Estelle Fenzy, Coda (Ostinato)

Le titre dit assez la composition musicale de cet ensemble de 45 courts poèmes, où tout est reprise, mouvement entre deux mots qui ouvrent et ferment chaque fragment : « fin » et « monde », répétés obstinément, rythmiquement.

Entre le premier poème, sorte de mise en abyme du recueil qui paradoxalement s’amorce avec l’adverbe « finalement » et se clôt sur l’adjectif « initiale », et le dernier de la suite, s’ouvre l’espace d’un « voyage », d’une aventure à vivre ensemble, « chair contre chair » dans la chaleur du « nous ».

Finalement
ouvrir les portes

 Il fait noir dedans

 Ouvrir les portes
vêtus de lumière

 initiale du monde. 

/…/

Si
la fin du monde 

Nous ramperons

secrets

Que la mort
nous prenne

pour d’autres.

 

 

Estelle Fenzy, Coda (Ostinato), Les lieux-dits, Cahiers du Loup bleu, dessin de Haleh Zahedi, 2e trimestre 2020, 7 euros.

Le pronom « nous » renvoie à l’auteure et à son jeune fils Raphaël, à qui elle dédie cette suite, mais aussi à nous, lecteurs, qui cheminons de concert au rythme d’un ostinato têtu, résolument volontaire. Il s’agit « d’ouvrir des pistes / même imparfaites », de « faire fi », de « tenir tête » aux obstacles divers, « brisures / accrochées dans la tête », morsures et autres plaies pour se donner vif et entier au monde « polychrome », à sa « sève capiteuse » avec cette certitude chevillée au corps : « on est tous / uniques au monde ». On la connaît « la grande étreinte du monde », on sait qu’elle viendra mais on peut décider chaque jour de « jouer la partie / de rafler la mise // au réveil du monde. »

 

Puisque la fin

nous rassembler
dans le chaud du ventre

perdus dispersés

 de par le monde.

 

L’écriture elliptique d’Estelle Fenzy, très épurée, simple dans sa forme, s’appuie sur un jeu de verbes à l’infinitif qui sont autant de tremplins, de relances au propos. Signalons pour l’accord tendu la qualité de la publication : format, papier, mise en page qui laisse respirer le texte, qui nous laisse l’habiter à notre rythme, entre silences et « impulsions vivantes ».

Cette suite poétique, dense et modulée, qui tient du carnet de vie, du vade-mecum se veut expérience de sagesse tout autant que détermination, protection, conjuration « Si/ la fin du monde ». À méditer, vivre et partager à tout âge.

 

Présentation de l’auteur

Estelle Fenzy

 Estelle Fenzy est née en 1969. Après avoir vécu près de Lille puis à Brest, elle habite Arles où elle enseigne. Elle écrit depuis 2013, des poèmes et des textes courts.

Publications en revues : Europe, Secousse, Remue.net, Ce qui Reste, Écrits du Nord (éditions Henry), Microbe, Les Carnets d’Eucharis, Terre à Ciel, Recours au Poème, Décharge, Possibles, FPM, Revu, Teste.

Publications

  • CHUT (le monstre dort) aux éditions La Part Commune (2015)
  • SANS aux éditions La Porte (2015)
  • ROUGE VIVE aux éditions Al Manar (2016)
  • JUSTE APRÈS aux éditions La Porte (2016)
  • L’ENTAILLE et LA COUTURE aux éditions Henry (2016)
  • PAPILLON aux éditions Le Petit Flou (2017)
  • MÈRE aux éditions La Boucherie Littéraire (2017)
© photo Isabelle Poinloup

Anthologies

  • SAXIFRAGE, dans Terre à Ciel, initiée par Sabine Huynh
  • MARLÈNE TISSOT & CO, éditions mgv2>publishing
  • DEHORS, éditions Janus (juin 2016)
  • LESSIVES ÉTENDUES, dans Terre à Ciel, initiée par Roselyne Sibille

Livre d’artiste

  • PETITE MANHATTAN, dans Le Monde des Villes, Brest 2, avec André Jolivet, éditions Voltije

Revue d’artiste

  • CONNIVENCES 6, éditions de La Margeride, avec aussi des poèmes d’Alain Freixe, des photographies de Rémy Fenzy et des peintures de Robert Lobet

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