Françoise Hàn, Ecorce terrestre

2020-07-09T12:32:39+02:00

 

Le lan­gage, sec­onde écorce ter­restre, se plisse, se creuse, s’élève selon les divi­sions, les dérives, les soubre­sauts du monde. Le poème prend appui dans ses fis­sures. Ver­ti­cale sou­vent tor­due, il grandit à flanc d’abîme. Aucune logique ne le tient là.

Il coor­donne le vide au paysage habité.

La vie est-elle venue d’ailleurs ? Tombée sur terre avec une pluie d’étoiles filantes ? Ou s’est-elle for­mée lente­ment, peut-être au fond des mers, peut-être au creux des vagues, peut-être sur les argiles aux rayons du soleil ?

Le poème puise à plein sol aus­si bien que dans les détri­tus qui jonchent la sur­face, en voie de devenir humus.

Humus, déjà si près de l’humain.

Et la soif ? Très en dessous, la nappe phréa­tique, est-ce le silence ? La parole est-elle par­o­die du monde ou sa vérité exsudée ?

Le paysage humain, un jour, dis­paraî­tra. Le vide n’en aura pas de con­vul­sions. Leurs des­tins ne sont pas par­al­lèles. Falais­es et mon­tagnes, océans et rivages ne porteront plus de nom, la terre n’en trem­blera pas.

Le temps bat­tra sans doute en d’autres vies. L’éternité ne recueillera pas le poème. Il n’en réclame aucune part.

 

poème extrait de CAILLOUX

∗∗∗

Com­ment les tutoy­er ? Basalte, por­phyre, feldspath, gran­it, les nom­mer quand elle sont  immo­biles ne dit rien de la vio­lence qui les a pro­jetées hors du mag­ma originel.

Le feu n’y repren­dra jamais. L’herbe ne saurait y pouss­er, encore moins les moissons. Leurs abîmes ne sont pas les nôtres. Elles ne sont pas les ruines de nos mon­des anciens. Elles ne résu­ment pas notre his­toire, la sup­por­t­ent, blocs pre­miers, sans y pren­dre part. Elles sont d’un autre pas­sage, plus lent que le nôtre. Beau­coup de temps est der­rière elles, sans qu’elles nous aient attendus.

Gar­dent-elles mémoire de paysages que nous n’avons pas con­nus, que nous essayons, en fix­ant sur elles l’objectif, de faire reparaître sur les clichés ?

Elles n’ont pas été semées par un géant soucieux, comme le petit Poucet, de retrou­ver le chemin du retour chez soi. Elles ne jalon­nent aucun pro­jet d’itinéraire. Elles ne sont pas même les indices d’une errance.

Mal­gré tout, elles s’ancrent dans le poème et les mots se resserrent.

 

poème extrait de CAILLOUX

Présentation de l’auteur

Françoise Hàn

Poète et cri­tique lit­téraire, née à Paris en 1928. A tra­vail­lé longtemps dans l’édition sci­en­tifique. Col­lab­o­ra­trice de la revue Europe et des Let­tres Français­es. Une ving­taine d’ouvrages pub­liés depuis Cité des Hommes (Seghers) en 1956. Derniers titres : Un été sans fin (Jacques Bré­mond, édi­teur, 2008) ; Le dou­ble remon­té du puits ((Jacques Bré­mond, édi­teur, 2011). à paraître : Ce pli ouvert (Jacques Bré­mond, éditeur).

Françoise Hàn

© Ambre Nolen

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