A force de contempler ce qu’elle contemple, l’âme devient ce qu’elle contemple.
Cette phrase du philosophe Plotin est à méditer pour saisir où se situe la « quête spirituelle » d’Enza Palamara.
Enza Palamara, universitaire spécialiste des œuvres de Baudelaire, Bonnefoy et Guillevic, passionnée par les liens et les correspondances entre peinture et poésie, a publié aux éditions Poesis un ouvrage, « inclassable » comme l’on dit. Fruit d’un travail accompli durant une laborieuse convalescence, dans lequel des dessins au fusain ont donné naissance à des mots, puis à des fragments poétiques, il se présente comme un triptyque encadré par un prélude et un postlude qui livrent les clés et l’analyse de cette aventure singulière de découverte et de reconquête de soi.
Les éditions POESIS, fondées en 2015 par Frédéric Brun, « se consacrent à la relation poétique avec le monde, au-delà des mots et de tout genre poétique. »
Enza Palamara, Ce que dit le Nuage, Editions Poesis.
C’est dans cette mystérieuse zone que se développe le travail d’Enza Palamara.
Chercher le Pays de l’âme, ce pays où, selon Plotin, cité par Bonnefoy dans L’arrière-pays, livre essentiel pour Enza Palamara :
Personne ne marcherait comme sur terre étrangère
est le sens de ce travail guidé par une impérieuse intuition, venue de l’enfance.
Avant le voyage proprement dit, voyage en trois étapes qui sont aussi trois chants, le prélude nous informe sur la démarche et la genèse. Nous allons assister à une expérience d’élévation au sens baudelairien, en suivant l’itinéraire de la guérison de l’âme lors d’une convalescence, corps et esprit éprouvant de manière similaire et distincte le retour à la vie.
Dès le prélude, nous sommes invités à partager l’aventure d’un voyage déjà accompli, à le revivre avec l’auteur. Les phases en sont élucidées avant même que l’on ne s’y engage.
La force qui la conduit passe par le dessin au fusain, dans les trois carnets qui jalonnent ce chemin intérieur : L’assomption du Moi, Le Rapatriement du monde, Le Chant de l’âme, et dans le « postlude », épilogue poétique.
Expérience mystique ? Des formules comme «L’assomption du Moi», «Le chant de l’âme», pourraient le laisser penser. Enza Palamara cherche le point où se rencontrent mysticisme, métaphysique, et poésie, mais dans la plus simple expression.
Au cœur du Nuage
ou de la vaste me
tu retrouves
les horizons qui te sont chers
et tu poursuis
ton œuvre
toujours attirée
au-delà de toi-même
Tu presses le Nuage
tu sillonnes la vaste mer
comme si
ton humble et pur
élan d’amour
voulait atteindre
l’univers
tout entier
Enza Palamara se livre à un travail de décryptage de ces messages venus du plus profond de soi.
Don qui se multiplie
Jaillissement
d’une source intérieure
intarissable
Le mode de travail est celui des « carnets », de la prise de notes.
C’est d’abord, dans un état de faiblesse physique dû à la maladie, pour imager son ressenti, pour noter par des croquis les messages qui lui parviennent. Les dessins n’illustrent pas les textes, c’est l’inverse : le texte naît de la note prise au fusain, dans l’urgence, d’une intuition venue du subconscient. Des dessins figuratifs accompagnant les « balbutiements ». Un retour à l’enfance pour approcher une vérité, sans chasser les maladresses, en en faisant même des outils.
Qui fait surgir
de mes doigt
ces images
semblables à celles
qui illuminaient mon enfance ?Résurrection
des émois
les plus tendres
À la recherche de son « vrai lieu », de sa patrie, l’âme parcourt un chemin où la guident les poètes qu’Enza Palamara désigne comme ses « figures tutélaires » : Baudelaire, Nerval, Bonnefoy, Jaccottet…
Les poèmes sont courts, comme les vers qui les composent. Le rapport entre la phrase et le vers est celui d’une hésitation, d’une rupture presque du rythme de la pensée, qui s’esquisse, puis se constitue, et s’énonce : ‘
Arbre
annonciateur
de chemins cachés
chemins de lumière
Chemins
qui répondent
à un appel
C’est ainsi que nous feuilletons un livre illustré, aux images simples, parfois naïves, «coloriées» dans la dernière partie, le « postlude », où elles deviennent enluminures, au moment où le message devient de plus en plus lumineux. Nous suivons l’auteur dans cette expérience régressive, comme vécue dans les limbes, acceptant gestes et mots d’enfant. Revenue d’un monde frontalier de la conscience, elle se livre à un déchiffrage et une transcription de ce qu’elle appelle «messages», et qui semblent des «prises de conscience» après l’égarement de la maladie.
La lecture, image et texte, est double et simultanée.
Le monde
des hauteurs
et son visage
souriant
Quel est ce Nuage protecteur et maiëuticien ? Il doit beaucoup, nous dit Enza Palamara, au Nuage de l’Inconnaissance, livre d’un mystique anglais anonyme du XIVéme siècle, qui évoque l’itinéraire ardu d’une élévation spirituelle.
Séjour mouvant
qui ne cesse d’advenir
dans un espace
sans limitesDemeure ouverte
et légère
bâtie sans cesse
par des battements
d’ailes
Acteur d’une réconciliation entre les hauteurs et la terre, il offre un havre où éprouver la relation au cosmos.
Dans le Nuage
l’existence
est une danse
une contemplation
en mouvementPlanète
en mouvement
Le Nuage
t’offre
toutes les métamorphosesVivre dans un nuage
n’est-ce pas
habiter
un vrai lieu ?
Sommes-nous dans un conte, une fable, un jeu de cartes ésotérique ?
Des personnages s’imposent, font signe, conduisent sur le chemin d’une révélation ou d’une prédiction, porteurs de forces. Le Roc, l’Arbre, le Ruisseau, la Dame, le Mage sont croisés et identifiés dans le troisième volet, Le chant de l’âme, et leur message est élucidé.
L’Arbre
Le Roc
attestent
ta présenceTu es au monde
et tout
au monde
résonne en toiEt les fleurs ?
Tu as souvent
l’étrange sentiment
d’être
de la même étoffe
que les fleursElles te disent
que tu es
tout ce que tu as vu
À l’idée d’habiter poétiquement le monde répond l’idée d’une âme constituée de ce qu’elle a vu et qui l’a enchantée.
La terre entière est devenue ma patrie
Tu portes en toi
les paysages aimésLes infinis visages
du vivant
se sont inscrits
dans ton êtreIls se manifestent
dans leur mystère
et leur intimité
Au terme de cette recherche hasardeuse et pourtant guidée…
Errante
Par les nuagesLes chemins
S’ouvrent
LégersChemin
sans chemin
où tu marches
sans laisser de traces
…surgit la récompense :
Tu bois
à la source même
la transparence
du matinTout comme
au premier jour
tu accueilles
les couleurs
du monde
Le lecteur est invité à devenir compagnon de route de ce voyage troublant à l’écoute du Nuage, vers un retour à la vie, par un retour en enfance.
Présentation de l’auteur
- Coralie Poch, Tailler sa flèche - 21 décembre 2022
- Réginald Gaillard, Hospitalité des gouffres - 21 janvier 2022
- La Maison de la Poésie Jean Joubert et ses partenaires en période de “distanciel” - 1 novembre 2021
- Enza Palamara, Ce que dit le nuage - 19 octobre 2020
- Impressions de lectrice sur quelques ouvrages de Marilyne Bertoncini - 6 mai 2020
- Estelle Fenzy, Gueule noire - 26 février 2020
- Frédéric Jacques TEMPLE, Poèmes en Archipel - 6 décembre 2019
- Patrick Laupin : Le Dernier Avenir, Poèmes - 23 novembre 2015