Les lecteurs d’Estelle Fenzy, qui ont l’habitude d’être surpris, le sont dès les premiers mots du recueil et plus qu’avant : « Mesdames et messieurs, attachez vos ceintures » !
S’agit-il d’un véritable vol ou d’une métaphore vivante. Cet embarquement » et ce « siège à côté » ne sont-ils pas ceux du frère lecteur et n’est-ce pas par la poésie, qui va ici nous être livrée, que nous « risquons d’être secoués » ? Ainsi vont vite tomber les masques dessinés, d’emblée, par Gwen Guégan pour que se fasse mieux la respiration et pour que soit bien accueilli le plus beau des verbes :
Mon amour hier tu as dit
Je voudrais mourir
le même jour que toi
Estelle Fenzy, Boîtes noires, éditions le chat polaire, 2023, 12 €.
Quelle force donc dans le départ du texte ! Car il y a « état d’urgence » pour faire défiler « le film » personnel sans même le bruit de l’enfance et faire trouver celle qui est en fait la boîte noire de (mon) crâne ». Depuis les sandalettes de la petite fille à la mort de la mère « un filet d’énergie (est) à sauver » dans ce corps « coquille cuirasse / sous lequel bat la vie ».
Viennent spontanément ensuite, par le bais de la pensée de la finitude, les thèmes de l’amour conjugal et maternel alliés à la souffrance qu’expriment, par exemple, ces vers dont la conjugaison rappelle celle de Ghérasim Luca.
Je bruine
je brume
j’averse
je pluiede cendres
et de sangJe pars en fumée
Ainsi les mots apparaissent-ils déjà comme les meilleurs adjuvants qui soient quand ils sont portés par les éléments, comme l’air et le feu, et quand le chemin, la matière donc, reçoit à la fois la voix et la marche.
C’est qu’en effet, grâce à la foi, se met en place une belle espérance : « Coire en Dieu / soudain / Chacun le sien ».
Des poèmes plus longs alternent avec d’autres plus courts car il faut bien que le narrateur et le lecteur, dans cette émotion offerte par la poésie et qui les fait vivre intensément, reprennent leur souffle.
En effet l’anamnèse malmène la respiration de sorte que reviennent les souvenirs d’enfance avec leurs sensations et la découverte de la vie, s’entrechoquant avec un présent prosaïque : « Je planifie négocie soumets ». L’écriture, alors, offre une part de mystère que chaque lecteur peut décrypter à sa manière : « Cet œil immense à mon épaule… » et la narratrice, que les regrets inspirent, regrette de ne pas avoir bien vécu :
Il n’ y avait pas assez de chair dans mon âme
Il faut, pour finir, revenir aux images du début puisqu’il ne reste plus que le ciel comme « demeure » et que, comme pour un accident d’avion, l’agonie est qualifiée de « crash ». Voilà comment on peut dire que le traitement des thèmes est ici d’une grande originalité.
Les derniers textes réservent-ils une surprise plus optimiste ? C’est ce que découvrira le lecteur obligé par la beauté du texte à en lire la toute fin.
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