1
écrire Ma Vie sexuelle
ou plutôt, Ma Vie heureuse, et ce serait :
- soulevant des pierres
- dans les arbres à 6 ou 7 ans
- des épisodes déjà écrits qui sont à réécrire
- des échecs autant que des victoires
- des défaites dans la guerre du lit
- dans les rêves
- marchant seul sur la route, à Dicomano en 1981, puis à Pérouse
- Adelaïde, étudiante de Sienne, héroïnomane, qui s’était levée pendant que je la dessinais pour venir en souriant me glisser sa langue dans la bouche
- Christine, de Kalambaka (la plus belle, que je fis souffrir)
- L qui m’a rendu presque heureux, et puis fou
- l’écriture même ces 2 dernières semaines
- des symboles dans mes projets d’immeubles, certains construits et où mon espace propre, intime, ma libido est présente
- toi
- vouloir tout et n’avoir rien allant de pair
mais tout cela est images, passé ou papier, rien à côté du jour sur les draps, de la pluie sur ton bras, de mourir contre un front
(2011–16)
2
Jour
Le temps
est exceptionnel, la langue banale
et ce beau ciel gris qui aime les murs
est une couverture tendue entre haut et bas
de la ville
on ne sait comment dire
c’est présence cherchée
et l’air est tel un duvet commun aux habitants de l’asphalte
et à ceux des immeubles – humidité solidaire
en effet, il faut être à l’abri
pour parler ainsi, pour écrire
en deux mil treiz
que ce temps est à couper
et que même l’écran traître pire que le papier sous la goutte
est verre qui va casser ou matière qui fond et les cerveaux avec
et que le jour n’est pas épuisé au bout du vers
il dit je pour l’exemple
les gouttes de la pluie maintenant s’abattent indistinctement sur le zinc
et sur ce qui vit. Ce qui est mort demeure. Il est à penser qu’il m’aurait fallu
au moins un peu plus de vie que de mots
nul sens ne trouve message
ce n’est pas chose aisée
que d’être laissé par la rime
s’il est vrai qu’elle est femme.
(2013–16)
3
Jamais
Jamais,
tes parents, ton enfance de mots t’ont sacré et
tu suscites mon admiration,
prince des souffles et des destinées.
Je t’aime si peu ! (autant qu’on peut aimer une parole)
mais voudrais te le dire.
À moins que tu ne sois une maison,
de Dieu que je délogerai pour t’habiter.
Sans doute es-tu l’égout, ma neuvième travée,
où je ferai couler les lettres d’Alphée,
dans mon songe de mort.
Never ! Pour le muscle des mots,
quelle étrangeté de sentir l’os du crâne.
Même à travers les minces lambris du palais,
près de la pensée ! Et comment espérer, envisager
le possible de l’espace d’éternel événement ?
En toi l’on aperçoit que gisent les âmes
et qu’à ta tête se dresse le sujet,
le chômeur, le chef, le pauvre, le membre,
le regard rétrospectif, la crosse renversée,
l’arbre seul, le moins, le hère.
(2013–16)
4
(sans titre)
Dos de ma main posée à plat, et du poignet trop mince.
A côté, la pensée de la couper.
Mais la main ne pourrait-elle, à l’aide du couteau quotidien,
Se séparer de la pensée ? en garder l’homme ?
Pourquoi cette pesée sur soi,
Si mal associée qu’elle en est tyrannique ?
(2016)
6
Deux rêves
Athéna a croisé Jean-Claude dans l’escalier,
qui lui fit son clin d’œil habituel — ticket d’Orphée.
À moi, est apparu son torse glabre,
sortant de la douche.
Je n’eus pas l’âme qu’il fallait,
pour le prendre avec les bras, pour vouloir dire.
Ce reflet de salle de bain fut l’ennemi
du beau hasard des rectangles de Thiais.
Où séjourne notre ami ?
Est-il encore à mi-chemin, dans le même tram que je pris ?
Reviennent nos paroles, arroser sa mémoire !
Sa vie fut brève, parmi des cartons.
Et lui aussi
eut une fille pour faire le dieu.