Emil Iulian Sude, un veilleur de lumière

Par |2024-05-06T13:17:05+02:00 6 mai 2024|Catégories : Emil Iulian Sude, Essais & Chroniques|

Présen­ta­tion de Gabrielle Sava — tra­duc­tion Gabrielle Danoux

 

Emil Iulian Sude est né le 6 sep­tem­bre 1974, à Bucarest. Il est l’un des pre­miers poètes primés d’origine rom en Roumanie. Il tra­vaille actuelle­ment de nuit, en tant qu’agent de sécu­rité dans une école publique tout en pour­suiv­ant ses études en romani et en roumain, à l’Université de Bucarest.

 

Sa poésie lui a valu plus d’une quin­zaine de récom­pens­es, dont notam­ment la pre­mière place au con­cours inter­na­tion­al de créa­tion lit­téraire et de tra­duc­tion Bro­nis­lawa Wajs, célébrant le cen­te­naire des Roms (1919–2019), ain­si que la qua­trième place au con­cours de man­u­scrits 2018 organ­isé par le Cen­tre nation­al de la cul­ture rom Romano Kher en col­lab­o­ra­tion avec le gou­verne­ment roumain.


Il a fait ses débuts lit­téraires avec le recueil de poésie Scărarul [Le Con­fec­tion­neur d’échelles], Éd. Grin­ta, 2014, avec des références cri­tiques de Nora Iuga. En 2016, a été pub­lié le recueil de poèmes Chiar nu [Vrai­ment pas], Éd. Euro­stam­pa, avec des cri­tiques d’Al. Cis­t­ele­can, Gabriel Nede­lea, Nora Iuga, Cipri­an Chir­va­siu. Il a été invité à de nom­breux fes­ti­vals et événe­ments cul­turels organ­isés par l’Association Direcţia 9. Ses poèmes ont été pub­liés dans l’anthologie Moștenirea Văcăreștilor [L’Héritage des Văcărești],  (2013), ouvrage couron­nant le con­cours éponyme, ain­si que dans des péri­odiques cul­turels pres­tigieux. Les cri­tiques et références dans : Viaţa românească, Steaua, Con­tem­po­ran­ul, Vatra, Moza­icul, par­tic­i­pa­tion au fes­ti­val de lit­téra­ture religieuse de Caraiman, organ­isé par le jour­nal Ziarul Lumi­na. 

 

Com­mé­mora­tion en mémoire de l’Holo­causte, 2 août 2021.

En 2018, est paru le recueil de poésie Povești [His­toires], suite à sa par­tic­i­pa­tion au con­cours de man­u­scrits organ­isé par le Cen­tre nation­al de cul­ture rom Romano Kehr. La même année lui est décerné le diplôme d’excellence pour sa « con­tri­bu­tion remar­quable au développe­ment et à la pro­mo­tion de la cul­ture et de l’identité rom ». Après Rap­sodi­ile unui gelos [Les Rhap­sodies d’un jaloux], édi­tions Rafet, 2022 (le prix du man­u­scrit et le deux­ième prix lors du fes­ti­val nation­al Alexan­dru Mace­don­s­ki), son dernier recueil, paru en 2023, s’intitule Paznic de noapte [Veilleur de nuit].

∗∗∗

Poèmes d’Emil Iulian Sude

Aujourd’hui j’ai fait un malaise dans le tram 21

 

une tor­peur s’est comme ça emparée de moi et ce mal(être) m’a cloué débout.
là-bas à mi-chemin du tram 21. où se scinde en
deux la vie. là-bas tan­dis que je pre­nais appui sur la barre latérale de moi
s’est emparé ce mal(être).
si je me sou­viens bien c’était à mi-chemin du tram
où se tien­nent les petits bal­anciers. les grands bal­anciers sont
plus proches du con­duc­teur. nul besoin d’avoir un cer­tain âge

pour les bal­anciers on peut même n’être qu’un enfant si l’on veut,
pour les bal­anciers. ceux qui passent dans l’autre moitié du tram
reçoivent gra­cieuse­ment un bal­anci­er pour s’y balancer.

et tan­dis que je comp­tais les arrêts jusqu’à piața obor. c’est comme ça
qu’un mal(être) s’est emparé de moi et m’a ramol­li les genoux. le noir
devant mes yeux. petit ou grand mal(être) je n’en sais rien puisque je ne suis pas encore mort
tout à fait. juste la mol­lesse de mes genoux et la voix
famil­ière cri­ant emil emil. éten­dez-le par terre il a quelque chose
comme un mal(être). et lais­sez-le respir­er tout seul. cri­aient les voyageurs.
forts aimables les pas­sagers du tram 21.
l’un m’a offert sa place. un autre a ouvert la fenêtre.

fort aimables les voyageurs après tout j’étais l’un des leurs.
juste mon front en sueur et mes mains moites et froides. seul le mal(être)
s’amenuisait lente­ment et ma colère noire dans le tram 21 ne me lâchait plus.
de ma prière vers dieu je ne me sou­viens plus guère.
seule de la voix fémi­nine atten­due toute ma vie
à l’arrêt per­la pour pren­dre ensem­ble le tram 21 qui était en fait
le tram 46. je m’en sou­viens. qu’il nous emmène
qu’il nous emmène à ce marché obor pour l’agneau de Pâques.

 

*

 

Près de nous de la place pour tout le monde

 

per­son­ne ne vient nous ressus­citer. nous avons de la place
pour les mar­iées pour les mariés
dans les recoins
pour dire vous êtes trop nom­breux. personne.
aucune com­plainte pour la foule.

trop indul­gents avec les choses de la vie
nous nous mul­ti­plions comme des lièvres
au mètre car­ré nous inspirons le même air.
couronnes de virus. de loin­tains empereurs

quand nous rêvons avec mille yeux
mille pieds. qui aurait pu imaginer
de ce que nous fûmes nous serons utilisés
con­tre nous-mêmes

seule la terre bombe ses extrémités.
les uns sur les autres nous faisons l’amour sous pression
dans toutes sortes de posi­tions ignorées par le kama sutra.
on se liqué­fie on coule par tous les trous du sirop de pissenlit.

par­fois il nous sem­ble que nous nous brisons dans des
fleurs de chan­vre indi­en per­lent nos visages
nos bouch­es s’assèchent.
et nous rions à rompre nos diaphragmes.

 

*

 

Cig­a­rettes café prom­e­nades comme chez les fous

 

un véri­ta­ble esclandre
ici nous sommes tous amis. ici nous sommes tous sains d’esprit.
per­son­ne ne recon­naît. les regards per­dus par­lent de nous.
les détourne­ments de la réal­ité immédiate
auraient été notre seule réalité.
dis­aient ceux qui pen­saient con­trôler la réalité.

l’infirmier a dit je suis nou­veau. une fleur
un jour de mai. je suis tout juste bon. pour les pilules
prob­a­ble­ment une dépres­sion, j’ignore si je suis guéri ou
si j’ai jamais été déprimé.

je fus inter­rogé par un col­lègue si je me suis acclimaté.
trois mois qu’il pêchait déli­cate­ment les plantes dans la rigole.
regarde comme elles sont belles. j’avais envie de rire.
sans rai­son. tel un fou. il a été conduit
à l’hôpital par un temps hivernal.

on ne nous a jamais don­né de fourchettes pour manger.
Ils dis­aient qu’on allait se crev­er les yeux fix­ant le vide.
le pre­mier jour, nous avons mangé le plat de résis­tance avec les mains.
aucun de nous n’avait assez de cig­a­rettes. le
nec plus ultra était de fumer et d’observer la lune.
aucun espoir que les amoureuses ou les épous­es nous cherchent. si
toute­fois ça leur arrivait de pass­er en coup de vent as-tu apporté des cigarettes
pour observ­er la lune. on demandait.

j’ai quit­té cet endroit. je n’ai pas décou­vert ce dont je souffrais.
d’un hôpi­tal à l’autre. que dira
le monde. le pau­vre habite sous les combles.
bien sûr, ils m’ont demandé com­ment je
me sen­tais. l’éternelle bienveillance.
cela peut arriv­er à tout un cha­cun. disait-on.

(poèmes extraits du recueil Paznic de noapte [Veilleur de nuit] et traduits du roumain par Gabrielle Danoux)

 

Présentation de l’auteur

Emil Iulian Sude

Emil Iulian SUDE est né le 6 sep­tem­bre 1974, à Bucarest. Il est l’un des pre­miers poètes primés d’origine rom en Roumanie. Il tra­vaille actuelle­ment de nuit, en tant qu’agent de sécu­rité dans une école publique tout en pour­suiv­ant ses études en romani et en roumain, à l’Université de Bucarest.

Sa poésie lui a valu plus d’une quin­zaine de récom­pens­es, dont notam­ment la pre­mière place au con­cours inter­na­tion­al de créa­tion lit­téraire et de tra­duc­tion Bro­nis­lawa Wajs, célébrant le cen­te­naire des Roms (1919–2019), ain­si que la qua­trième place au con­cours de man­u­scrits 2018 organ­isé par le Cen­tre nation­al de la cul­ture rom Romano Kher en col­lab­o­ra­tion avec le gou­verne­ment roumain.

Il a fait ses débuts lit­téraires avec le recueil de poésie Scărarul, Le Con­fec­tion­neur d’échelles, Éd. Grin­ta, 2014, avec des références cri­tiques de Nora Iuga. 

© Crédits pho­tos Bel esprit.

Bibliographie

En 2016, a été pub­lié le recueil de poèmes Chiar nu, Vrai­ment pas, Éd. Euro­stam­pa, avec des cri­tiques d’Al. Cis­t­ele­can, Gabriel Nede­lea, Nora Iuga, Cipri­an Chir­va­siu. Il a été invité à de nom­breux fes­ti­vals et événe­ments cul­turels organ­isés par l’Association Direcţia 9. Ses poèmes ont été pub­liés dans l’anthologie Moștenirea Văcăreștilor, L’Héritage des Văcărești,  (2013), ouvrage couron­nant le con­cours éponyme, ain­si que dans des péri­odiques cul­turels pres­tigieux. Les cri­tiques et références dans : Viaţa românească, Steaua, Con­tem­po­ran­ul, Vatra, Moza­icul, par­tic­i­pa­tion au fes­ti­val de lit­téra­ture religieuse de Caraiman, organ­isé par le jour­nal Ziarul Lumina. 
En 2018, est paru le recueil de poésie Povești, His­toires, suite à sa par­tic­i­pa­tion au con­cours de man­u­scrits organ­isé par le Cen­tre nation­al de cul­ture rom Romano Kehr. La même année lui est décerné le diplôme d’excellence pour sa « con­tri­bu­tion remar­quable au développe­ment et à la pro­mo­tion de la cul­ture et de l’identité rom ».
Après Rap­sodi­ile unui gelos, Les Rhap­sodies d’un jaloux, édi­tions Rafet, 2022 (le prix du man­u­scrit et le deux­ième prix lors du fes­ti­val nation­al Alexan­dru Mace­don­s­ki), son dernier recueil, paru en 2023, s’intitule Paznic de noapte, Veilleur de nuit.
La liste des prix rem­portés pour des poèmes extraits de Paznic de noapte, Veilleur de nuit est assez conséquente :
1) Prix « George Hani­bal Văleanu » au con­cours lit­téraire Roșu Ver­ti­cal, 2001
2) Deux­ième prix au con­cours de poésie « Tra­dem », 34ᵉ édi­tion, 2012.
3) Troisième prix au con­cours de poésie « Tra­dem », 35ᵉ édi­tion, 2013.
4) Prix spé­cial de la revue Impact cul­tur­al [Impacte Cul­turel] dans la sec­tion poésie, au fes­ti­val Moștenirea Văcăreștilor [L’Héritage des Văcărești], 2013
5) Prix du meilleur pre­mier recueil de poésie au fes­ti­val Poezia – Oglin­da Sufle­tu­lui [La Poésie – Miroir de l’âme], deux­ième édi­tion, 2016
6) Deux­ième prix au con­cours de poésie Andrei Mureșanu, 2016.
7) Deux­ième prix au con­cours nation­al de créa­tion lit­téraire Bro­nis­lawa Wajs, 2018.
8) Qua­trième place lors du con­cours de man­u­scrits soutenu par le gou­verne­ment roumain via le Cen­tre nation­al de la cul­ture rom Romano Kher, et pub­li­ca­tion du recueil de poésie Povești [His­toires] 2018.
9) Nom­mé au con­cours Lidia Vianu Trans­late, 2018.
10) Pre­mier prix con­cours nation­al de créa­tion lit­téraire Bro­nis­lawa Wajs à l’occasion du Cen­te­naire des Roms 1919–2019
11) Pre­mier au con­cours Căli­mara cu cerneală [L’Encrier], organ­isé par la mai­son des étu­di­ants de Târ­gu Mureș, 2019
12) Pre­mier prix au con­cours Cuvinte [Paroles]
13) Sélec­tion­né au con­cours Poster X Poem, 2020
14) Deux­ième prix en poésie/étudiants au con­cours « Ocrotiți de Emi­nes­cu », 2021
15) Prix spé­cial au con­cours Man­taua lui Gogol [Le Man­teau de Gogol], 2021
16) Lau­réat du con­cours pour l’obtention d’une place dans « l’atelier de créa­tion » soutenu par le musée nation­al de lit­téra­ture roumaine dans le cadre de la man­i­fes­ta­tion Zilele Bucureștiu­lui [Les Journées de Bucarest] organ­isé par Dan Mircea-Cipar­iu et Florin Iaru

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