Enseigner la poésie : un éveil au silence — entretien avec Géry Lamarre

Par |2023-05-06T16:28:40+02:00 5 mai 2023|Catégories : Essais & Chroniques, Géry Lamarre|

Plas­ti­cien, poète, créa­teur de livres d’Art, Géry Lamarre opère un syn­crétisme artis­tique et cherche à tran­scen­der la représen­ta­tion dans le tra­vail opéré sur la mimé­sis, à tra­vers l’im­age, qu’elle soit plas­tique ou sonore dans le tra­vail sur la langue per­mise par la mise en œuvre des mots dans le poème. Il est aus­si enseignant, et trans­mets cette ambi­tion qui est égale­ment une pos­ture, face à ce matéri­aux qu’est le lan­gage, qu’il s’ag­it de met­tre en œuvre afin qu’il rende compte de l’indi­ci­ble puis­sance de notre richesse humaine. Trans­met­tre le poème aux plus jeunes, pour leur mon­tr­er le chemin vers eux-mêmes, mais com­ment ? Il a accep­té de répon­dre à nos questions.

Tu es enseignant. Peux-tu nous dire quelle est ton approche de la poésie en classe, et com­ment il est pos­si­ble de l’enseigner ?
Mon approche est par­ti­c­ulière étant pein­tre, créa­teur de livres d’artistes et poète autant qu’enseignant en CM2.
Le tra­vail que je mène en classe se développe prin­ci­pale­ment sur plusieurs axes : écri­t­ure, oral­ité et créa­tion plastique.
L’écriture poé­tique parce qu’elle est ludique et joyeuse. Elle offre une grande lib­erté d’expression et une lat­i­tude quant à la taille du texte, per­me­t­tant ain­si à des élèves qui maîtrisent dif­fi­cile­ment l’écrit, autant qu’à ceux qui le maîtrisent, de pro­duire des textes.
L’oralité, en évi­tant la réc­i­ta­tion : il s’agit de ren­dre vivant le poème. A cette fin, nous tra­vail­lons à chaque péri­ode un ensem­ble de poèmes. Ce sont des textes que j’ai préal­able­ment sélec­tion­nés soit pour leur thé­ma­tique, leur ryth­mique, ou leur con­struc­tion. Je leur pro­pose plusieurs textes au choix qu’ils peu­vent inve­stir à plusieurs ou seuls. Ces poèmes sont tou­jours présen­tés : dis­cutés sans tou­jours être expliqués. Les mis­es en voix sont tra­vail­lées ensem­ble puis à la fin de chaque péri­ode les « Diseurs de poésie » (parce que les pre­mières années, c’était à 10h) vont offrir leur texte aux autres classes.
J’ai organ­isé avec eux, pen­dant qua­tre ans une revue Infrac­tion poé­tique : invi­tant des poètes en classe, et alliant écri­t­ure et créa­tion plas­tique. Nous sor­tions un numéro ou deux par an, en for­mat papi­er ou numérique (Calaméo). Là, cette année, le pro­jet était lié à ce Prix Pierre Dhain­aut du livre d’artiste. C’était un beau défi de savoir où je voulais aller sans savoir à l’avance par quel chemin. C’est s’ouvrir aux propo­si­tions des élèves et de leurs pro­duc­tions. Ce qu’ils me pro­po­saient était une piste pos­si­ble ou une réponse pour l’étape suivante.

Lina B.

Com­ment les élèves perçoivent-ils le texte poé­tique ? Ont-ils une idée « académique » de ce qu’elle est (des rimes, des vers…) ou bien est-ce qu’ils sai­sis­sent instinc­tive­ment que la poésie est surtout une ques­tion de mise en œuvre par­ti­c­ulière du langage ?
Bien sûr qu’ils ont une idée académique ! C’est ce qui leur est sou­vent trans­mis par mécon­nais­sance de la poésie con­tem­po­raine. C’est une vision répétée depuis plusieurs généra­tions, alors que depuis plusieurs généra­tions la poésie a évolué dans ses formes, ses inten­tions et struc­tures. C’est pour cela que je sélec­tionne les textes à leur offrir sous plusieurs aspects.
Cela se retrou­ve par­fois spon­tané­ment dans leurs pro­duc­tions écrites, d’ailleurs. Mais si cer­tains perçoivent instinc­tive­ment cette mise en œuvre du lan­gage, mon tra­vail est de l’expliciter pour les autres. Les ate­liers d’écriture ne con­cer­nent pas que la poésie. Tra­vailler dif­férentes typolo­gies de textes per­met de met­tre l’accent sur les con­traintes de chaque type d’écrit. Et donc de la poésie comme un écrit spé­ci­fique ayant une plus grande lib­erté d’invention.
Que peut trans­met­tre la poésie ? Et peut-on trans­met­tre la poésie ?
Un regard dif­férent sur le monde, sur les mots, le lan­gage. Le fait qu’apprendre, tra­vailler puisse être ludique et inven­tif de solu­tions autres. Du plaisir. Un mode de pen­sée sup­plé­men­taire, différent.
Pour cer­tains élèves (aller dire des poèmes dans les class­es se fait sous forme de volon­tari­at) oser dépass­er leur timid­ité, leur manque de con­fi­ance (à l’oral comme à l’écrit). Lors des entraîne­ments à l’oralité, la capac­ité des élèves-audi­teurs à écouter, analyser, exprimer un ressen­ti pour amélior­er les presta­tions des camarades…
Oui, on peut trans­met­tre la poésie. Sous divers­es formes : aller en écouter, en lire, en écrire. Pas for­cé­ment avec tous. Peu importe. Au tra­vers de ce tra­vail, j’aime l’idée de semer des graines, qui un jour ou l’autre, ger­meront un peu, beau­coup, pas­sion­né­ment… ou pas du tout. Cela dépend de la sen­si­bil­ité de cha­cun. J’ai eu des élèves qui se sont mis à en écrire chez eux.

Infrac­tion poé­tique n°2, avec la par­tic­i­pa­tion de tous les Poéticiens — Diseurs de poèmes — de la classe de CM2 de l’école “Les enfants d’Er­can” – Erquinghem/Lys, Mai/juin 2015.

Infrac­tion poé­tique n°6, avec la par­tic­i­pa­tion de tous les Poéticiens de la classe de CM2/CM1 de l’école “Les enfants d’Er­can” – Erquinghem/Lys qui ont déclamé aux autres class­es de l’école des poèmes de : Georges Perec, Naz­im Hik­met, Ray­mond Devos, Hamid Tibouchi, Andrée Chédid, Jean Tardieu, Jean Rous­selot et Robert Desnos.

Est-ce que tes échanges avec tes élèves nour­ris­sent ta pra­tique de l’écriture ?
Pas directe­ment. Mais, c’est un élé­ment impor­tant de l’humus dans lequel s’épanouit ma vie.
Quelles sont tes plus belles réal­i­sa­tions ? Tes plus intens­es souvenirs ?
En tant que sou­venirs tous. Leur moti­va­tion. Plus par­ti­c­ulière­ment quand des élèves en dif­fi­culté d’écriture se met­tent à y pren­dre plaisir. Là est l’essentiel du tra­vail d’enseignant, ce plaisir, ce ludique qui donne envie d’apprendre, de faire, d’être curieux…
En tant que réal­i­sa­tions, ce sera tou­jours le prochain pro­jet. Mais ce pro­jet autour de la poésie de Pierre Dhain­aut a été très par­ti­c­ulière­ment riche car com­pléte­ment col­lec­tif. Nous avons même réus­si à créer un livre indi­vidu­el pour que cha­cun reparte avec le sien.

Ysaline.

Ley­na.

Présentation de l’auteur

Géry Lamarre

Diplômé en His­toire de l’Art et en Arts Plas­tiques, Géry Lamarre vit près de Lille. Depuis 1992, il expose en France et à l’étranger. Son tra­vail dans le domaine de la poésie a pris de plus en plus d’importance et a grande­ment mod­i­fié sa rela­tion à l’acte de pein­dre, l’amenant à tra­vailler, soit comme poète, soit comme plas­ti­cien sur des livres d’artistes (Zéno Bianu, Gilbert Las­cault, Dominique Sor­rente…). Seul ou en col­lab­o­ra­tion avec des édi­teurs (Voix du poème, Tran­signum, La tête à l’envers). Il est co-fon­­da­­teur avec le poète séné­galais Laï­ty Ndi­aye de la revue Ressacs. Il a con­tribué à dif­férentes revues papi­er ou numériques (Terre à Ciel, Un Cer­tain Regard, Cap­i­tal des mots, Lichen, FPM, Indoc’îles, Fili d’Aquilone…).

Site pein­tures : https://gerylamarre.com/

Blog poésie : http://gery-lamarre.eklablog.com/

Poet­ry Sound Library :  https://poetrysoundlibrary.weebly.com/

Livres d’artistes

Une sai­son en hiv­er, 2020, poèmes d’Eric Costan
Les ombres et les effaceurs, édi­tion fra­no-ital­iene, texte de Gilbert Las­cault, 2020, édi­tions Tran­signum, Paris
Noir estran, 2019, poèmes de Jean-Marc Bar­ri­er, coll. Fibres, édi­tions La tête à l’envers
Les gar­di­ens du fleuve, 2019, poèmes de Zéno Bianu
Ombre penchée, 2018, poème de Mérédith Le Dez
Let­tres en rebord du monde, 2018, poèmes de Dominique Sorrente
Par la pein­ture transperçant le temps, 2018, pein­tures de Michèle Riesenmey
Soleil nu, 2017, pein­tures sur des poèmes d’Hélène Tal­lon-Van­er­ian, La Voix du poème, coll. Feuilles, Pézenas
Flux et reflux, 2017, pein­tures de Michèle Riesenmey

 Col­lec­tion du Prieuré de St Cosme (livres pauvres)


Au nom des pères, pein­tures sur des poèmes de Colette Daviles-Estinès, pro­jet L3V, Mt-Galerie – Langonnet
L’étoffe des mots, pein­tures de Michèle Riesen­mey, pro­jet L3V, Mt-Galerie, Langonnet

 

Prin­ci­pales expositions

Galerie Géry Pir­lot de Cor­bion, Namur (Bel­gique)
Lille Art Fair, Lille (France)
Per­spec­tive de la pein­ture Française, Ago­ra Gallery, New York (USA)
Trois artistes, L’art est Créa­tion, Tour­nai (Bel­gique)
9 Vari­a­tions sur le Mont Fuji, For Art (Gallery), Lille (France)
Œuvres 2005 – 2007, Musée des Beaux-Arts, Mouscron (Bel­gique)
Pro-posi­­tions, Galerie Galéria, Nouméa (Nelle Calédonie)
Sta­tions, Galerie Galéria, Nouméa (Nelle Calédonie)
Archéolo­gie du soi, Cen­tre d’art con­tem­po­rain, Cen­tre cul­turel améri­cain et Galerie Ataray, Sofia (Bul­gar­ie), La Tra­verse, Paris (France)
2ème Bien­nale d’art con­tem­po­rain, Nouméa (Nelle Calédonie)
Galerie X+, Brux­elles (Bel­gique)
Obses­sion, ren­con­tre avec des œuvres du FRAC Alsace/Lorraine, Tour­co­ing (France)
Galerie Richard Fon­cke, Gand (Bel­gique)
Galerie Martha Moore, Séville (Espagne)
Salon de la jeune pein­ture, Palais des Papes, Avi­gnon (France)

Autres lec­tures

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Carole Mesrobian

Car­ole Car­cil­lo Mes­ro­bian est poète, cri­tique lit­téraire, revuiste, per­formeuse, éditrice et réal­isatrice. Elle pub­lie en 2012 Foulées désul­toires aux Edi­tions du Cygne, puis, en 2013, A Con­tre murailles aux Edi­tions du Lit­téraire, où a paru, au mois de juin 2017, Le Sur­sis en con­séquence. En 2016, La Chou­croute alsa­ci­enne paraît aux Edi­tions L’âne qui butine, et Qomme ques­tions, de et à Jean-Jacques Tachd­jian par Van­i­na Pin­ter, Car­ole Car­ci­lo Mes­ro­bian, Céline Delavaux, Jean-Pierre Duplan, Flo­rence Laly, Chris­tine Tara­nov,  aux Edi­tions La chi­enne Edith. Elle est égale­ment l’au­teure d’Aper­ture du silence (2018) et Onto­genèse des bris (2019), chez PhB Edi­tions. Cette même année 2019 paraît A part l’élan, avec Jean-Jacques Tachd­jian, aux Edi­tions La Chi­enne, et Fem mal avec Wan­da Mihuleac, aux édi­tions Tran­signum ; en 2020 dans la col­lec­tion La Diag­o­nale de l’écrivain, Agence­ment du désert, paru chez Z4 édi­tions, et Octo­bre, un recueil écrit avec Alain Bris­si­aud paru chez PhB édi­tions. nihIL, est pub­lié chez Unic­ité en 2021, et De nihi­lo nihil en jan­vi­er 2022 chez tar­mac. A paraître aux édi­tions Unic­ité, L’Ourlet des murs, en mars 2022. Elle par­ticipe aux antholo­gies Dehors (2016,Editions Janus), Appa­raître (2018, Terre à ciel) De l’hu­main pour les migrants (2018, Edi­tions Jacques Fla­mand) Esprit d’ar­bre, (2018, Edi­tions pourquoi viens-tu si tard), Le Chant du cygne, (2020, Edi­tions du cygne), Le Courage des vivants (2020, Jacques André édi­teur), Antholo­gie Dire oui (2020, Terre à ciel), Voix de femmes, antholo­gie de poésie fémi­nine con­tem­po­raine, (2020, Pli­may). Par­al­lèle­ment parais­sent des textes inédits ain­si que des cri­tiques ou entre­tiens sur les sites Recours au Poème, Le Cap­i­tal des mots, Poe­siemuz­icetc., Le Lit­téraire, le Salon Lit­téraire, Décharge, Tex­ture, Sitaud­is, De l’art helvé­tique con­tem­po­rain, Libelle, L’Atelier de l’ag­neau, Décharge, Pas­sage d’en­cres, Test n°17, Créa­tures , For­mules, Cahi­er de la rue Ven­tu­ra, Libr-cri­tique, Sitaud­is, Créa­tures, Gare Mar­itime, Chroniques du ça et là, La vie man­i­feste, Fran­copo­lis, Poésie pre­mière, L’Intranquille., le Ven­tre et l’or­eille, Point con­tem­po­rain. Elle est l’auteure de la qua­trième de cou­ver­ture des Jusqu’au cœur d’Alain Bris­si­aud, et des pré­faces de Mémoire vive des replis de Mar­i­lyne Bertonci­ni et de Femme con­serve de Bluma Finkel­stein. Auprès de Mar­i­lyne bertonci­ni elle co-dirige la revue de poésie en ligne Recours au poème depuis 2016. Elle est secré­taire générale des édi­tions Tran­signum, dirige les édi­tions Oxy­bia crées par régis Daubin, et est con­cep­trice, réal­isatrice et ani­ma­trice de l’émis­sion et pod­cast L’ire Du Dire dif­fusée sur radio Fréquence Paris Plurielle, 106.3 FM.

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