Dorianne Laux, Ce que nous portons

 

Ce que nous portons ? De la nostalgie, des regrets, des envies, des parfums de bonheur, des chagrins enfouis… « Quelque soit le chagrin, son poids/nous sommes obligés de le porter ». Il faut lire Dorianne Laux  pour s’en convaincre  - s’il en était besoin.

L’auteure américaine (Caroline du Nord) nous livre des tranches de vie à l’état brut dans un recueil de poésie aux allures de journal intime. Ses textes, pétris de sensibilité et  de sensualité, nous arrivent en pleine figure.  Bruts de décoffrage, comme l’on dit. Peu ou pas de recherches formelles dans les poèmes qu’elle nous livre ici en pâture. On croit lire de la prose mais, en réalité, on en est assez loin. Car sous les faits  les plus anodins qu’elle nous relate, elle fait surgir cette part d’imaginaire  qui transporte le lecteur ailleurs. « Le vrai mystère du monde est le visible », disait Oscar Wilde que Dorianne Laux cite en exergue de l’un de ses poèmes.

C’est bien ce visible que le poète remet sans cesses sur le métier. Il peut prendre les couleurs d’une station-service, d’un arrêt de bus, d’un bar loin du monde, d’une rue passante… Nous sommes, ici, de plain pied dans le vrai monde. Dans la « vraie vie », souvent celle de notre corps et de nos désirs. Celle, aussi,  de nos angoisses foncières. « Si on me donnait les cendres de mon père/qu’en ferais-je ? » s’interroge Dorianne Laux revenant de la crémation du père d’un ami.

De sa famille et l’enfant qu’elle fut, il est aussi beaucoup question. « J’ai douze ans, deux pièces d’argent chantent/dans le creux de ma paume ». De sa mère aimante, elle dresse un portrait touchant. « Ma mère cuisinait avec du lard qu’elle conservait/dans des boîtes de café sous l’évier de la cuisine ». Cette mère jouait aussi du piano. « Mon enfance fut illuminée de mots tels que arpeggio/ses doigts glissant de la touche noire d’un dièse/à celle, blanche, d’une note ordinaire ».

La petite musique qu’entonne Dorianne Laux est aussi  -et beaucoup – celle de la vie amoureuse. « Dans la pièce où nous nous sommes allongés, la lumière/projette des tâches jaunes sur les stores baissés/Nous transpirons, accrochés l’un à l’autre, escaladons/ de nos doigts les échelles glissantes des côtes ». Mais, sur le même thème de la relation amoureuse, elle peut aussi écrire (et faire cet aveu) : « C’est le chapitre délicat du mariage : tailler les rosiers/en connaissance de cause et ratisser les feuilles mortes/tout aussi bien ».Avec des airs à ne pas y toucher, Dorianne Laux sait ainsi délivrer quelques vérités bien senties. « C’est peut-être ce que nous taisons/qui nous sauve », écrit-elle si justement. Ce que nous portons, par contre, elle le dit dans ses poèmes.