Dominique Sampiero & Joël Leick, L’Autre moitié de ton corps

Par |2021-04-06T12:47:16+02:00 6 avril 2021|Catégories : Dominique Sampiero|

La poésie, qu’est-ce que c’est ? Cer­tains sem­blent le savoir, qui la font alors dis­paraître  comme l’in­no­cence sous le poids acca­blant des cer­ti­tudes. Parce que la poésie est ce qui s’échappe, est ce qui reste hors de toute parole. Alors com­ment évo­quer ce recueil de Dominique Sampiero, L’autre moitié de ton corps ? Je ne sais pas. C’est La Poésie qui est là dans ces quelques pages si dens­es, abouties parce que jamais ailleurs que là, dans  l’im­ma­nence jail­lis­sante  des mots avec les mots. Rares sont les poètes.

Arbre, juste avant d’être moi dans le feuil­lage de mes veines, quel lan­gage as-tu appris, debout entre ciel et terre, de quelle mémoire as-tu dévoré les oiseaux posés sur toi, puis les mains, le cœur du voyageur, de quel élan entre l’i­ci et le loin­tain t’es-tu gorgé, don­nant au mou­ve­ment de tes branch­es un direc­tion vers la lumière qui tou­jours se retire ?

 

Dominique Sampiero & Joël Leick, L’Autre moitié de ton corps, Al Man­ar, Poésie, 2019, 67 pages, 16 euros.

Livre poème en prose, celui de l’homme face à l’im­men­sité d’ex­is­ter. Livre du voy­age intérieur, de l’ac­cueil de ce qui tra­verse la peau, l’âme, dans l’en­tièreté de la pos­ture d’être humain. L’écri­t­ure ond­ule comme un son cos­mique, un chant de la forêt, là où tout recom­mence sans jamais cesser.

L’ar­bre est une présence retrou­vée entre le nuage et l’om­bre de la mon­tagne. Ses larmes attachent le ciel et la terre par des lianes aux longs cils bruns cou­verts de nuit et de promess­es. Ses larmes attachent le ciel pour qu’il ne dévore pas la terre. Dans son écorce on entend criss­er la sève des prophéties, des grince­ments de légen­des, des prières imprononçables. Dans son écorce on meurt et on guérit. On tra­verse toutes les parois de toutes nos peurs. On com­prend que la vie et la mort se touchent dans l’im­prononçable de leurs racines.

Là dans le corps, dans le souf­fle, dans le feuil­lage où tout s’at­tache et se délite, est le poète. Sa matière est celle-ci, et celle du poème, con­fon­dues dans le tracé des lignes de ce livre qu’ac­com­pa­g­nent des col­lages de Joël Leick. Ce texte écrit en novem­bre 2016 “à la Réu­nion entre Saint-Pierre, Saint-Denis, La Riv­ière, Saint Leu, Saint Philippe, L’en­tre Deux et Cia­los” est un instant d’in­fi­ni présent qui se dévoile peu à peu comme un papi­er japon­ais plongé dans l’eau, grâce à l’écriture.

Ce n’est plus moi qui écrit ces phras­es posées comme des amulettes sur le gouf­fre de vivre. Aucune diver­sion n’est pos­si­ble. Ce qui remue dans le texte com­prend ce que voudrait dire la lumière.

Dans la case où le poète s’éveille, se réveille, laisse les images le tra­vers­er, comme un nom qui s’ef­face au prof­it d’une dis­pari­tion dans la tex­ture de l’ar­bre, dans le bleu qui entoure l’île, le velouté du sable, la femme, les gouf­fres et les aspérités, le tout insé­ca­ble de ce qui se présente plus loin que la con­science, sur cette île qui est la pays de la femme aimée,  le poème s’écrit, con­sti­tué de cette mosaïque qu’est la matière de la vie, de toute vie.

Puis mes pieds man­gent les traces d’une femme sur le sable, j’en­fonce mes orteils sur les siens, j’ap­puie ma voûte sur le creux de son pas­sage, le mou­ve­ment de sa chair remonte douce­ment le long de mes jambes, de mes mus­cles, dévore mon sang, mes nerfs, elle me pos­sède et je mange cet ani­ma mot à mot, ma vie crève alors comme un abcès, j’en­tre dans le roy­aume lumineux de l’île, mon âme est une noix de coco tombée dans la chair blanche du livre.

A la ren­con­tre entre la moitié du corps qui regarde et celle qui est absorbée par exis­ter, là est le poème.

D’autres vérités accourent dans cette union men­tale, char­nelle et ce n’est pas moi qui par­le, mais le fruit de cette rencontre.

Mais de quelles vérités s’ag­it-il ? Cer­taine­ment de celles dont on ne peut pas par­ler, mais que seule la poésie peut ten­ter de laiss­er affleur­er, la ren­con­tre entre soi et l’autre moitié de son corps, qui est le monde,  l’u­nion du vis­age et de son efface­ment, parce qu’il porte alors celui de l’ar­bre, de l’île, de la femme aimée à qui est dédi­cacé ce recueil, du sable, de la lumière.

L’ex­tase cherche la langue natale des entrailles pour nous appren­dre à traverser.

C’est de l’autre moitié de notre corps que vient le silence, l’é­va­sion dans le regard, puis à tra­vers, jusqu’à l’in­cor­po­ra­tion du monde. Là est le fer­ment du poème. Rares sont les poètes. Ce livre est ceci,  le témoignage d’un chemin par­cou­ru entre soi et le monde, vers la poésie, et vers aimer, qui n’est rien d’autre que ceci. 

Présentation de l’auteur

Dominique Sampiero

Dominique Sampiero est né dans l’Avesnois, région de prairie, de forêt, de bocage du Nord de la France, l’hiver où l’abbé Pierre lance son appel pour les sans-logis, quelques jours après la mort de Matisse et le même mois que la démis­sion de Mar­guerite Duras du Par­ti Communiste.

Insti­tu­teur et directeur en école mater­nelle à par­tir de 1970 et pen­dant une ving­taine d’années, mil­i­tant des péd­a­go­gies Freinet, Montes­sori, Rudolph Stein­er et de la pen­sée human­iste de Françoise Dolto, il démis­sionne de l’Education nationale en 2000 pour se con­sacr­er entière­ment à l’écriture.

Poète (Prix Gan­zo 2014 pour La vie est chaude, édi­tions Bruno Doucey et pour l’ensemble de son œuvre), romanci­er (Le rebu­tant, Gal­li­mard, prix du roman Pop­uliste 2003), auteur de livres jeuness­es (P’tite mère, Prix sor­cière 2004) mais aus­si scé­nar­iste (Ça com­mence aujourd’hui, Prix inter­na­tion­al de la cri­tique à Berlin, et Holy Lola, deux films réal­isés par Bertrand Tav­ernier) auteur de théâtre (Tchat­Land / Le bleu est au fond) et réal­isa­teur de courts métrages (La dormeuse / On est méchant avec ceux qu’on aime), il reste pro­fondé­ment attaché à sa région natale et une grande par­tie de son écri­t­ure par­le de la lumière des paysages et des vies minus­cules en lutte avec leur pro­pre silence et l’oubli.

Son dernier roman Le sen­ti­ment de l’inachevé paru en Avril 2016 chez Gal­li­mard est une plongée dans l’enfance à tra­vers laque­lle il racon­te une his­toire d’amour qui lais­sera une empreinte forte dans son élan vers l’écriture. La petite fille qui a per­du sa langue (Gal­li­mard jeunesse Giboulées. Illus­tra­tions Bruno Liance ) a été écrit avec des enfants en dif­fi­culté sco­laire. Les édi­tions de la Rumeur Libre ont pub­lié le pre­mier tome de l’ensemble de ses textes poétiques.

Pho­to de Jacques Van Roy.

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.

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