Un lien comme une terre de l’enfance, la création appelle l’imaginaire qui renoue avec ces possibles ?
Oui, l’imaginaire… dans ces nouvelles se développe un ensemble de sensations, une présence tactile, auditive, visuelle, une ramification d’une nouvelle à l’autre sur les perceptions sensorielles. Ce n’est pas un hasard si je cite le dernier livre inachevé d’Italo Calvino, Sous un soleil jaguar. Son projet était d’écrire cinq textes, chacun dédié à un sens.
Avec un imaginaire qui s’est greffé dans quelque chose de l’Italie, une Italie rêvée du soleil… ?
Un soleil tragique, cette lourdeur du soleil qui calcine. Plusieurs nouvelles de ce recueil ont été écrites à une époque où j’allais souvent en Italie. Une terre qui représente bien le creuset méditerranéen…
Soleil tragique, comme le poids d’un père qui va poser le langage… la référence solaire, le fait de s’approprier les mots… Philippe Jaffeux me dit « je ne peux pas te dédicacer ce livre, j’ai l’impression de trahir mon père parce que quand j’écris, c’est à mon père que je parle. » Cette fonction paternelle du verbe et de l’accès de l’enfant à la parole aussi il y a quelque chose qui se joue ici, on parle du soleil, on parle de cette pluralité de voix et de directions, comme peut-être un feu d’artifice où un enfant qui aurait été autorisé à s’approprier le char de Phaéton ou qui aurait été interdit et qui s’octroie le droit avec des zones de chute et des désirs de meurtres…
Les dernières nouvelles du recueil, à résonance italienne, expriment ce que tu dis, il y a un une double référence au paternel et au maternel. Un dyptique caché qui donne peut-être un accent psychanalytique, si je puis dire… Dans L’exécution, c’est un type qui écrit des romans policiers, il est en quête d’inspiration, il ne veut pas tomber dans le récit biographique, et c’est ce que je fais en glissant quelque chose de personnel dans le récit, il y avait un interdit dans mon enfance : pas de jouet représentant une arme, des armes comme les mots, je reviens à ce que tu suggérais comme hypothèse sur le fait d’écrire… L’Exposition est du côté maternel, la nouvelle la plus violente de Sol perdu, dans le rapport inconscient que cela suppose au maternel, dans cette violence d’une forme d’infanticide…
Ce recueil est une espèce de synopsis de ce que tu as fait, des directions multiples, d’ouvrir au sens de la rencontre et de la juxtaposition, elles fonctionennt comme ça en interne le recueil au milieu de ce que tu as fait le çà et là, l’édition, ton désir d’aller dans tous les sens pour interroger le réel…
J’ai mis en rapport des espaces mentaux différents.
Pour revenir au baroque, ou au contraste entre chaque nouvelle, je pense à La machine à écrire qui joue sur la question du sens formel, de la forme naît le sens ; il y a également Au marché de l’art, où j’essaie de cerner une impression plus volatile sur cette perturbation dans la perception du réel. Une incertitude où soudain je ne sais plus donner un statut à ce que je vois, je suis dans l’ambiguïté d’un monde qui se dérobe, devenu illisible…
Tu vas écrire de la poésie ?
En 1973, j’ai publié une plaquette « Le Pacte intérieur » chez Caractères. Ecrire de la poésie est le thème de mon deuxième roman, Victoria & Cie. Le personnage est en quête d’inspiration. C’est une manière d’évoquer plusieurs conceptions de la poésie, disons pour aller vite de l’univers charien, la quête de l’être heideggerien au poème atomisé, jusqu’au lettrisme. J’y raconte ma rencontre avec Bruno Durocher des éditions Caractères, puis ma rencontre avec GLM, Guy Lévis Mano, l’éditeur avant guerre de Char, Eluard, Michaux… le typographe et poète Guy Lévis Mano qui me livrait ses explications sur la mise en page, et l’art de faire fonctionner sa presse typographique Victoria – machine identique à celle que j’avais achetée quand j’étais imprimeur-typographe, d’où bien sûr le titre du roman, Victoria & Cie…
Pour écrire des poèmes, il me faut être dans un espace autre que celui où je suis à Paris. Je ne peux pas écrire à Paris actuellement. Ecrire un poème nécessite une disponibilité intérieure… que je n’ai pas ici, maintenant, j’ai besoin de quelque chose lié au sentiment de la nature que je trouve en Bretagne… A la différence ce que je pouvais ressentir il y a une trentaine d’années à travers la capitale, sans doute cette non-disponibilité est due à la situation parisienne, politique, il y a une pesanteur. D’ailleurs c’est la même chose pour la lecture, je me sens moins disponible pour lire des romans, et puis j’ai passé ma vie à lire, puisque j’étais correcteur…
J’ai changé de style pour la poésie, je suis parfois dans une atmosphère plus ascétique, quelques lignes…
Comment expliques-tu ce changement, c’est quoi ?
Je travaille plutôt la forme courte, je n’ose pas employer un mot galvaudé haïku. La poésie est quelque chose de concentré, à haute densité, comme un trou noir qui attire la lumière des mots… Il me semble que le poème dit quelque chose d’une tension psychique profonde mise en mots… avec des repères parfois attachés à la mythologie, ou à la géographie, je suis particulièrement sensible à la géopoétique, conceptualisée par Kenneth White.
C’est quoi la poésie à part le trou noir ? C’est le langage qui dérape ?
Je ne sais pas. Sans être mystique, il y a un mystère dans l’expérience poétique…