Estelle Fenzy, La minute bleue de l’aube
Pensées, aphorismes, fragments, poèmes courts : il y a de tout cela dans la poésie d’Estelle Fenzy. Elle a l’art de capter à l’aube des instants minuscules pour en tirer des leçons de vie.
Lisant La minute bleue de l’aube d’Estelle Fenzy, comment ne pas d’abord penser à Georges Haldas, autre écrivain de l’aube pour qui il fallait – quoi qu’il en coûte – savoir « témoigner des minutes noires comme des minutes heureuses ».C’est cet état particulier de poésie que Estelle Fenzy partage en réalité avec le poète suisse, dans cette façon, comme il le disait lui-même, « d’être le plus présent à soi-même » et de témoigner du « prodigieux mystère de la vie » (Pollen du temps, éditions L’Age d’homme, 1999).
Estelle Fenzy, donc, maintient ses sens en éveil. Même la nuit. Elle nous parle d’un pays qui n’est pas nommé même si l’on repère ici une vigne et si, ailleurs, on entend souffler le mistral.
Estelle Fenzy, La minute bleue de l’aube,
La Part Commune, 120 pages, 13 euros.
Nous sommes dans le sud, mais l’important est ailleurs. Car la nuit et l’aube ont, au fond, partout la même couleur « Au mitan de la nuit / même les oiseaux dorment // Seuls les chats savent /où est caché le ciel ». Mais, note ailleurs le poète : « Le jour tarde à se lever / il a dû passer une nuit blanche ».
Les micro-poèmes d’Estelle Fenzy nous font aussi penser à ces poèmes courts coréens « écrits au creux de la main ». Elle le dit explicitement elle-même : « Souvent / mes poèmes / tiennent dans une main / humanité / de paume ouverte // un fruit et son noyau ». Pas étonnant, donc, que ses poèmes puissent flirter avec le haïku. « Deviner / sur quelle fleur / le papillon se posera ». Ou encore ceci : « Le vent tourne / les pages du livre / à l’envers ». Sans oublier les traits d’humour : « Avec mon mètre / à peine soixante / je ne serai jamais / une grande personne ».
Pointe aussi, souvent, sous un apparent détachement, une forme de douleur. « Le plus difficile / ce n’est pas la solitude // le plus difficile / c’est l’absence ». Douleur avivée par la vision, à distance, des malheurs du monde : « Alep // Il est terrible le regard de l’enfant / il sait qu’il sera le premier // à mourir ». Alors, nous dit Estelle Fenzy, il faut « écrire / pour empêcher / que tout tombe » et « alerter le jardin » car « le soleil est parfois cruel ». Pour l’auteur, dans ces conditions, « un seul pays natal / une seule langue maternelle / le poème ».