. Qui dit mieux ?
Ainsi donc, une porte d’entrée s’est ouverte à ce foutu « Nu » qui ne l’est en rien, car il est fait de surprises essaimant de rubrique en rubrique. Des surprises rangées selon deux parties (création et critique), dont la première possède une apothéose créative (la carte blanche), tandis que la seconde accouche de quatre sous-parties critiques (dissection, disjonction, dissidences, digression). Des surprises qui ne peuvent pas ne pas en être : le projet éditorial marque une volonté démocratique basée sur l’idée que « tous les auteurs ont la même chance de se faire publier ». Pour ce faire et pour obtenir le précieux visa de publication, les textes reçus sont purement et simplement « anonymés » quels qu’ils soient (issus de collaborateurs ou d’auteurs autres) avant d’être sélectionnés par l’équipe éditoriale.
La dissection dissonante — presque entomologique — a choisi le poète Philippe Jaffeux (pas le délégué pharmaceutique, son double ?, qui plastronne sur Internet). Il faut bien s’arrêter quelque part, être injuste en piochant dans un ouvrage collectif, en raison des limites de toute lecture ou la finitude d’une recension-notule-critique de livre. C’est lui que je choisis parce qu’il a choisi pour épitaphe un point d’exclamation ( ?), parce qu’il apprécie les « questions sans réponse » et que toute question – justement – contient déjà sa propre réponse (dont la question cruciale « Qu’est-ce que la poésie ? » et – enfin – parce qu’il attend des autres qu’ils ne soient plus « des autres ». Sa photo – est-ce lui ? — en gamin perplexe n’a même pas de besoin d’être légendée (« petit ») car il n’a rien d’un vieillard cacochyme.
La disjonction (critique) est paradoxalement une conjonction (aye, tant pis) : un haro en quatre temps qui tombe sur le paletot du sieur Michel Houellebecq.
La dispersion propose un flopée de citations tous azimuts qui s’égarent : à nu dans les nues, sur une double page, de Quignard à Barrico en passant par Foucault et en venant de…. Musset.
Tiens, la distinction, à ne pas oublier : les élus publiés dans la revue peuvent, par ricochet, élire un film, un disque et un livre de leur choix. Mon élu à moi sera Lambert Schlechter (Montaigne-Truffaut-Glenn Gould) !
Question distribution, la revue Dissonance donne au lecteur et à la lectrice une envie : se rendre au bistrot La route du sel qui, à Ingrandes- sur-Loire, la propose en vente.
Quelques questions néanmoins (la maladie de la philosophe) ? « ?? » Je case déjà mes deux points d’interrogation, à l’espagnole. Question 1. Est-ce par ce qu’un des écrits qui commence chaque alinéa par des points de suspension mis de surcroît entre parenthèses dépasse la contrainte de 9 000 signes? Ou l’auteur Henri Clerc a‑t-il simplement proposé un texte pourvu de cette logique derridienne ? Question 2. L’œuvre de Laure Missir, Madame Image, concrétise-t-elle les phantasmes de Ducasse Isodore, à savoir la rencontre fortuite sur une table à dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie ? Celle qui fait « dérailler le déjà vu », fera-t-elle désormais dérailler le déjà nu ?
Bref, toute la revue est un appel du pied expérimental, rédigé parfois sur une vieille Remington (typo) que certains auteurs d’époque (lesquels ? il y en a tant) n’auraient pas renié. Bref (autre bref plus bref), cette revue non conforme est du vrai poil à gratter et ça me plaît.
- Revue Dissonances n°42, mai 2022 - 6 juillet 2023
- Revue Dissonances n°42, mai 2022 - 5 septembre 2022
- Christine de Pizan, Cent ballades d’amant et de dame - 6 juillet 2022
- La revue Florilèges n°187 - 28 juin 2022
- Armand Dupuy, Selfie lent - 28 décembre 2021
- Gilbert Lascault, Petite tétralogie du fallacieux - 6 octobre 2021
- Marie Etienne, Antoine Vitez et la poésie, La part cachée - 6 mai 2021
- L’Intranquille 19, revue de littérature - 21 février 2021
- Florilège, revue trimestrielle, n°174 - 6 février 2021
- DISSONANCES, Feux, n°38 - 5 janvier 2021
- Barry Wallenstein, Tony’s blues - 5 janvier 2021
- Luminitza C. Tigirlas, Noyer au rêve, Avec Lucian Blaga, Poète de l’autre mémoire, Fileuse de l’invisible, Marina Tsvetaeva - 6 octobre 2020
- Verso n°179, Ici & ailleurs - 6 septembre 2020
- Aragon, La grande Gaîté suivi de Tout ne finit pas par des chansons - 6 mai 2020
- Albertine Benedetto, Vider les lieux - 21 avril 2020
- Clara Régy, Ourlets II - 5 février 2020
- Christine Durif-Bruckert, Le corps des pierres - 20 décembre 2019
- Louise de Coligny-Châtillon dite Lou, Lettres à Guillaume Apollinaire - 19 novembre 2019
- Christine de Pizan, Cent ballades d’amant et de dame - 6 novembre 2019
- Cairns 25, Murs, portes ou ponts - 6 novembre 2019
- Estelle Fenzy, La Minute bleue de l’aube - 14 octobre 2019
- Philippe Jaffeux, 26 tours - 25 septembre 2019
- Patrick Pécherot, Lettre à B - 1 septembre 2019
- Wislawa Szymborska, de la mort sans exagérer - 4 juin 2019
- Fil autour de Catherine Gil Alcala, Serge Pey, Olivier Domerg - 4 mai 2019
- Christine Durif-Bruckert , Arbre au vent, Joseph Thermac, Du sublime moderne - 3 février 2019
- Jean-Claude Pirotte et Didier Cros, les livres bilingues pour la jeunesse : Maya Angelou, Carson McCullers - 4 janvier 2019
- Xhevahir Spahiu, Urgences — Urgjenca - 5 novembre 2018
- Constance Chlore, L’Alphabet plutôt que rien - 4 septembre 2018
- Patrick Chamoiseau, L’Empreinte à Crusoé, La Matière de l’absence - 6 juillet 2018
- Jean Fanchette, L’île équinoxe - 5 juillet 2018
- Revue TXT 32 : le retour - 3 juin 2018
- Roland Dubillard : Je dirai que je suis tombé, suivi de La boîte à outils - 5 mai 2018
- Christian Bobin, L’homme-joie - 5 mai 2018
- Écritures féminines : découvertes de Claire Dumay, Doina Ioanid, Marcelline Roux - 6 avril 2018
- André Velter, N’importe où - 1 mars 2018
- Ecritures féminines : découvertes - 1 mars 2018
- Carole Carcillo Mesrobian et Jean Attali, Le sursis en conséquence - 26 janvier 2018
- Les carnets d’Eucharis, La Traverse du tigre, hors série - 26 janvier 2018
- Baptiste Pizzinat, Les mots rouges - 26 janvier 2018
- Bernard Fournier, Lire les rivières, précédé de La rivière des parfums - 22 novembre 2017
- Robert Desnos, Nouvelles Hébrides suivi de Dada-surréalisme 1927 - 22 novembre 2017
- Jacques Demarcq, Suite Apollinaire - 22 novembre 2017
- Jacques Demarcq, d’ubu fait dure loupe - 22 novembre 2017
- Les cahiers du sens, 2017, n° 27 - 11 octobre 2017
- Le Journal des poètes 2, 2017, 86e année - 11 octobre 2017
- Dissonances – Le Nu - 30 septembre 2017
- Fil de lecture autour de Marilyne Bertoncini, Denis Emorine et Jasna Samic - 29 mai 2017