Éric Poindron, qui a dirigé les édi­tions Le Coq à l’âne avant de créer la col­lec­tion “Curiosa &caetera” au Cas­tor Astral est jour­nal­iste lit­téraire et auteur de nom­breux écrits comme L’é­trange ques­tion­naire, De l’é­gare­ment dans les livres, Ricar­do Frera, un pirate à caméra.

Ce texte inti­t­ulé Comme un bal de fan­tômes se présente comme une bal­lade lit­téraire ou une sorte d’in­ven­taire à la Prévert qui recense à la fois les choses aimées, tra­ver­sées, ren­con­trées. Par cer­tains côtés, il évoque un peu les “Notes de chevet” de la poétesse japon­aise Sei Shô­nagon où il s’ag­it de fix­er le ver­tige de l’in­stant. Le texte file et se déroule aus­si comme un voy­age en transsi­bérien où l’on prend le temps de rêver ou de s’é­gar­er à tra­vers des villes réelles ou imag­i­naires, comme un remède à la mélan­col­ie peut-être : “Un jour et toutes les nuits, habiter dans les trains qui filent comme des comètes”. Il se présente aus­si comme une sorte de canevas entremêlé de mul­ti­ples cita­tions où références bib­lio­philiques et de sen­sa­tions vécues, comme si l’ex­is­tence jamais ne pou­vait se dépar­tir du lit­téraire, car pour le poète “les mots ont bien tou­jours le dernier mot”.

Eric POINDRON, Comme un bal de fan­tômes, Cas­tor Astral, col­lec­tion “Curiosa & Caetera” , 2017 , 256 pages, 17€.

Tous ces fan­tômes que l’au­teur ne cesse de d’in­vo­quer représen­tent peut-être à la fois les dis­parus ren­con­trés et aimés mais aus­si ces com­pagnons lit­téraires qui ont su guider ses pas qu’ils soient illus­tres ou pas. Il se réfère en pre­mier lieu à Reverdy pour qui ” Rien ne vaut d’être dit en poésie que l’indi­ci­ble”. Au Japon, cet indi­ci­ble se nomme le Yügen, presque le mys­tère inef­fa­ble. Pour Eric Poindron, à l’in­star de l’en­fance, l’écri­t­ure toute entière est Yügen :

Sou­venez vous de cet instant Yügen, qui ne se racon­te pas, que vous n’avez jamais su décrire, qui ne peut être en cap­ture, le ray­on de soleil, l’amour qui musarde, la glace qui fond, le fris­son sans rai­son un frémisse­ment dans un arbre comme une chan­son anci­enne, l’ex­tase devant la paysage. Et pour­tant il fal­lait en con­serv­er le sou­venir, la justesse l’in­can­des­cence, le mag­nifique l’u­nic­ité, oui, ce moment ain­si juste et inouï, Le vivre et s’en sou­venir, et se “promet­tre de ne jamais l’oublier.”

La poésie est ici toute entière Yügen et ceci nous paraît être un des pas­sages les plus réus­sis du livre car par­fois la mul­ti­plic­ité des cita­tions qui revi­en­nent hanter le texte comme de furtives présences vien­nent par­a­siter ou dis­ons évin­cer un peu la parole sin­gulière de l’auteur.Toutefois ce recueil aus­si frémis­sant, déli­cat et sen­si­ble que les ailes de papil­lons qui en ornent la cou­ver­ture, pro­pose un style orig­i­nal qui mélange tous les gen­res en un savant dosage. En ce sens il reste inclass­able et donc nova­teur à la façon d’un palimpses­te. Il y a dif­férentes strates ou niveaux de lec­ture pro­posés : à la fois bal­lade nos­tal­gique, prom­e­nade dans les sou­venirs, voy­ages, notes de lecture.

Ain­si ce “bal de fan­tômes “appa­raît plus, en défini­tive, comme une vibrante ode à la vie et à la lit­téra­ture qu’il ne cesse de célébr­er, en une étrange danse à la fois nos­tal­gique et joyeuse d’où ne sont pas exclus un peu de déri­sion, d’hu­mour et beau­coup de ten­dresse pour “tous les gens qui se per­dent, les inspirés que l’on ne con­naitra jamais”. Car il s’ag­it bien ici de chem­iner dans l’in­con­nu avec beau­coup d’éru­di­tion mais aus­si de ten­dresse. Un beau recueil qui, en son envol frémis­sant, ne peut laiss­er indif­férent, et nous pro­pose un voy­age à la fois lit­téraire et sensoriel.

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Véronique Elfakir

Véronique Elfakir est doc­teur en lit­téra­ture et exerce égale­ment la psy­ch­analyse à Brest.

Ses recherch­es por­tent essen­tielle­ment sur le lien entre lit­téra­ture et psy­ch­analyse, mais la poésie reste sa « langue » et son ter­ri­toire de prédilection.

Après quelques con­tri­bu­tions dans divers­es revues, elle pub­lie son pre­mier recueil : Dire Cela, en 2011, aux édi­tions l’Harmattan, col­lec­tion « Poète des cinq continents ».

En 2008, elle pub­lie égale­ment un essai : Le ravisse­ment de la langue : la ques­tion du poète qui inter­roge la dimen­sion poé­tiques dans l’articulation entre la vie et l’œuvre de V. Segalen, Rilke, Hölder­lin, E. Jabès, E. Dick­i­son et S. Plath…

Sa bib­li­ogra­phie com­plète est à retrou­ver sur parolesnomades.blogspot.fr.