Antholo­gie aus­si mag­nifique que salu­taire, 118 poètes se sont unis pour brandir haut et fort le mot poésie, ou résis­tance absolue. Dans sa pré­face aus­si pré­cise que riche, Jean-Yves Reuzeau présente son tra­vail de col­lecteur et d’assembleur. Il agit là en digne suc­cesseur du com­bat de Pierre Seghers (dont les édi­tions ont été créées en 1944) qui, nous dit-il, éle­vait la poésie en rang d’art insurgé. « L’Année poé­tique » pub­liée chez Seghers dans les années 1970, puis briève­ment dans les années 2000, est à nou­veau don­née à lire pour une troisième vie, ce qui souligne la belle vigueur de la poésie.  

Au-delà des poètes de la stricte fran­coph­o­nie, sont accueil­lis des poètes d’ailleurs dans le monde, tant qu’ils écrivent directe­ment en français : Chili, Dji­bouti, Haïti, Guinée, Kur­dis­tan, Roumanie, Liban, Lux­em­bourg, Maroc, Syrie ou Tchad. On imag­ine facile­ment l’enthousiasme des poètes, toutes généra­tions con­fon­dues (nés entre 1929 et 2000), à faire par­tie de ce viv­i­fi­ant panora­ma de la poésie con­tem­po­raine. Bien heureuse­ment, ce livre est aus­si le fruit d’une inévitable sub­jec­tiv­ité. Le choix est sagace, Jean-Yves Reuzeau, cofon­da­teur des édi­tions Le Cas­tor Astral, mem­bre du jury du Prix Apol­li­naire, maître d’œuvre de sept antholo­gies suc­ces­sives pour le Print­emps des Poètes, à l’origine d’une antholo­gie per­ma­nente de poésie sur Face­book, biographe de Janis Joplin et Jim Mor­ri­son chez Gal­li­mard, est égale­ment poète.

Esprit de Résis­tance mar­que une pré­cieuse recon­nais­sance : le livre est dédié à Bernard Delavaille, aux amis envolés et aux poètes récem­ment dis­parus dont chaque nom est cité. La trans­mis­sion est opérante. Les textes inédits : poèmes, poèmes en prose, voire extraits de roman-poème, chan­sons, slams, dis­ent l’extrême diver­sité de l’offre poé­tique actuelle. La poésie est vent debout, qu’elle soit écrite pour être lue ou per­for­mée, lyrique ou d’avant-garde.  Aucune école n’en domine une autre, la diver­sité des courants et des formes signe là l’extraordinaire vital­ité de la créa­tion poétique. 

Esprit de Résis­tance, L’Année poé­tique : 118 poètes d’aujourd’hui, antholo­gie présen­tée et réu­nie par Jean-Yves Reuzeau„ Édi­tions Seghers, 2025, 396 pages, 20 euros.

Cet éclec­tisme œuvre dans l’anthologie sans dis­so­nances, la sin­gu­lar­ité de cha­cun des textes per­siste et fuse. Voix de poètes con­sacrés ou nou­velles voix sont toutes à leur juste place dans le livre. Pas facile de faire vibr­er ensem­ble 118 voix, et pour­tant Jean-Yves Reuzeau y parvient. Elles insuf­flent tour à tour ce goût ardent de vivre, unies. C’est l’essence même de la résis­tance qui agit et ray­onne. À not­er, en fin de vol­ume, des repères bio­bib­li­ographiques de chaque poète don­nent des élé­ments pré­cieux pour par­tir en quête de leurs œuvres.

Délice de lec­ture : des textes (selon la per­son­nal­ité et les goûts de chacun(e)) vont être lus et relus. Des voix aimées seront retrou­vées, d’autres décou­vertes. Elles vont bous­culer ou ras­sur­er. Ce n’est pas une seule thé­ma­tique qui tra­verse l’ouvrage (la résis­tance, elle, est inhérente à la poésie) mais des dizaines, comme la nature, l’environnement, les boule­verse­ments mon­di­aux, le devoir de résis­ter, les injus­tices sociales, les dif­fi­cultés exis­ten­tielles, les rela­tions humaines, l’enfance, la quête de soi, la colère, le dés­espoir ou la mort… l’amour aus­si, bien sûr. On retrou­ve un point com­mun : l’urgence de vivre, de dire, de trans­former sa peau en poème.   

Il est essen­tiel de saluer la pub­li­ca­tion de cette Année poé­tique des­tinée à don­ner régulière­ment ren­dez-vous aux ama­teurs du genre. Ces poètes d’aujourd’hui ont le tal­ent de l’espoir et celui de la beauté.

 

Quelques extraits :

 

Rien ne dure que le soleil

Arthur H

Allons ! puisqu’il le faut,
allons nous habiller
et emmêler nos pieds à cette humanité
qui n’a pas peur de repren­dre en main sa brouette

William Cliff

C’est néan­moins si facile d’oublier le pou­voir des algues.
De regarder pass­er les petites intuitions.

Denise Desau­tels

D’autres cherchent un chas­se-neige pour les main­tenir hors du trou pro­fond de la peur en pous­sière qui recou­vre les heures, le chas­se-neige mur­mure c’est moi ton ami donne-moi la main on va tra­vers­er les ténèbres viens sur mon chemin de fer dépêche-toi de t’installer dans le com­par­ti­ment étanche

Séver­ine Daucourt

La mau­vaise surprise
attend au fond du coffre

Samuel Deshayes

Tu tra­vers­es le jour comme on épluche
un légume, répé­tant les mêmes gestes
Mais de sa chair bril­lante tu ne vois pas grand-chose
car tu regardes ailleurs. On t’a sou­vent dit
que le meilleur est dans les épluchures
ce petit tas de rubans terreux
où il te faudrait main­tenant chercher
ce qui te manque et échappe toujours
à ce que tu prépares

Anne Dujin

Avoir au moins neuf
femmes en moi

Ces neuf femmes font du remue-ménage
dans mon crâne et mon ven­tre mes poèmes
sont ven­tril­o­ques

Michèle Finck

Depuis tou­jours je pense que la moitié du chemin pour­rait tout aus­si bien être la fin. Je finis tou­jours mon assi­ette, mais je pour­rais tout aus­si bien décréter qu’une demi-vie suffit.

Antoine Mou­ton

Le regard vers le large, crée tes anticorps

Jean-Pierre Otte

L’enfant : Papa tu n’as pas beau­coup d’argent ?
Le père regarde son fils
Avec un glisse­ment de ter­rain dans les yeux.

Pauline Picot

C’est pour les filles dont le trait d’eye-liner est mieux tracé que l’avenir

Stéphanie Vovor

 

 

image_pdfimage_print
mm

Marie-Christine Masset

Marie-Chris­tine Mas­set est née à Ruf­fec en Char­ente en 1961. Après avoir vécu au Maroc et en Suède, elle a longtemps habité près des Cévennes à Saint-Jean-de Buèges. Elle vit à présent à Mar­seille où elle enseigne les Let­tres. Bib­li­ogra­phie Bib­li­ogra­phie — Dia­clase de nuit, Hors-Jeu Édi­tions, 1994 — Parole Brûlée, L’Ar­bre à Paroles, Bel­gique, 1995 — L’Em­brasée, Édi­tions Jacques Bré­mond, 1998, prix Ilar­ie Voron­ca — Ile de ma nuit, Édi­tions Encres Vives, 2006 — Et pour­tant elle tourne, Poètes des Cinq Con­ti­nents, 2007 — Yaraan, Édi­tions La Porte, 2011 — L’Oiseau rouge, ver­sion bilingue, tra­duc­tion de l’anglais (USA) Andrea Moor­head, Edi­tions Oxy­bia, octo­bre 2020. Tra­duc­tion de l’anglais (Aus­tralie) — Kevin Gilbert, Le Ver­sant noir, Le Cas­tor astral, juin 2017. Tra­duc­tion de l’anglais (USA) • Gary Sny­der, Poème pour les oiseaux, Le Cas­tor Astral, 2023, Essai • D’une rive à l’autre, quand les poètes traduisent les poètes, édi­tion Tit­ul­li 2023, Antholo­gie. — Vis­ages de Poésie, antholo­gie, Jacques Basse, Raphaël de Sur­tis, 2009 — Vis­ages de Poésie Vague de poésie en Méditer­ranée, antholo­gie, Jacques Basse, Raphaël de Sur­tis, 2014 — Là où dansent les éphémères, 108 poètes d’aujourd’hui, réu­nie et présen­tée par Jean-Yves Reuzeau, Le Cas­tor astral, 2022. Livres d’artiste Avec Joëlle Jour­dan pho­tographe et plas­ti­ci­enne : — Entre feu et cri — Trêve lumineuse — Partage des eaux, Édi­tions Trou­vailles — Eau Con­stel­lée, 2009 Avec Marc Giai-Mini­et pein­tre, graveur, et dessi­na­teur : • Lac Eyre, Les édi­tions du nain qui tou­sse, 2014