Elio Paglia­rani, Carla, une jeune fille, Robert Filliou, Poémes, scénarios, chansons, Christine Célarier, Je choisis la lagune, Raymond Farina, Les Grands jaseurs de Bohème suivi de L’Oiseau de paradigme

La poésie comme spéculation douteuse donc crédible -Robert Filiou

 

Robert Filliou , sorte de  gourou de l’hybridation esthétique se retrouve ici  en des textes écrits en anglais ou français rassemble  « chansons grivoises, poèmes-actions, contes pour enfants, pièce bilingue, poèmes à terminer chez soi, poèmes sonores, etc. ». Assigné au mouvement Fluxus – mais selon lui à tort qu’à raison – il démontre sans éviter des démonstrations son écriture de « Lion sous la peau du cochon ».

Récusant de voir l’art comme une carrière mais tout en refusant de faire autre chose il a cultivé ses dérivess parfois très réussi mais parfois attendu et systématique là où le singularité et des remises en causes deviennent une commodité, voire une facilité. Mais l’humour existe même et surtout lorsqu’il n’existe pas – ou autrement en cette « différance » chère à Derrida.
Loin du passé. Pas lointain  mais échu. Quoique toujours ne pas vraiment pensé, Robert Filliou a montré  que le pas pensé, pèse fort son poids d’impensé. Le tout dans les sporadiques efforts. Mais celui-ci tenta de se situer dans une généalogie plausible voire d’articuler à la question globale de la culture contemporaine et de justifier civiquement ce qui ici et là apparaît de moins évidemment possible.
Mais c’est un peu comme si Filliou se demandait comment vivre, sans l’effort de représentation qui spécifie l’humain ? En conséquence il s’est inquiété humainement et esthétiquement de la déréalisation du monde dans la coagulation des représentations.
Comment d’ailleurs pour lui supporter que l’effort de représentation ne soit que répétition vaguement stylisée du déjà représenté ?  Mais Filliou loin formes communément admises a créé expérience individuée : celle de sa liberté. 

Robert Filliou, Poémes, scénarios, chansons, Édition établie par Emma Gazano, Les Petits Matins, collection « Les grands soirs », 2024.

Cela fit de lui un bel oiseau fin de bec et de la plume Le tout jamais sans mauvaise graisse de pathos. Jamais dupes et toujours ironique et  pas moins radical. Nous le découvrons dans le bataillon de ses textes retrouvés, parfois, pour faire pensum théorique mais dans le but de penser creux. Mais à  savoir le pourquoi et le comment d’un relatif dédain de la pensée théorique  pour lui opposer un certain bouddhiste.
Façon d’éveillé il se contenta parfois d’être endormi sans pour autant cultiver du passé. Quant à son questionnement, l’évincement trouve une forme : un élément « positif » nourri toujours le négatif. Bref le Oui est un non oui et le non un oui non. Que demander de plus ? Et n’est-ce pas un moyen d’accéder à l’existence symbolique par un si drôle d’oiseau ?

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Elio Pagliarini vers l'aventure

Elio Paglia­rani Proche du cinéma néo-réaliste ita­lien, , membre du « Gruppo 63 », a trans­formé la poé­sie des­crip­tive mais en se ser­vant de la tech­nique de tels réa­li­sa­teurs comme il a modi­fié l’esprit réci­ta­tif dans la poé­sie influen­cée en lui autant par le futu­risme ita­lien que par William Car­los Williams.
C’est pour­quoi dans Carla, une jeune fille le poète trans­fuse le passé et le lyrisme pour ini­tier son édu­ca­tion des sen­ti­ments selon un loin­tain appel des « Pro­messi sposi » de Man­zoni via et au-delà des idées poé­tiques de Gadda.
Tout un jeu du passé buco­lique chez un tel auteur sent le bitume et le ciment mou lorsque les ouvriers le gâchent. Tout ici trans­forme donc l’idée de la poé­sie non sans souci désor­mais d’une forme d’objectivité d’une société mila­naise « post war » — comme son écri­ture elle-même. Elle se veut plus de la rue que des canons esthétiques.

Elio Paglia­rani, Carla, une jeune fille, tra­duit de l’italien et pré­senté par Ada Tosatti, édi­tion bilingue, Edi­tions Nous, 2024, 112 p. — 14,00 €.

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Venise est ici : Christine Célarier

Christine Célarier, « Je choisis la lagune », préface de Micha Venaille, Œuvres de Patrice Giorda, et traduit par Bruno di Biase, Editions La rumeur libre publié en coproduction avec l’Espace Pandora, Vareilles, 42540 Sainte-Colombe-sur-Gand, 105 p.

Nourrie d’un conclave de poètes Christine Célarier  ne retient pas l’attention des illusions littéraires (entre autre) que Venise et sa lagune inspirent. Dans de tel contexte on se rend compte qu’il y a tant de poètes. Mais surtout la sincérité, qualité suffisante de la poétesse.
 
Elle est sortie de la grosse végétation de la poésie underground pour la pooésie des profondeurs et leurs érections. Nous montons sur la lagune su kieu car c’est un médium qui ouvre les portes à tous et qui n’a pas, de l’intérieur, la force et les instruments nécessaires pour faire une sélection.
Une telle poésie est donc de la renaissance à la fois  populaire mais elle reste un critère de sélection. Elle joue son rôle pour réussi à se construire, à se dégager entre autres de la quantité qui ne croise pas forcément la qualité.
 
Son résultat, dans ces conditions, est remarquable. Christine Célarier construit son style éloigné d’abord la tentation de trop de mot. Elle serre le discours des profondeurs cachées qui quelques fois sont dépassées de leur limite. Et de plus l’auteure dans son sens  de l’architecture garde non seulement l’ossature mais sans éliminer tous les muscles et les tendons des pierres et de l’âme.
 
Une telle auteure va si bien ensemble avec sa poésie… A cause de toutes ces circonstances dans sa poésie il y a une relation avec la poésie de l’intime. Quelques fois elle est très proche d’elle  presque une comme confession mais parfois voisine du conte de fée. La distance est relative et ces relations sont presque un jeu mais comme s’il s’agissait d’une expérimentation très avancée. Dès lors cette expérience  est ancrés dans la poésie  comme existence en soi.
Christine Célarier, Je choisis la lagune, préface de Micha Venaille, Œuvres de Patrice Giorda, et traduit par Bruno di Biase, Editions La rumeur libre publié en coproduction avec l’Espace Pandora, Vareilles, 42540 Sainte-Colombe-sur-Gand, 105 p.
 
Ce livre possède de grandes ouvertures vers un sort d’humanité qui ne tient pas obligatoirement de la poésie (ou de l’art), mais d’une sorte de compréhension universelle… C’est une particularité parce que cette écriture évite des éléments discursifs et ne stimule aucune rhétorique pompeuse. Elle est discrète, dans et sans un mutisme qui veut crier dans la rue. Parfois elle se cache et ensuite apparaît dans des endroits surprenants, exactement là où on ne l’attend pas.
 

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Raymond Farina : oiseaux en barbarie

En deux parties de ce livre surgit le chant des oiseaux mais aussi, par voix du poète, des questions à la sibylle. Mais c'est comme si pour l'une comme pour les oiseaux les plus légers leur clairvoyance dépasse celle du poète lui même, homme parmi les hommes dans "les limites de ce bas-monde". 

Un tel poète se fait à la fois innocent car réceptif  mais il reste un sage. Même si ses doutes subsistent. "Pourrais-tu me dire Sibylle /  s’il fait vraiment chaud en Enfer ? Est-ce l’hiver au Paradis ?. Mais Farina, contrairement au moineau godillot, est un gandin pariant sur le possible car "d'un smoking est-il de rigueur dans les soirées de l’Éternel ?".
Néanmoins en hommage à l’inframince du volatile et sa simplicité, l’auteur (au moineau par exemple) répond à  « son insolence d’aristo » par son  statut de « petit clodo ». Raymond Farina  fait mieux que s’en amuser grâce à son lyrisme musical  de ses scansions et des jeux sonores, à la manière des agréments  de ses partitions qui semble presque d’un clavecin mozartien. Le style poétique est ici créé de battements parfois mordants ou pincés sans rire mais ironie. Farina ne cherche cependant jamais à imiter l’oiseau mais à accentuer et mettre en valeur sa présence avec parfois un détachement non dénué d’humour.
 
Les retours de sonorités sont plutôt des retours de mots en horizontaux pour des thèmes mélodiques verticaux, histoire de rappeler l’envol des oiseaux le tout inséré ici dans une harmonie générale. D'autant que leurs ailes sont d'une bien autre qualité  que celles des anges vus par Michel-Ange et Fra Angelico  pour "enfin propager l’effroi   / chez les Barbares d’ici-bas".  Quant aux oiseaux  nuls agents de l’infamie : ils se prennent pour des seigneurs, aigles et buses comprises

Raymond Farina, Les grands jaseurs de Bohème suivi de l’oiseau de paradigme, Editions N et B, Colomiers, 2024, 116 p., 13 €.