Emil Iulian Sude, un veilleur de lumière

Présentation de Gabrielle Sava - traduction Gabrielle Danoux

 

Emil Iulian Sude est né le 6 septembre 1974, à Bucarest. Il est l’un des premiers poètes primés d’origine rom en Roumanie. Il travaille actuellement de nuit, en tant qu’agent de sécurité dans une école publique tout en poursuivant ses études en romani et en roumain, à l’Université de Bucarest.

 

Sa poésie lui a valu plus d’une quinzaine de récompenses, dont notamment la première place au concours international de création littéraire et de traduction Bronislawa Wajs, célébrant le centenaire des Roms (1919-2019), ainsi que la quatrième place au concours de manuscrits 2018 organisé par le Centre national de la culture rom Romano Kher en collaboration avec le gouvernement roumain.


Il a fait ses débuts littéraires avec le recueil de poésie Scărarul [Le Confectionneur d’échelles], Éd. Grinta, 2014, avec des références critiques de Nora Iuga. En 2016, a été publié le recueil de poèmes Chiar nu [Vraiment pas], Éd. Eurostampa, avec des critiques d’Al. Cistelecan, Gabriel Nedelea, Nora Iuga, Ciprian Chirvasiu. Il a été invité à de nombreux festivals et événements culturels organisés par l’Association Direcţia 9. Ses poèmes ont été publiés dans l’anthologie Moștenirea Văcăreștilor [L’Héritage des Văcărești],  (2013), ouvrage couronnant le concours éponyme, ainsi que dans des périodiques culturels prestigieux. Les critiques et références dans : Viaţa românească, Steaua, Contemporanul, Vatra, Mozaicul, participation au festival de littérature religieuse de Caraiman, organisé par le journal Ziarul Lumina. 

 

Commémoration en mémoire de l'Holocauste, 2 août 2021.

En 2018, est paru le recueil de poésie Povești [Histoires], suite à sa participation au concours de manuscrits organisé par le Centre national de culture rom Romano Kehr. La même année lui est décerné le diplôme d’excellence pour sa « contribution remarquable au développement et à la promotion de la culture et de l’identité rom ». Après Rapsodiile unui gelos [Les Rhapsodies d’un jaloux], éditions Rafet, 2022 (le prix du manuscrit et le deuxième prix lors du festival national Alexandru Macedonski), son dernier recueil, paru en 2023, s’intitule Paznic de noapte [Veilleur de nuit].

∗∗∗

Poèmes d'Emil Iulian Sude

Aujourd’hui j’ai fait un malaise dans le tram 21

 

une torpeur s’est comme ça emparée de moi et ce mal(être) m’a cloué débout.
là-bas à mi-chemin du tram 21. où se scinde en
deux la vie. là-bas tandis que je prenais appui sur la barre latérale de moi
s’est emparé ce mal(être).
si je me souviens bien c’était à mi-chemin du tram
où se tiennent les petits balanciers. les grands balanciers sont
plus proches du conducteur. nul besoin d’avoir un certain âge

pour les balanciers on peut même n’être qu’un enfant si l’on veut,
pour les balanciers. ceux qui passent dans l’autre moitié du tram
reçoivent gracieusement un balancier pour s’y balancer.

et tandis que je comptais les arrêts jusqu’à piața obor. c’est comme ça
qu’un mal(être) s’est emparé de moi et m’a ramolli les genoux. le noir
devant mes yeux. petit ou grand mal(être) je n’en sais rien puisque je ne suis pas encore mort
tout à fait. juste la mollesse de mes genoux et la voix
familière criant emil emil. étendez-le par terre il a quelque chose
comme un mal(être). et laissez-le respirer tout seul. criaient les voyageurs.
forts aimables les passagers du tram 21.
l’un m’a offert sa place. un autre a ouvert la fenêtre.

fort aimables les voyageurs après tout j’étais l’un des leurs.
juste mon front en sueur et mes mains moites et froides. seul le mal(être)
s’amenuisait lentement et ma colère noire dans le tram 21 ne me lâchait plus.
de ma prière vers dieu je ne me souviens plus guère.
seule de la voix féminine attendue toute ma vie
à l’arrêt perla pour prendre ensemble le tram 21 qui était en fait
le tram 46. je m’en souviens. qu’il nous emmène
qu’il nous emmène à ce marché obor pour l’agneau de Pâques.

 

*

 

Près de nous de la place pour tout le monde

 

personne ne vient nous ressusciter. nous avons de la place
pour les mariées pour les mariés
dans les recoins
pour dire vous êtes trop nombreux. personne.
aucune complainte pour la foule.

trop indulgents avec les choses de la vie
nous nous multiplions comme des lièvres
au mètre carré nous inspirons le même air.
couronnes de virus. de lointains empereurs

quand nous rêvons avec mille yeux
mille pieds. qui aurait pu imaginer
de ce que nous fûmes nous serons utilisés
contre nous-mêmes

seule la terre bombe ses extrémités.
les uns sur les autres nous faisons l’amour sous pression
dans toutes sortes de positions ignorées par le kama sutra.
on se liquéfie on coule par tous les trous du sirop de pissenlit.

parfois il nous semble que nous nous brisons dans des
fleurs de chanvre indien perlent nos visages
nos bouches s’assèchent.
et nous rions à rompre nos diaphragmes.

 

*

 

Cigarettes café promenades comme chez les fous

 

un véritable esclandre
ici nous sommes tous amis. ici nous sommes tous sains d’esprit.
personne ne reconnaît. les regards perdus parlent de nous.
les détournements de la réalité immédiate
auraient été notre seule réalité.
disaient ceux qui pensaient contrôler la réalité.

l’infirmier a dit je suis nouveau. une fleur
un jour de mai. je suis tout juste bon. pour les pilules
probablement une dépression, j’ignore si je suis guéri ou
si j’ai jamais été déprimé.

je fus interrogé par un collègue si je me suis acclimaté.
trois mois qu’il pêchait délicatement les plantes dans la rigole.
regarde comme elles sont belles. j’avais envie de rire.
sans raison. tel un fou. il a été conduit
à l’hôpital par un temps hivernal.

on ne nous a jamais donné de fourchettes pour manger.
Ils disaient qu’on allait se crever les yeux fixant le vide.
le premier jour, nous avons mangé le plat de résistance avec les mains.
aucun de nous n’avait assez de cigarettes. le
nec plus ultra était de fumer et d’observer la lune.
aucun espoir que les amoureuses ou les épouses nous cherchent. si
toutefois ça leur arrivait de passer en coup de vent as-tu apporté des cigarettes
pour observer la lune. on demandait.

j’ai quitté cet endroit. je n’ai pas découvert ce dont je souffrais.
d’un hôpital à l’autre. que dira
le monde. le pauvre habite sous les combles.
bien sûr, ils m’ont demandé comment je
me sentais. l’éternelle bienveillance.
cela peut arriver à tout un chacun. disait-on.

(poèmes extraits du recueil Paznic de noapte [Veilleur de nuit] et traduits du roumain par Gabrielle Danoux)

 

Présentation de l’auteur

Emil Iulian Sude

Emil Iulian SUDE est né le 6 septembre 1974, à Bucarest. Il est l’un des premiers poètes primés d’origine rom en Roumanie. Il travaille actuellement de nuit, en tant qu’agent de sécurité dans une école publique tout en poursuivant ses études en romani et en roumain, à l’Université de Bucarest.

Sa poésie lui a valu plus d’une quinzaine de récompenses, dont notamment la première place au concours international de création littéraire et de traduction Bronislawa Wajs, célébrant le centenaire des Roms (1919-2019), ainsi que la quatrième place au concours de manuscrits 2018 organisé par le Centre national de la culture rom Romano Kher en collaboration avec le gouvernement roumain.

Il a fait ses débuts littéraires avec le recueil de poésie Scărarul, Le Confectionneur d’échelles, Éd. Grinta, 2014, avec des références critiques de Nora Iuga.

© Crédits photos Bel esprit.

Bibliographie

En 2016, a été publié le recueil de poèmes Chiar nu, Vraiment pas, Éd. Eurostampa, avec des critiques d’Al. Cistelecan, Gabriel Nedelea, Nora Iuga, Ciprian Chirvasiu. Il a été invité à de nombreux festivals et événements culturels organisés par l’Association Direcţia 9. Ses poèmes ont été publiés dans l’anthologie Moștenirea Văcăreștilor, L’Héritage des Văcărești,  (2013), ouvrage couronnant le concours éponyme, ainsi que dans des périodiques culturels prestigieux. Les critiques et références dans : Viaţa românească, Steaua, Contemporanul, Vatra, Mozaicul, participation au festival de littérature religieuse de Caraiman, organisé par le journal Ziarul Lumina.
En 2018, est paru le recueil de poésie Povești, Histoires, suite à sa participation au concours de manuscrits organisé par le Centre national de culture rom Romano Kehr. La même année lui est décerné le diplôme d’excellence pour sa « contribution remarquable au développement et à la promotion de la culture et de l’identité rom ».
Après Rapsodiile unui gelos, Les Rhapsodies d’un jaloux, éditions Rafet, 2022 (le prix du manuscrit et le deuxième prix lors du festival national Alexandru Macedonski), son dernier recueil, paru en 2023, s’intitule Paznic de noapte, Veilleur de nuit.
La liste des prix remportés pour des poèmes extraits de Paznic de noapte, Veilleur de nuit est assez conséquente :
1) Prix « George Hanibal Văleanu » au concours littéraire Roșu Vertical, 2001
2) Deuxième prix au concours de poésie « Tradem », 34ᵉ édition, 2012.
3) Troisième prix au concours de poésie « Tradem », 35ᵉ édition, 2013.
4) Prix spécial de la revue Impact cultural [Impacte Culturel] dans la section poésie, au festival Moștenirea Văcăreștilor [L’Héritage des Văcărești], 2013
5) Prix du meilleur premier recueil de poésie au festival Poezia – Oglinda Sufletului [La Poésie – Miroir de l’âme], deuxième édition, 2016
6) Deuxième prix au concours de poésie Andrei Mureșanu, 2016.
7) Deuxième prix au concours national de création littéraire Bronislawa Wajs, 2018.
8) Quatrième place lors du concours de manuscrits soutenu par le gouvernement roumain via le Centre national de la culture rom Romano Kher, et publication du recueil de poésie Povești [Histoires] 2018.
9) Nommé au concours Lidia Vianu Translate, 2018.
10) Premier prix concours national de création littéraire Bronislawa Wajs à l’occasion du Centenaire des Roms 1919-2019
11) Premier au concours Călimara cu cerneală [L’Encrier], organisé par la maison des étudiants de Târgu Mureș, 2019
12) Premier prix au concours Cuvinte [Paroles]
13) Sélectionné au concours Poster X Poem, 2020
14) Deuxième prix en poésie/étudiants au concours « Ocrotiți de Eminescu », 2021
15) Prix spécial au concours Mantaua lui Gogol [Le Manteau de Gogol], 2021
16) Lauréat du concours pour l’obtention d’une place dans « l’atelier de création » soutenu par le musée national de littérature roumaine dans le cadre de la manifestation Zilele Bucureștiului [Les Journées de Bucarest] organisé par Dan Mircea-Cipariu et Florin Iaru

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