En longeant la mer de Kyôto à Kamakura
Le récit poétique d’un moine voyageur
L’auteur est anonyme et son récit date de 1223. Mêlant notations prises sur le vif, poèmes de cinq vers et méditations, il nous entraîne pendant une quinzaine de jours sur environ 450 kilomètres dans une découverte du littoral japonais entre Kyôto et Kamakura. Une expérience à la fois poétique et spirituelle de moine pèlerin.
On peut appréhender un tel récit de bien des manières. S’attarder, par exemple, sur l’arrière-plan historique (l’auteur, qui vient de quitter sa vieille mère, pérégrine de la capitale Kyôto à la ville de Kamakura où s’est installée, à l’issue des guerres civiles, le gouvernement militaire des Shôgun). Y répertorier toutes les références à la Chine truffant ce récit (qu’il s’agisse d’histoire, de poésie, de légendes…). On peut aussi y voir un mode d’emploi du bouddhisme, notamment dans sa version syncrétique shinto-bouddhique, celle qui inspire la perception du monde proposée par l’auteur (« Moi dont la vie n’est qu’un instant au milieu d’un songe »).
On peut, également, apprécier le caractère documentaire de ce récit de voyage dans sa capacité à nous faire entrevoir les travaux et les jours du Japon ancien. Voici, sous la plume de l’auteur, les marais salants, les bateaux de pêche, les mariniers, les marchands, les bûcherons, les rizières…
« Reflétées dans l’eau/des rizières inondées/elles se montrent à nous ! /Les nuées d’épis de riz/image de l’automne ».
En longeant la mer de Kyôto à Kamakura, traduction du japonais, présentation et notes par le groupe Koten (Claire-Akiko Brisset, Jacqueline Pigeot, Daniel Struve, Sumie Tereda et Michel Vieillard-Baron), éditions Le Bruit du temps, 168 pages, 15 euros.
On peut, enfin, avoir ici un aperçu des conditions de voyage de l’époque, à pied ou à cheval (comme c’est le cas de l’auteur), logeant dans des auberges de fortune ou carrément sous les étoiles. Et, quand on est moine, s’attardant dans les temples et les lieux sacrés chargés d’histoire.
Mais se contenter de dire cela, ce serait passer sous silence la portée universelle d’un récit dont la poésie est le vecteur essentiel. Cet auteur japonais d’une cinquantaine d’années (« vieillard que je suis ») s’inscrit dans la lignée des auteurs des récits de voyage (kiko) de moines ermites dormant sur des « oreillers d’herbes »(Sôséki a fait de cette expression le titre d’un de ses livres), prônant l’ascétisme, la sobriété, la pauvreté. Et invitant, de bout en bout, à la contemplation. « Aujourd’hui je l’ai passé ;/si je reviens à nouveau/je verrai le mont Futamura :/sentier sous les pins/dont le regret me suivra » .
Ce sont des leçons de vie que distille en effet ce moine voyageur à renfort de waka, ces quintains de trente et une syllabes qui ponctuent son texte comme le feraient des haïku dans un haïbun. « A quoi bon maintenant/ces lamentations ?/Ne sait-on d’avance/que la rosée à la pointe de la feuille/est vouée à disparaître » (Kobayashi Issa nous parlera aussi, plus de 500 ans plus tard, d’une « monde de rosée »).
C’est le sentiment bouddhique de l’impermanence qui domine dans le récit. « Du fleuve qui va/et jamais ne reviendra/l’écume hélas ! tôt effacée/me semble la trace/de celui qui disparut », écrit-il évoquant la mort tragique d’un dignitaire japonais. Sentiment doublé d’un appel à faire le bien. « Le paradis loge dans un cœur tourné vers le Bien. L’enfer n’est pas sous terre, il se trouve dans un cœur qui nourrit de mauvaises pensées ». Le chemin littoral qu’emprunte ce voyageur anonyme devient ainsi progressivement, sous sa plume, le chemin de l’Eveil.