Etty Hillesum, Ainsi parlait Etty Hillesum
Dans ce recueil de la collection « Ainsi parlait », chaque fragment et extrait des cahiers ou lettres qu’écrivit Etty Hillesum au cours de sa brève vie suivent la chronologie de leur écriture.
On y apprend que l’auteure prenait plaisir à recopier des passages lus chez ses écrivains préférés. Cependant ce qui domine et révèle le tempérament d’Etty Hillesum, c’est sa détermination et son amour à vivre et défendre la vie coûte que coûte. Ce précepte se retrouve presque en porte à faux avec son destin de sacrifiée lorsqu’elle gagne le camp d’extermination lors même qu’elle avait eu l’opportunité de fuir les nazis. Sa réflexion sur le nazisme traverse d’ailleurs ses écrits dont la barbarie finit par engendrer la même attitude chez l’adversaire.
Il y a chez cette auteure une recherche et une exigence de plénitude et de richesse intérieure qui permettent de se présenter aux autres comme un communiquant positif et généreux. Nous retiendrons par exemple cette injonction : « Vivre pleinement au-dehors comme au-dedans, ne rien sacrifier de la réalité extérieure à la vie intérieure, pas plus que l’inverse, voilà une tâche magnifique. » Cela suppose une grande attention, une tension régulière vers l’autre monde et le sien propre. La générosité est d’ailleurs ce qui porta l’auteure à rester au camp de transit de Westerbork afin de soutenir ses compatriotes.
Etty Hillesum, Ainsi parlait Etty Hillesum, Dits et maximes de vie choisis et traduits du néerlandais par William English et Gérard Pfister, Paris : Editions Arfuyen, édition bilingue, 2020, 192 p. 14 €.
Ses maximes de vie révèlent une réflexion charitable. On y découvre une femme qui s’émancipe progressivement de la domination par l’homme et d’un excès de mise en valeur de l’autre personne de sexe opposé. Elle considère qu’à son époque la femme n’est pas encore « être humain » et que c’est « l’émancipation intérieure » qui la fera devenir. Pour elle et à juste titre, « c’est la vie qui doit être toujours la source et l’origine, et non pas une autre personne. Beaucoup de gens, surtout des femmes, puisent leur force en quelqu’un d’autre au lieu de la prendre directement dans la vie. »
Hillesum ne connaît pas la futilité, le souci de l’apparence ou la légèreté. Elle tend sans cesse vers l’approfondissement et la profondeur. S’adressant aussi bien à elle-même qu’à son concitoyen elle ordonne de « vivre, respirer par l’âme et travailler, étudier avec l’esprit ». Les mots « âme » et « esprit » nous orientent vers ce refus de la futilité. Ces mots sont très sérieux et ont du poids, celui que Rilke peut également leur apporter et duquel Etty Hillesum est proche. Elle le lit, se passionne pour son œuvre, mais n’en demeure pas moins lucide après une lecture intense d’un auteur avec lequel elle vient se confondre pour mieux s’en détacher et voler de ses propres ailes. « […] Lire Rilke tout entier, lire tout de lui, chaque lettre, l’intégrer en moi et ensuite m’en dépouiller, l’oublier, puis à nouveau vivre de ma propre substance. » Sa grande force de vie et de caractère, de résistance et d’endurance, éclatent dans certains fragments tel que celui-ci : « Ne jamais se résigner, ne jamais fuir, tout assumer, ensuite juste souffrir, ce n’est pas grave mais jamais, jamais la résignation. » La force et la rigueur qu’elle attribue peut-être excessivement à Rilke la définissent davantage que son auteur fétiche.
Le don de sa personne côtoie de près l’inclination qu’implique l’amour au sens large du terme. « Une chose est certaine : il faut aider à accroître la réserve d’amour sur cette terre. Chaque parcelle de haine qu’on ajoute au trop plein de haine existant rend ce monde encore plus inhospitalier et inhabitable. » Toutes les pensées de cette femme convergent vers l’acte ultime de sacrifice de sa propre personne lorsqu’elle se retrouve au camp de transit. Il est y question d’abandon, de simplicité de l’Etre, de souffrance à supporter en laquelle il convient de puiser les forces positives. « L’Occident n’accepte pas la “souffrance” comme inhérente à cette vie. C’est pourquoi il n’est jamais capable de puiser dans la souffrance des forces positives. »
Hillesum se prépare à l’exil définitif, valorisant une attitude à adopter tout comme certains livres à privilégier. Au sein même du camp, on entend un chant de vie dans une expression simple, précise et mesurée. Dans les morts c’est la vie qui parle, et dans les vivants la mort demeure en permanence.
Il faut faire taire le chaos en le domptant, être à l’écoute de toutes les mouvances en soi afin de mieux appréhender l’autre et faire fi de tout ennemi potentiel lorsque le temps est tout occupé par le travail personnel.