Éric Poindron, qui a dirigé les éditions Le Coq à l’âne avant de créer la collection “Curiosa &caetera” au Castor Astral est journaliste littéraire et auteur de nombreux écrits comme L’étrange questionnaire, De l’égarement dans les livres, Ricardo Frera, un pirate à caméra.
Ce texte intitulé Comme un bal de fantômes se présente comme une ballade littéraire ou une sorte d’inventaire à la Prévert qui recense à la fois les choses aimées, traversées, rencontrées. Par certains côtés, il évoque un peu les “Notes de chevet” de la poétesse japonaise Sei Shônagon où il s’agit de fixer le vertige de l’instant. Le texte file et se déroule aussi comme un voyage en transsibérien où l’on prend le temps de rêver ou de s’égarer à travers des villes réelles ou imaginaires, comme un remède à la mélancolie peut-être : “Un jour et toutes les nuits, habiter dans les trains qui filent comme des comètes”. Il se présente aussi comme une sorte de canevas entremêlé de multiples citations où références bibliophiliques et de sensations vécues, comme si l’existence jamais ne pouvait se départir du littéraire, car pour le poète “les mots ont bien toujours le dernier mot”.
Tous ces fantômes que l’auteur ne cesse de d’invoquer représentent peut-être à la fois les disparus rencontrés et aimés mais aussi ces compagnons littéraires qui ont su guider ses pas qu’ils soient illustres ou pas. Il se réfère en premier lieu à Reverdy pour qui ” Rien ne vaut d’être dit en poésie que l’indicible”. Au Japon, cet indicible se nomme le Yügen, presque le mystère ineffable. Pour Eric Poindron, à l’instar de l’enfance, l’écriture toute entière est Yügen :
Souvenez vous de cet instant Yügen, qui ne se raconte pas, que vous n’avez jamais su décrire, qui ne peut être en capture, le rayon de soleil, l’amour qui musarde, la glace qui fond, le frisson sans raison un frémissement dans un arbre comme une chanson ancienne, l’extase devant la paysage. Et pourtant il fallait en conserver le souvenir, la justesse l’incandescence, le magnifique l’unicité, oui, ce moment ainsi juste et inouï, Le vivre et s’en souvenir, et se “promettre de ne jamais l’oublier.”
La poésie est ici toute entière Yügen et ceci nous paraît être un des passages les plus réussis du livre car parfois la multiplicité des citations qui reviennent hanter le texte comme de furtives présences viennent parasiter ou disons évincer un peu la parole singulière de l’auteur.Toutefois ce recueil aussi frémissant, délicat et sensible que les ailes de papillons qui en ornent la couverture, propose un style original qui mélange tous les genres en un savant dosage. En ce sens il reste inclassable et donc novateur à la façon d’un palimpseste. Il y a différentes strates ou niveaux de lecture proposés : à la fois ballade nostalgique, promenade dans les souvenirs, voyages, notes de lecture.
Ainsi ce “bal de fantômes “apparaît plus, en définitive, comme une vibrante ode à la vie et à la littérature qu’il ne cesse de célébrer, en une étrange danse à la fois nostalgique et joyeuse d’où ne sont pas exclus un peu de dérision, d’humour et beaucoup de tendresse pour “tous les gens qui se perdent, les inspirés que l’on ne connaitra jamais”. Car il s’agit bien ici de cheminer dans l’inconnu avec beaucoup d’érudition mais aussi de tendresse. Un beau recueil qui, en son envol frémissant, ne peut laisser indifférent, et nous propose un voyage à la fois littéraire et sensoriel.
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