Cet entretien avec le poète bengali Shuhrid Shahidullah était programmé depuis longtemps, mais l’actualité politique récente, et les crimes et intimidations répétés contre des écrivains et des éditeurs au Bangladesh, jusque dans les allées de la grande Foire du livre d’Ekushey*, donne à ce témoignage et à cette analyse de la situation de la culture dans ce pays un écho particulier que nous souhaitions partager avec nos lecteurs. (English version follows)
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Marilyne Bertoncini : Shuhrid, merci d’accepter cet entretien pour Recours au Poème. J’avais préparé quelques questions pour toi, et je me suis rendu compte que tu pouvais avoir envie de répondre aussi au questionnaire intitulé “Contre le Simulacre”, que nous avons proposé à des poètes français sur l’état de l’esprit poétique en France – mais dont le thème me semble toucher plus largement le monde. Sens-toi libre de répondre aux questions que tu préfères, comme tu l’entends.
Tu as déjà publié des poèmes sur ces pages il y a quelques années, et nos lecteurs auront certainement été surpris par ta poésie, très différente de l’idée que l’on s’en fait habituellement : pas de lyrisme, pas d’images brillantes, mais une profonde préoccupation politique pour le monde, ton pays et tes compatriotes : peux-tu nous expliquer en quelques mots la situation politique et historique de ton pays, et ses liens avec ta poésie?
Shuhrid : Je suis un poète imparfait, dans un monde imparfait. Mon pays, le Bangladesh, en fait partie. Il est considéré comme un pays du Tiers-Monde, situé en Asie du Sud. Historiquement, dans la société de l’Asie du Sud, l’acquisition du savoir et de la sagesse prévalait fortement sur la pratique d’autres professions, comme le commerce – La société était paisible et non-violente. C’était une économie de type agricole. Nous n’envahissions aucun pays, alors. Mais nous avons été envahis de nombreuses fois, par des puissances étrangères, dont les Moghols, et bien sûr, les Européens (Hollandais, Français, Britanniques). Les Européens sont venus ici tenter leur chance dans le commerce. Plus tard, avec l’argent et la violence, ils se sont ingéniés pour devenir les maîtres de cette région. Les Britanniques nous ont dirigés pendant deux cents ans, de 1757 à 1947. Ils sont parvenus à détruire notre système d’éducation et nous ont gentiment offert un système éducatif qui forme des fonctionnaires au service du royaume de Sa Majesté.
Le Bangladesh a gagné son indépendance du Pakistan en 1971, après une sanglante guerre de libération qui a coûté la vie à 3 millions de Bengalis. En terme de dimension de massacre en un temps limité, il s’agit du deuxième plus grand génocide depuis la deuxième Guerre Mondiale. Auparavant, nous avons été la première nation à donner notre sang pour maintenir l’honneur de notre langue maternelle Bengali, que nous appelons Bangla. Le 21 février a été déclaré Jour International de notre Langue Maternelle par les Nations Unies.
On voit ainsi que, bien qu’étant une nation pacifique, nous avons subi de nombreux tourments politiques. L’histoire de mon pays est à la fois glorieuse et frustrante. Après l’indépendance, la plupart du temps, nous avons été dirigés par des juntes militaires soutenues par les puissances du monde. Depuis les années 90, nous avons ce qu’on peut appeler un gouvernement démocratique avec une brève interruption en 2007–2008, quand un gouvernement soutenu par les militaires est arrivé au pouvoir. Mais la classe dirigeante de ce pays est le porte-drapeau d’enjeux étrangers. Nous disions adieu au colonialime en 1957, mais nous portons toujours cette histoire dans notre sang. Au nom de l’aide humanitaire et du développement, le colonialisme est encore très présent dans ce pays. Seuls 64% des gens savent écrire leur nom, et partant de là, nous déclarons que 64% de la population est éduquée. De par sa position stratégique géo-politique, le Bangladesh fait partie des plans prioritaires des superpuissances. C’est pourquoi nous subissons si souvent l’impact des politiques globales.
Du point de vue économique, il y a un fossé toujours plus grand entre ceux qui possèdent quelque chose et les autres. L’exploitation traverse toute la société, empêchant mon peuple de développer pleinement des qualités humaines.
La beauté de cette nation est qu’elle ne se plaint même pas vraiment. L’influence du soufisme et du baulisme** rend mes compatriotes indifférents à la vie terrestre. Ceci rend mon peuple indifférent à la vie terrestre. Ils ont toujours été plus mystiques que religieux. Toutefois, le récent essor du fondamentalisme religieux a lui aussi laissé des traces. Ces dernières années, des écrivains ont été tués ; un grand nombre d’entre eux est en danger. L’état utilise la censure, bannissant des livres, arrêtant des auteurs.
Ceci a un rapport avec ma poésie. Je veux intégrer ces faits à mes poèmes, de façon poétique. Le traumatisme colonial, le conflit politique, l’extrémisme, l’omniprésente exploitation de mon peuple, les enjeux globaux des structures de pouvoir, tout ce qui a lieu dans le monde et aux franges de celui-ci, je veux que tout ceci fasse partie de mes poèmes. Je veux révéler ce qui est caché sous la surface. Je veux décoder les significations pour les encoder dans des sens différents. Ainsi, mes poèmes ne sont pas un blog politique, je suis à la fois politique et apolitique. Je mène la vie de la petite bourgeoisie, mais je rêve qu’un jour le prolétariat s’unira et me chassera de ma zone de confort. Ils mettront le feu au bureau sur lequel j’écris. Je veux voir si mes mots survivront à ce feu ou deviendront des cendres. Tous mes poèmes sont des prières trompeuses – la spiritualité d’un non-croyant.
L’une de tes façons d’être engagé dans la vie politique et littéraire de ton pays est ton activité de rédacteur en chef – peux-tu nous parler de ces activités et de la scène littéraire au Bangladesh?
Depuis 16 ans, nous publions un petit magazine nommé Shirdanra (colonne vertébrale). Je suis l’un des co-fondateurs de cette revue. Nous la dirigeons collectivement. Ahmed Nakib et Laku Rashman sont mes coéditeurs. L’un est un poète prolifique et l’autre un cinéaste. Nous avons aussi un éditeur qui travaille dans le même esprit : Ulukhar Publications. Notre ami Sagar Nil Knan, propriétaire de cette maison d’éditions, publie des auteurs marginaux, qui n’écrivent que dans de petites revues et ignorent la tentation de devenir des écrivains connus sur la scène littéraire grand public. Pour autant que je sache, Ulukhar est la seule maison d’édition du pays qui agisse ainsi pour les auteurs marginaux, en courant le risque de pertes financières.
Franchement, je ne suis pas satisfait de ce que nous avons fait jusqu’à présent avec ce magazine. Au Bangladesh, l’intérêt pour la littérature dans la société n’est pas très significatif. Je citerais Hanif Qureshi : “Autrefois, il y avait de la culture, maintenant, il y a les achats.” Sans doute est-ce un jugement un peu exagéré pour mon pays où tant d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Mais l’influence de la société consumériste est très présente. Nous avons échoué à pourvoir le plus grand nombre avec une éducation correcte. Et ils n’ont rien à faire de la poésie. Les autres, les gens prétendument cultivés, ne veulent plus penser. Ils veulent des distractions bas de gamme, qui ne requièrent pas de réflexion. Ils ont la télé et Facebook pour se distraire. Dans le même temps, les gens se tournent de plus en plus vers la religion depuis les attentats du 9/11 aux USA. Il y a un mélange bizarre d’économie émergente dans le cadre culturel d’un marché ouvert envahissant.
La littérature grand public aussi est influencée par ces faits. De plus, elle est contrôlée par les maisons d’édition populistes du Bangladesh. Ainsi, la littérature grand public sert les buts du marché. ShirdaNra voulait être une plateforme alternative pour de jeunes écrivains. Nous espérions qu’ils provoqueraient une arrivée de colère explosive avec des pensées neuves et de l’énergie pour la société. Pas seulement par le contenu, nous espérions que les jeunes poètes surgiraient aussi avec des formes d’avant-garde. Comme notre but n’est pas de servir le marché, mais plutôt de créer une voix critique capable de défier l’establishment, nous sommes d’une certaine façon marginalisés sur la scène littéraire. Toutefois, nous ne sommes pas encore déçus. En tant qu’éditeur, je veux que mon magazine demeure la plateforme alternative pour des écrivains potentiels.
Si tu devais définir la poésie en quelques mots, que dirais-tu ?
Pour moi, la poésie est l’épanchement d’une âme blessée qui saigne. L’âme est blessée parce qu’on lui a interdit de se développer pour elle. La poésie est un désir de beauté cosmique. Mais le monde a dressé de nombreux murs devant nos yeux pour nous empêcher de le voir dans tout son éclat. Notre âme essaie de les pousser sans cesse – et se blesse. Sans la lumière de la beauté cosmique, elle demeure incomplète. Elle pleure. Ces pleurs de l’âme, nous les appelons poésie.
D’un autre côté, la poésie est aussi pour moi un miroir magique. Quand je me tiens devant, j’y vois un être préhistorique, un tueur rusé qui se ment à lui-même. C’est le moi qui a perdu la capacité d’aimer, même soi. De l’autre côté du miroir, niant la chaleur du mercure qui brûle, la beauté attend de m’embrasser. Atteindre ses bras est mon but ultime. Mais le miroir est si magique qu’il ne me laissera jamais le traverser. La poésie n’est pas la beauté elle-même ; elle est promesse de la beauté jamais rencontrée.
Voici le questionnaire Contre le Simulacre — Enquête sur l’état de l’esprit poétique contemporain :
1) Recours au Poème affirme l’idée d’une poésie conçue comme action politique et méta-poétique révolutionnaire : et vous ? (vous pouvez, naturellement, ne pas être en accord avec nous, ou à être d’accord dans un sens diamétralement opposé au nôtre)
Je vous rejoins jusqu’à un certain point. Tout est politique. La poésie est l’essence de ce “tout”. Ainsi elle ne peut être que politique. Le nier serait inhumain. Mais l’important est de savoir quelle politique on défend. La poésie peut aussi être un instrument d’exploitation. Elle peut être utilisée contre l’homme et la nature, comme d’autres formes d’art, le cinéma par exemple.
En lien avec ceci et la méta-poétique révolutionnaire, j’aimerais pouvoir te lire mon dernier livre, paru en février. La traduction anglaise de ce long poème est “L’Emergence du Camp de la Mort”. Le fond est très politique. Il traite de l’inhumanité qui envahit le monde et mon pays. Mais en même temps, c’est un projet ambitieux sur le plan de la forme également. Il défie la forme traditionnelle de la poésie. Non, il n’est pas expérimental. Il est plus que cela. Commençant par une interprétation traditionnelle des muses, il se met à délirer. Il utilise le discours racoleur d’un vendeur de rues, des études de cas tirés d’un projet de recherche, des dialogues de cinéma, des collages et des montages, bribes de romans, pointillisme pictural etc. Hélas, le poème n’est pas traduisible ; il fourmille de références locales qui perdraient leur force dans la traduction. C’est le sort de mes nombreux poèmes.
2) « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Cette affirmation de Hölderlin parait-elle d’actualité ?
C’est naturel – c’est ce qui est beau dans la nature. C’est ainsi que la nature maintient son équilibre. Mais de nos jours, nous tentons d’être plus forts qu’elle. Rien n’est garanti entre les mains de l’homme. Nous sommes des dangers en croissance qui bloquent tous les moyens de guérir. La poésie est le seul remède qui reste au monde. Et elle est en grand danger maintenant, elle aussi. Peu lisent la poésie de nos jours. Autant que je sache, Recours au Poème a dû cesser son activité d’éditions. Je n’en connais pas la raison précise, mais je peux imaginer que le manque de lecteurs est l’une des principales raisons. Dans mon pays, réputé comme très cultivé et poétique, les livres de poésie les plus vendus sont tirés à 500 exemplaires. Oui, cinq cents, dans un pays de 160 millions d’habitants.
Ainsi, je doute fort que l’optimisme prophétique d’Hölderlin soit encore à l’ordre du jour. Le seul remède que je vois aujourd’hui est la destruction. La complète destruction de la prétendue civilisation humaine et l’émergence d’une nouvelle civilisation, si nous en avons encore le désir.
3) « Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; – sans poésie, jamais ; et ceux d’entre vous qui disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas ». Placez-vous la poésie à la hauteur de cette pensée de Baudelaire ?
J’aimerais pouvoir le dire pour moi-même. Comme déclaration, c’est tellement puissant que seul un génie poétique comme Baudelaire peut le dire. Laisse-moi citer l’un de nos poètes ( Sukanta Bhattachariya, mort en 1947, seulement âgé de 21 ans). Il a dit : “O, poésie, je t’abandonne maintenant ; dans le royaume de la faim, le monde est prosaïque : même la pleine lune ressemble à un rooti grillé” (pain rond traditionnel).
Je peux vivre trois jours sans pain, bien sûr, si je peux avoir du riz à la place. Ah, ah, ah ! Mais je peux survivre aussi bien des jours sans poésie. En tant que forme artistique, je suis plus intéressé par le cinéma que par la poésie. Malheureusement, je ne peux pas faire de films. Je peux seulement écrire de la poésie, de la poésie imparfaite, plus précisément, comme je te le disais plus tôt. Je peux m’arrêter n’importe quand d’écrire de la poésie et me lancer dans le commerce d’esclaves, comme Rimbaud, le premier visionnaire. Au marché des esclaves, ma première affaire serait de me vendre moi-même. Mais si je pense à moi-même, c’est ce que je fais chaque jour. Me vendre sous une forme différente, c’est le mot qui signifie maintenir une famille, avoir la paix en société, essayer d’être un bon citoyen et un consommateur privilégié du marché mondialisé où vous avez toujours “deux pour le prix d’un”.
A la fin, c’est toujours la poésie qui me rappelle que je suis encore un être humain, et qu’une chose reste à vendre. C’est mon âme blessée qui me pousse à écrire de la poésie, ou lire au milieu de la nuit, après avoir regardé les débats télévisés de politique, les débats académiques sur le génocide et l’immigration illégale, sur les chaînes télévisées, et la pornographie sur internet. Pendant longtemps, la vie a été enchaînée, partielle et déformée. Je ne suis pas certain que la poésie ait tant de pertinence ici.
Mais je suis tout à fait d’accord avec la fin de la déclaration, quand Baudelaire écrit “ils ne savent pas, ils ne se connaissent pas. Je suis l’un d’entre eux.” Et j’adore Baudelaire.
4) Dans Préface, texte communément connu sous le titre La leçon de poésie, Léo Ferré chante : « La poésie contemporaine ne chante plus, elle rampe (…) A l’école de la poésie, on n’apprend pas. ON SE BAT ! ». Rampez-vous, ou vous battez-vous ?
J’ai étudié la littérature anglaise. Mais je n’ai rien appris sur la poésie grâce à mes professeurs et à l’institution, sinon un sorte de jargon. Je n’y retournerais pas. Je préférerais me battre plutôt que de faire des devoirs. Je veux apprendre de la vie. Et la vie est pleine de chaos. Avoir un instinct de lutteur peut y être utile. L’histoire de la poésie est une histoire de révolte. Si vous êtes un bon élève docile à l’école de la poésie, alors, vous avortez la terrible naissance d’un nouveau poème ; dans ce cas, vous ne faites que répéter vos grand-parents-poètes.
5) Une question double, pour terminer : Pourquoi des poètes (Heidegger) ? En prolongement de la belle phrase (détournée) de Bernanos : la poésie, pour quoi faire ?
Les poètes ne m’intéressent pas particulièrement. Je ne les trouve pas différents des autres hommes. Dans ce cas, j’aimerais répéter M. Heidegger un peu différemment : “L’homme, pour quoi faire?” Toutefois, j’aimerais creuser la question “La poésie, pour quoi faire?” Dans le monde ordinaire, la poésie a un rôle. Le premier rôle de la poésie est le sabotage. Saboter le code établi du monde, le langage fixé qui forme et gouverne notre conscient et notre subconscient. Le role de la poésie est donc l’anarchie ; douter de tout ce que la civilisation veut nous enseigner. Alors, un espace pour une vraie créativité émergera et la pésie sera de nouveau capable de chanter pour les muses. Le sens général de la vie est quelque peu stagnant de nos jours. Nous nous répétons et nous imitons. La poésie peut révéler la vérité profonde de la vie et nous informer que ce n’est pas du tout “notre” vie. Nous vivons d’autres vies que les nôtres. Dans les dysfonctionnements de la grande philosophie qui inclut les religions, la poésie reste seule pour nous parler de la vie dont nous voulions jouir, et que nous n’aurons jamais tant que nous vivrons.
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**(les Bauls sont un groupe de ménestrels bengalis mystiques qui couvre l’état indien du Bengale de l’Ouest et le Bangladesh. Les Bauls sont à la fois une secte religieuse syncrétique et une tradition musicale. C’est un groupe hétérogène, comprenant de nombreuses sectes, mais ses membres sont principalement des hindous Vaishnava et des soufis musulmans.)
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Shuhrid Shahidullah (né en 1975 en Kushtie, Bangladesh) est l’une des voix les plus originales et les plus puissantes de la scène poétique bengali de ce nouveau millénaire. Il a déjà publié cinq recueils, dont le premier, Autobiographie du Dieu, publié en Inde en 2001. Ses écrits et poèmes font partie de son engagement contre l’establishment littéraire et culturel Shirdanra.….… (Epine Dorsale), petite revue coéditée par lui, est devenue une plateforme influente pour les jeunes poètes d’avant-garde au Bangladesh. Il traduit et publie régulièrement des textes de la littérature mondiale, dont un dossier spécial sur les poètes roumains des années 90, ainsi que d’autres poètes européens contemporains. Sa principale traduction en Bengali inclut les Lettres à un Jeune Poète de Rainer Maria Rilke. Il travaille actuellement à son premier roman, traduit La Maison en Lames de Rasoir de Linda Maria Baros et prépare, avec la poète Marilyne Bertoncini, une anthologie bilingue de ses poèmes (français-anglais) à paraître. Invité au Festival International de Poésie à Paris en 2014, il a présenté ses poèmes, publiés dans La Traductière.
Titulaire d’une maîtrise en littérature anglaise de l’université de Calcutta, il travaille dans les bureaux bangladais du NETZ, organisation basée en Allemagne, chargée de l’amélioration du niveau de vie, de l’éducation et des droits civiques des plus démunis au Bangladesh.
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This interview with Bengali poet Shuhrid Shahidullah, from Bangladesh, had been scheduled a long time ago, but the recent news – violence and intimidation against publishers and writers even at the Book Fair in Elkushey, Bangladesh, gives this testimony and analysis of the cultural situation in this country a peculiar echo – we are glad to share it with our readers.
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Shuhrid, thank you for accepting this interview for Recours au Poème. I wrote a few questions for you, and realized that you could wish to answer the questions we proposed to other French poets for our inquiry intitled “Against Simulacrum” – here are both mine questions for you, and the inquiry (broad characters) Feel free to answer to the questions you prefer, the way you want.
You already published a few years ago on these pages, and our readers will surely have been surprised at your poetry, which is very different from the usual idea of what poetry should be : no lyrics, no brilliant images, but a deep political concern for the world and your country and fellowmen : can you tell a few words about your country’s story and political situation, and their link to your poetry?
Shuhrid: I am an imperfect poet in an imperfect world. My country, Bangladesh is a part of this world. It is labelled as one of the third world countries and located in South Asia. In South Asia, historically we had a society where acquiring knowledge/wisdom was strongly encouraged compared to trading or other professions. The society was also peace-loving and simple living. It has been an agro-based economy. We did not invade any country anytime. But we had been invaded times and again by different foreign powers including, Mughals, and of course by the Europeans (Dutch, French, Britishers. Eouropeans came here to try their luck in trade. Later on, they used their brain with money and brutality to be the ruler of the region. British ruled us for two hundred years from 1757 to 1947. They had successsfully destroyed our education system and kindly offered us an education system to produce clercs to serve the Queen’s kingdom.
As a separate country, Bangladesh gained its independance in 1971 from Pakistan after a bloody liberation war. It cost 3 million lives of Bangladeshi people. In term of largest genocide in a given time, this has been the second largest genocide after the second world war. Before that we have been arguably the first nation to sacrfice blood to uphold the honour of our mother tongue Bengali, we say Bangla. That very day 21st February has been given the status of International Mother Languge Day by the United Nations.
So you can see, although we were a peace-loving nation, we had to suffer lot of political turmoil. History of my country has been glorious and frustrating at the same time. After independence, most of the time, we had been ruled by the military juntas supported by the big power houses of the world. Since 1990s, we have a so called democratic government with a short break in 2007–8 when a military backed non-elected government was in power. But the ruling class in the country are the flag bearers of the foreign game makers. We said ‚bye‘ to colonialism in 1957 but we still bear that history in our blood. In the name of humanitarian and development aid, colonialism has a strong presence in the country. Only 64% of the people can write their name and by dint of that we claimed that we have 64% literate population. For its strategic geo-political position, Bangladesh is in master plan of the super powers. So we are often impacted by the global politics.
As an economy, there is an ever increasing gap between haves and have-nots. Exploitation is pervasive across the society. It denies my people to achieve the full quality of human being.
But the beauty of the nation is that it does not complain that much. The influence of sufism and Baulism ( The Baul are a group of mystic minstrels from Bengal which includes Indian State of West Bengal and the country of Bangladesh. Bauls constitute both a syncretic religious sect and a musical tradition. Bauls are a very heterogeneous group, with many sects, but their membership mainly consists of Vaishnava Hindus and Sufi Muslims.) This makes my people indifferent to the worldly life. They have been more spiritual than religious. But the recent development of religious fundamentalism has left its marks on it also. Last few years, numbers of writers were killed; scores are in threat. State has also been restrictive; banning number of books, arresting writers.
It is all related to my poetry. I want to internalize them in my poems in poetic way. The colonial trauma, political conflict, extremity, pervasive exploitation of my people, the global game of power structures, everything that is taking place in the world and outer side of the world, I want their share in my poems. I want to get them from their deeper surface. I want to decode their meaning only to encode them into different meaning. So, my poems are not a political blog. I am political and apolitical at the same time. I lead the life of a middle class but I dream someday proletariats will come together and kick me out from my comfort zone. They will set fire on my writing table. I want to see whether my words survive in that fire or turn into ashes. My poems are all disguised, self-deceiving prayers; spirituality of a non-believer. .
One of the ways in which you are concerned in your country’s litteraty and political life is your implication as an editor – can you tell us more about your activities and the litteraty scene in Bengladesh?
Shuhrid: These last 16 years, we have been publishing a little magazine called Shirdanra (Backbone). I am one of the founding editors of the magazine. We run it as a teamwork. Now Ahmed Nakib and Laku Rashman are my co-editors. Both of them are prolific poet and film maker respectively. We have also a like-minded publisher here; Ulukhar Publications. Our friend Sagar Nil Khan, the owner of the publishing house publishes books from the off-beat writers only who write only in little magazine and ignore all temptations to be a writer in the so called mainstream literary scene.So far I know Ulukhar is the only publishing house in the country who are doing this for the off-beat writer; taking risk of financial loss.
Frankly speaking, I am not satisfied what we have done so far with the magazine. In Bangladesh, stake of literature in the society is not that significant now. Let me quote Hanif Qureshi: once there was culture now there is shopping.This will be a little bit exagerated for my country though, with huge number of people under poverty line. But the influence of a consumerist society is very much present there. We failed to provide proper education to the larger number of people. So they do not bother about poetry. The rest, the so called educated people do not want to think any more. They need cheap entertainment which does not require thinking. They have television and facebooking for their entertainment. People are getting themselves more into religion at the same time after 9/11 phenomenon in USA. A strange combination of an emerging economy in the time of pervasive open-market culture.
Mainstream literature is also influenced by that. Additionally, it is controlled by the populist media houses in Bangladesh. So the mainstream literature is serving the purpose of the market.
ShirdaNra wanted to be an alternative platform for the young writer. We expected them to be angry and explosive coming up with fresh thoughts and energy for the society. Not only content wise , our expectation is that young poets will also come up with avante-garde form also. As our purpose is not to serve the market rather creating critical voice who will challenge the establishment, we are somehow, marginalised on the literary scene. However, we are not frustrated yet. As an editor, I can see my magazine will remain the alternative platform for the potential writers.
If you had to give a definition of poetry, in few words, what would it be?
Shuhrid: Poetry, to me, is the bleeding expressions of a wounded soul. The soul is wounded because it has been denied to be completed itself. Poetry is a thrust for the cosmic beauty. But the world has set lot of walls before our eyes to stop us to see it in full bloom. Our souls try to it push it again and again and got wounded. Without the light of the cosmic beauty it remains incomplete. It cries. We name the tears of the soul as poetry.
On the other hand, poetry to me is also a magic mirror. When I stand before it I can see a pre-historical shrewed and self-deceivng killer being. That’s me who has lost power to love even himself. Other end of the mirror, denying the heat of the burning mercury, beauty waits to embrace me. To reach in her arms is my ultimate goal. But the mirror is so magical it will never allow me to pass through it. Poetry is not the beauty herself; she is the promise of the beauty never met.
1) Recours au Poème defends the idea that poetry is at the same time a political action and a revolutionnary metapoetics – waht do you think of this position (and you can be in complete opposition to this idea)
Shuhrid: I support your position to some extent. Everything is political. Poetry is the essence of that ‘everthing‘. So it has no other way but to be political. Denying this fact is inhumane. But the important question is which politics are you defending. Poetry can be used as an exploitive tools also. It can be used against man kind and nature like other form of arts i.e. example films.
In relation to this and to revolutionnary metapoetics, I wish I could read you my latest book came this February. The English translation of the long poem is „The Emerging Deathcamp“. Content wise it is very much political. It deals with the theme of the current pervasive inhumanity world wide and my country. But at the same time it is an ambitious project of the poetic form itself. It has challenges the traditional form of poetry. No, it is not experimental. It is more than that. It has started with an traditional rendition of muse but after that it went mad. It has used canvassing of a street hawker (seller), case studies of research project, cinema’s dialogue and collage and montage, parts of novels, pointilism of paintaings and so on. Unfortunately, the poem is untranslatable; it is full of local reference which will lose its strength in translation. It happened to translations of my many poems.
2) “Where danger grows, there also grows what heals” says Hölderlin – Do you think it is still topical?
Shuhrid: That is natural– beauty of the nature. That’s how nature keeps it balance. But nowadays we are trying to outsmart nature. Nothing is secured in the hands of man. We are increasing dangers and preventing all the paths of healing. Poetry is the only healing system left in the world now. That is also in great danger as people say. Few read poetry nowadays. So far as I know, Recours au Poeme had to stop its e‑book project. I am not sure of the exact reason but I can guess absence of readers is one of the major reasons. In my country, known as very cultural and poetic, the best selling poetry books is printed only in 500. Yes five hundreds in the country of 160 million of people.
So I strongly doubt that the prophetic optimism of Holderlin is still topical. The only healing I can see now is destruction. Complete destruction of the so called human civilisation and an emergence of a new civilisation if we have still thirst for that.
3) Baudelaire wrote : “You can live without bread for three days – note without poetry ; those among you who pretend the contrary are wrong : they don’t know themselves.“Do you consider poetry the way Baudelaire did?
Shuhrid: I wish I could say that for myself. As a statement it is too strong that only a poetic god like Baudelaire can utter it. Let me quote from one of the poets from my language (Sukanta Bhattachariya; who died in 1947 at 21 only). He said, Oh poetry, I am sending you on leave now in the realm of the hunger, the world is prosaic; even the fullmoon looks like a grilled rooti (local round bread).
I can live without bread for three days, of course, if I get rice istead. Ha ha ha. But I can survive so many days without poetry. As an art form, I am more interested in film than poetry. Unfortunately, I cannot make films. I can only write poetry, imperfect poetry, to be more specific. Any day I can stop writing poetry and go for slave business like Rimbaud, the first visionary. In the slave market, my first business could be to sell myself. But when I look back on myself, that is what I am doing every day. Selling myself in different form in the name of maintaining a family, having peace in the society, trying to be a good citizen and a benefitted consumer of a global market where you always ‚buy one get one free‘.
At the end of everything this is again poetry that reminds me that I am still a human being and one thing is still left to sell.That is my wounded soul which instructs me to write poetry or read it in the middle of the night after watching political talk shows, academic debate on genocide and illegal migration on television channel and pornography on the internet channel. For many days, life has been channelised, partial and deformed. I am not sure if poetry has that much relevance to it.
But I completely agree with the last part of the statement when Baudelaire says: they don;t know themselve. I am one of ‚them.‘ And I love Baudelaire.
4) In one of his songs, Leo Ferré says ” contemporary poetry doesn’t sing any more, it crawls (…) At the school of poetry, one doesn’t learn, BUT FIGHT”. What about you?
Shuhrid: I was a student of English literature. But thanks to my teachers and institutions I learnt nothing about poetry there, other than some jargon. I will never go there again. If I would have to go back to school, I would love to fight instead of preparing my assignments. I want to learn from life. And life is full of chaos. Having a fighting instinct can be helpful there. History of poetry is a history of revolt. If you are a good and obidient student of the school of poetry, then you stop or abort the terrible birth of a new poem; you mere repeat your grand—poets or parents in that case.
5) And in the end, could you answer the question : “Poets, what for? “(Heidegger) — on the same line as this sentence from Bernanos “Poetry, what for?”
Shuhrid: I am not that much interested about poets. I don’t see them different from other people. In that case, I would love to repeat Mr. Heideggeer in different way, „man, what for?“. However, I am very much eager to go deeper in to the question „Poetry, what for?“. In the current world, poetry has a role. The prime role of peotry is to sabotage. Sabotage the set code of the world, the set language that shape and governor our consciousness and subconsciuosness. The role of poetry is thus anarchic; disbeliveing everything that civilisation want to preach us. Then a space for real creativity will emerge and poetry will be able to sing for the muse gain. The comprehensive meaning of life is somehow stagnated now. We are repeating and imitating ourselves. Poetry can reveal the real truth about life to inform us that this is not ‚our‘ life at all. We are living the life of others. In the dysfunctionality of grand philosophy including religions, poetry is left alone to tell us about that life we wanted to enjoy but never get them in life-time.
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Shuhrid Shahidullah (born in 1975 in Kushtia, Bangladesh) is one of the freshest and most powerful voices in Bengali poetry scene in the new millennium. He has published five collections of poems until now. His first collection of poems (Autobiography of the God) was published from India in 2001. His poems and other writings are part of his ‘movement’ against the literary and cultural establishments. Shirdanra ( Backbone), a little magazine co-edited by him has become an influential platform for the young and avant-garde writers in Bangladesh. He also translates regularly from the works of the world literature. Lately, he translated and published a special dossier on ‘90s generation of Romanian poets along with other European contemporary poets. His major translation in bengali includs Letters to A Young Poet by Rainer Maria Rilke. Currently, he is working on his first novel and translating The House Made of Razor Blades by Linda Maria Baros. He is also working now with french poet Marilyne Bertoncini for his upcoming bilingual (english, french) anthology. He was invited to present his poems in Paris International poetry festival in 2014. La Traductere, the official publication of the festival published his poems in that occasion.
Shuhrid has a Master degree in English Litterature from University of Calcutta, India. Currently he is working in Bangladesh office of NETZ, a Germany based development organisation, to facilitate livelihood, education and human rights support for the extremely poor households in Bangladesh.
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