Emmanuelle Gondrand, Toi et autres poèmes

Par |2024-11-06T10:51:33+01:00 6 novembre 2024|Catégories : Emmanuelle Gondrand, Poèmes|

Toi qui man­ques au jour comme la nuit au monde
Guet­tant son repos sous la lampe
Toi dont les yeux marchent au repaire
Humant le seuil de chaque vent
Toi qui effeuilles demain de tes doigts détachés
Véri­fies et cales le sillage
Toi qui n’es pas, que j’invente
Ma com­pagne rendue
Mon épaule promise

Palmyre

Dans l’atelier presque nu
Le jeune mécani­cien inven­ta la pièce
Et disparut
Pous­sant un pneu
Comme on dis­trait un cœur lourd
Par les rues larges à digér­er une prison.

Au mur de l’oasis
Il faut être bien espiè­gle pour passer
Ou l’enfant comme l’eau façon­nant son chemin.

Les hommes
Seuls
Talons agiles
Abri­tent dans leurs manch­es le savoir bruni.
Ils peu­vent le soir lever la tête
Vers les mains des arbres s’offrant le dernier soleil.

Là-bas, les ruines sont de nos rêves faites, debout.
Par leurs pores la terre roule sa fierté de nous porter encore.

La brute ignore

Qu’en explosant

Le sourire des siè­cles rejoint la lune énorme

Qui tient les comptes.

Amour

Tu es le larmi­er de toutes mes façades
Viens, abri­tons-nous si seuls
L’orage attein­dra à temps la croupe de nos rires
et le revers de nos joues.
Sur la tienne je pose ma main, ligne de basse
qui soutire à tes questions
leurs torsades
qui sème dans tes yeux
leurs altérations.

Je vois que tu te pench­es sur ce tableau con­nu en y cher­chant ce qui te fait trembler.
Ecoute der­rière la pièce d’eau le passe-pied masqué et la grive qui l’espionne.
Martèle encore un peu l’image et tes yeux riront eux aussi.
Sur la grève pour Cythère on se hâte, mais s’il fal­lait rester ? Pour suiv­re d’un doigt 
brûlant la courbe où au cal­en­dri­er tu mêlas les feuilles pleines, les fruits ramassés, 
les bar­ques soudaines et nos bras délicieux.

La bour­rasque promise fait sourire les fenêtres. Je t’offre nos épaules au vent, 
cares­sant l’espace de gammes en ser­ments. Je t’offre la croisée ouverte sur le mur 
chaud où s’impriment, la veille en applique, l’appui de demain, l’impossible toujours.

∗∗∗

Mon garçon

A mes fils

Mon frêle et gracile.
Mon garçon
Mon petit miel qui rit

Ma lec­ture innée
Mon som­meil de moissons
Mes sil­lons résumés
Mon para­sol en bonds.

Je fais le ser­ment rose de faire se lever le soleil comme tu le veux : et tu tien­dras ma 
main.
Je fais le ser­ment roux de ne jamais m’incliner en bar­rière : et tu lâcheras ma main.

Je veux être la mousse des forêts reculées, douce à ton pas curieux et nu de terreurs 
résidu­elles et puissantes.

Je veux être la brume qui s’étiole à la proue de tes départs, par­fumant tes doutes de 
la sève du retour entier.

Je veux être la join­ture blanche de tes poings au haut des boule­vards où d’autres
vont en pente, lorsqu’il fau­dra trou­ver la maille par où commencer.

Je veux être, aux soirs des soli­tudes qui ne man­queront pas, la paroi qui t’investit
d’un miroir prometteur.

Je veux être le fil­igrane dont tu dis­pos­es et que tu emportes partout.

Je veux que tu n’égares pas l’enfant lorsque sonne la fin des récréa­tions ; que, les 
pieds empêtrés dans le cartable du devoir, tu ravales les rages aux avenirs inutiles, 
que tu tiennes le regard hors des grilles, visant demain et son corps de danseuse.

Je veux que tu arraches à l’aube qui enfante
La promesse de ton dû et ta consécration
Que tu forges ton été sans mesur­er ton pas
Que ton enver­gure pais­i­ble résolve l’horizon.

Je veux que de tout cela tu me sach­es effacée.

∗∗∗

Pour ma fille

L’arpège con­tinu des temps jusqu’ à toi
Lance sa main dans l’air
A l’heure sans hier
Juste l’ombre jeune au volet replié.

Il faut laiss­er entr­er le soleil dans les maisons
Qu’il caresse les oiseaux posés là.

Tu sais, ou tu appren­dras, sur ta tige penchée, que les haut­bois des attentes
Ver­nis épuisants, marchent par gradins sur les mélancolies.
Tu en résumeras le seuil en un seul pas qui claque
Et cela sera : une gui­tare, son chemin
L’herbe aux lèvres et le sourire aux dents.

Epouse des pétales du vent
Tu ouvri­ras les vannes et les miroirs qui grondent
Tes cheveux orneront la nuit et l’orbe blanc
Sans frein ta courbe rejoin­dra le ruis­seau grisé
Et tes cils en coulisse.

Affolée peut-être de tout ce qui ne vien­dra pas
Tu vibr­eras comme la corde au manche

Et tu calmeras le cœur, fléchette et trésor,
Qu’il laisse
La dernière note mourir.

 

∗∗∗

Rebours

La nuit ferme ses lèvres
Sur la coupe lais­sée par le dernier dormeur.
Par un piédestal dérobé nous fuyons son front
Les ères advenues
Celles qui ne com­menceront pas.

Des étoiles jumelles cri­ent à l’horizon
Se décli­nent savantes
Bien que per­cées sur le calque des vœux.

Si la voûte signait
Nous nous range­ri­ons aux couleurs qu’elle verse
Les feuil­lages enfleraient en un secret de fruits
Et sur les ponts la musique naîtrait
Comme l’honneur de l’aube au matin inédit.

Mais il faut peser l’illusion
Glisse la mécanique
Sans son­ner se décale d’un cran
Ô par­tir mais où
Menteur, l’arrière-pays n’a gardé
Qu’une griffe seule accroupie et buvant
Le mince filet qu’on lui avait confié.

Cette sente mène aux racines maigres
Où l’homme raréfié
Grig­note sa chaleur comme un bis­cuit de pirate.
Ni l’enclume ni la roue ne récla­ment leur dû.
La main qui se lance ne retombera pas.

Au cœur des antres, sous les val­lées, gisent des let­tres, en tas.

Présentation de l’auteur

Emmanuelle Gondrand

Emmanuelle Gondrand naît en 1971 à Lyon.

Elle s’installe à Paris lorsqu’elle entre à l’Ecole nor­male supérieure en 1991. Agrégée de let­tres mod­ernes, elle enseigne en class­es de col­lège et de lycée, avant de devenir con­ser­va­teur des bib­lio­thèques en 2003. Elle dirige aujourd’hui le départe­ment Lit­téra­ture et art de la Bib­lio­thèque nationale de France.

Elle écrit de la poésie depuis de longues années.

Elle aban­donne le nom Sor­det pour repren­dre son nom de nais­sance Gondrand en 2021.

Bibliographie 

Les revues Arpa et Place de la Sor­bonne ont pub­lié, en octo­bre 2015 et mars 2016, plusieurs de ses poèmes. On peut aus­si la lire, entre autres, sur le site poésie main­tenant et dans le pre­mier numéro de Libres mots (mars 2024). En 2018, les édi­tions du Pont9 ont pub­lié son recueil Si jamais, avec une pré­face de Pierre Dhain­aut. Plusieurs textes de Si jamais ont été traduits en chi­nois, dans le cadre du pro­jet Poésie et shi : entrelacs.

Autres lec­tures

image_pdfimage_print

Sommaires

Aller en haut