Dominique Malardé et Jigmé Thrinlé Gyatso, À l’estuaire du monde, Arcanes et arabesques de l’état naturel 

Par |2018-01-22T16:43:28+01:00 26 janvier 2018|Catégories : Dominique Malardé, Essais & Chroniques, Jigmé Thrinlé Gyatso|

Alors que je me trou­ve ici et main­tenant dans cet ermitage vendéen qui ressem­ble plus à un bun­ga­low de vacances à l’extérieur, à une bib­lio­thèque d’écrivain autour du bureau et à un tem­ple près de l’estrade de médi­ta­tion je peux dire que mon tra­vail poé­tique découle naturelle­ment de la médi­ta­tion et qu’il y par­ticipe à la fois. La poésie sem­ble découler naturelle­ment du silence de la médi­ta­tion tout autant qu’elle sem­ble le nourrir. 

En vérité je vous l’écris : 
la vraie poésie 
ne nous met pas la tête dans les nuages 
ni sous l’encre des mots, 
elle nous remet le cœur à l’endroit
et le rem­plit d’espace.
Et quand il y a de l’espace
l’amour peut naître et croître. 

… 

De l’espace 
et des espaces de silence. 
Du silence 
entre les mots, les vers, 
les idées, les vérités.

Car les idées lumineuses 
ont besoin d’espace
pour rayonner. 
Les mots vrais ont besoin 
de silence 
pour résonner. 
Le cœur a besoin 
d’amour
pour s’ouvrir.
La sagesse a besoin 
du réel 
pour s’épanouir. »
Jig­mé Thrin­lé Gyat­so 1L’oiseau rouge et autres écrits, L’Astronome, Thonon-les-Bains, 2012, p. 107–108.

Dominique Malardé et Jigmé Thrinlé Gyatso, À l’estuaire du monde, arcanes et arabesques de l’état naturel, éditions Dongola, 2017, livre d’art.

Dominique Malardé et Jig­mé Thrin­lé Gyat­so, À l’estuaire du monde, arcanes et arabesques de l’état naturel, édi­tions Don­go­la, 2017, livre d’art.

Réel et poésie : une his­toire d’amour. Com­mençons par le réel et la poésie. « C’est seule­ment avec la fin des mots qu’on accède vrai­ment au Réel dans la non-dual­ité ! » 2Soû­tra de la Lib­erté incon­cev­able, Les enseigne­ments de Vimalakîr­ti, tra­duc­tion de Patrick Car­ré, Fayard, col­lec­tion Tré­sors du boud­dhisme, Paris, 2000, p. 141–142.

Je suis per­suadé que la poésie peut per­me­t­tre d’exprimer, si ce n’est une réal­i­sa­tion, du moins une per­cep­tion directe du réel et qu’elle peut, par là même, désarçon­ner les con­cepts dual­istes. Saint-John Perse, dans son dis­cours de récep­tion du prix Nobel de lit­téra­ture a dit et écrit 3Saint-John Perse dans : Les Prix Nobel en 1960, Göran Lil­jes­trand, Nobel Fon­da­tion, Stock­holm, 1961. : « Si la poésie n’est pas, comme on l’a dit, “le réel absolu”, elle en est bien la plus proche con­voitise et la plus proche appréhen­sion, à cette lim­ite extrême de com­plic­ité où le réel dans le poème sem­ble s’informer lui-même. »

Ken­neth White va dans ce sens égale­ment lorsqu’il écrit : « Et la pen­sée, à ses lim­ites, devient poésie » 4Ken­neth White, La fig­ure du dehors, Gras­set, Paris, 1982, p. 229, réédi­tion chez Le mot et le reste, 2014.. C’est une des raisons qui me pousse à con­tin­uer à écrire de la poésie.

L’écriture poé­tique et spir­ituelle est aus­si pour moi j’espère sans pré­ten­tion de ma part un moyen pour favoris­er le rap­proche­ment entre la cul­ture de mon pays et ma voie spir­ituelle en tant que moine boud­dhiste. Cette approche ressem­ble à un chemin de tra­verse, et ce chemin est assez ingrat. Car les boud­dhistes, pour la plu­part, ne s’y intéressent guère, et les intel­lectuels, écrivains, édi­teurs et médias français, pour la plu­part, préfèrent rester dans leur entre-soi, sans con­sid­éra­tion pour ce genre tra­vail ni pour ceux qui osent s’y adon­ner… Il faut donc sans doute beau­coup de folie et peut-être un peu de sagesse pour écrire de la poésie spir­ituelle aujourd’hui ! C’est Edgar Morin qui écrit : « L’état poé­tique nous trans­porte 5Edgar Morin, Amour poésie sagesse, Seuil, 1997, p. 10. à tra­vers folie et sagesse au-delà de la folie et de la sagesse. »

Le livre d’art À l’estuaire du monde s’inscrit totale­ment dans cette démarche d’approche du réel au-delà de la dual­ité et dans ce chemin de tra­verse par rap­port à “boud­dhisme et cul­ture occi­den­tale”. En cela, le tra­vail artis­tique de Dominique Malardé m’a beau­coup inspiré. C’est d’ailleurs la pre­mière fois que j’écris d’après des pein­tures, et j’ai pen­sé au début que ce serait dif­fi­cile, d’autant qu’il était hors de ques­tion que j’écrive de manière didac­tique sur ses œuvres. Mais finale­ment, il m’a suf­fi de les con­tem­pler pour que l’écriture poé­tique jail­lisse naturelle­ment, avec force et beauté. Le moine n’est cepen­dant pas dupe quant au car­ac­tère illu­soire de la beauté et à l’attachement qu’elle peut sus­citer. Sur ce point, le poète et le moine sont en accord par­fait avec cette phrase de Ryokan Taïgu (Japon, 1758–1830) (qui « met en garde con­tre “tout pro­pos qui sent le pédant, qui sent l’esthète, qui sent le religieux, qui sent le maître de thé”. Il déteste trois choses : “la poésie de poète, la cal­ligra­phie de cal­ligraphe et la cui­sine de cuisinier”. ») :

Qui dit que mes poèmes sont des poèmes ? 
mes poèmes ne sont pas des poèmes 
si vous com­prenez que mes poèmes ne sont pas des poèmes, 
alors nous pour­rons par­ler poésie. » 6Ryokan, Le moine fou est de retour, tra­duc­tion de Cheng Win Fun et Hervé Col­let, Moundarren,Millemont, 2009, p. 19.

Il en va de même de la pein­ture et de l’attitude de Dominique Malardé : sa pein­ture n’est pas de la pein­ture et c’est pour cela qu’elle a pu m’inspirer ! Du cœur de cette com­préhen­sion et de cette expéri­ence sim­ples et pro­fondes à la fois, nais­sent inévitable­ment l’amour, la com­pas­sion et la bon­té. C’est donc aus­si par amour pour les autres que l’on écrit de la poésie et que l’on peint, dans la joie de partager ce qui est com­mun à chaque indi­vidu mais qui pour­tant demeure ineffable.

Chris­t­ian Bobin m’avait gen­ti­ment encour­agé dans ce sens à la sor­tie de mon livre L’oiseau rouge et autres écrits 7J. T. G., op. cit. cf. note 4. : « Il y a tou­jours dans un livre un mot pour sauver quelqu’un. Je souhaite à votre bel Oiseau rouge de vol­er jusqu’à ce lecteur. Je vous souhaite de pour­suiv­re ce tra­vail sans fin qu’est celui de l’écriture. »

 

Sarah Chalabi et les éditions Dongola

 À l’Estuaire du monde est la pre­mière pub­li­ca­tion des édi­tions Don­go­la (www.dongola.com) basées au Liban.

Sous forme d’un livre d’art bilingue français-anglais (traduit par Véronique Gira), en édi­tion lim­itée de 121 tirages, le livre aspire à refléter une expéri­ence de lec­ture : les 14 poèmes et les œuvres d’art asso­ciés sont imprimés sur papi­er d’archivage, en folios non reliés, dans une boîte de présen­ta­tion toilée.

Don­go­la est une mai­son d’édition dédiée au tra­vail de créa­tion et de col­lab­o­ra­tion entre un auteur et un artiste, entre le mot et l’image, entre l’idée et le pro­duit fini. En recher­chant le lien et l’union plutôt que la divi­sion, Don­go­la rejoint le poète et l’artiste dans leur vision du monde et sa globalité.

« Don­go­la », une anci­enne ville au nord du Soudan, était un cen­tre de la civil­i­sa­tion nubi­enne au Moyen Âge. Ce choix pour une mai­son d’édition ren­voie au loin­tain et au tra­di­tion­nel ain­si qu’à l’inattendu et l’exploration.

Présentation de l’auteur

Dominique Malardé

Dominique voy­age à tra­vers le monde depuis l’âge de 20 ans, avec pour tout bagage des car­nets, des pinceaux, des couleurs et une inten­tion : « Met­tre de la couleur dans le monde ». Riche de ces décou­vertes et expéri­men­ta­tions artis­tiques, son tra­vail, d’une grande var­iété cul­turelle, explore de nom­breux médias – pein­ture, sculp­ture, céramique, col­lage, instal­la­tions – et se partage dans la pra­tique de l’art-thérapie. Sa plus belle aven­ture : la décou­verte et l’exploration de son monde intérieur…

Dominique Malardé - © Photo Le télégramme

© Pho­to Le Télégramme

  • Dominique Malardé et Jig­mé Thrin­lé Gyat­so, À l’estuaire du monde, arcanes et arabesques de l’état naturel, édi­tions Don­go­la, 2017, livre d’art.

Autres lec­tures

image_pdfimage_print
mm

Jigmé Thrinlé Gyatso

Moine boud­dhiste depuis 1987 et poète français, Lama Jig­mé Thrin­lé Gyat­so a vécu 14 ans en com­mu­nauté à Druk­pa Plouray puis 14 ans en retraite soli­taire en Bre­tagne, en Savoie et au Népal. Con­tin­u­ant sa vie d’ermite et de poète dans sa Vendée natale, il partage aus­si son expéri­ence spir­ituelle lors de séances ou de retraites de médi­ta­tion col­lec­tives et lors de con­férences en France et en Europe, et est aus­si invité en tant que poète (Insti­tut d’études boud­dhiques de Paris, Alliance française et lycée épis­co­pal de Brno en Tchéquie, fes­ti­val de la poésie à Pristi­na au Kosovo).

Il est mem­bre de la Société des écrivains de Vendée, de la Société des gens de let­tres, de la Mai­son des écrivains et de la lit­téra­ture et de l’association Écri­t­ures et spiritualités.

Notes[+]

Sommaires

Aller en haut