Petite élégie
(à Yves Bonnefoy)
Quand un vaste désert
couvrira la terre et de rares échos
et luminescentes bavures
d’une vallée reculée monteront
alors seulement se verront les chevelures
d’arbres ayant survécu aux bûchers
par auto-combustion de la forêt
(elle était, oui, de grimpantes spires
et de branches déportées, envahie…
et même le sous-bois emprisonnait
le pas volontaire du gardien)
et là, l’ombre rechercheront
les derniers venus… et peut-être là
entendront-ils à nouveau les paroles sauves
remontant d’une interne voix
(leur voix submergée
par l’épaisseur d’une époque vide)
en ce temps advenu
les présent-permanents connaîtront
qui a préservé pour eux
la lymphe de la langue
la graine de demain,
l’anneau qui tiendra
(pendant que de l’exil le chant
des ailés reviendra
construire son nid)
Eugenio De Signoribus
∗∗∗∗∗∗
Note : dans une lettre du 27 janvier 2011 accompagnant sa traduction de 24 sonnets de Pétrarque, Y. Bonnefoy ajoutait : « Notre communauté amicale sous le signe de la poésie est ce qui me garde de la désespérance. La poésie est aujourd’hui comme de la braise dans un âtre couvert de cendre. On peut espérer que le feu peut y reprendre… »
Et il est certain qu’Il a maintenu ce feu allumé, avec sa haute texture de pensée et d’émotion, son amour absolu pour la langue ; et sa flamme tenace a été – et sera – un exemple de résistance contre la mortification de la poésie, une « terre d’exil » sans cela. – E.D.S.
(tr. J.-Ch. Vegliante)
Nous avons cru utile de reproduire la lettre que Jean-Charles Vegliante nous a envoyée pour proposer cette élégie :
“Je rentre d’Italie (conférences à Milan etc.), où j’ai vu Mario Benedetti assez serein — je ne sais pas si vous saviez qu’il y avait eu un projet d’un livre de lui dans la pléthore de publications en ligne de Recours…? -, où j’ai connu Tommaso Di Dio, publié déjà dans ce cadre (trad. Joëlle Gardes), et où beaucoup de mes amis poètes pensent à Yves Bonnefoy, qui est extrêmement aimé là-bas… Eugenio De Signoribus, dans sa grande mélancolie, me prie de traduire sa “petite élégie”, écrite pour lui. Il pense que cela serait bénéfique si ce poème paraissait en ce moment. Je ne sais que penser : je ne dis donc rien, mais le texte est beau sans aucun doute. Je vous le soumets donc, en sachant que vous avez des programmes chargés, sans engagement bien sûr. Lisez et dites-moi…”
Bien amicalement à vous,
Jean-Charles Vegliante
∗∗∗∗∗∗
Petite élégie
a Yves Bonnefoy
Quando un vasto deserto
coprirà la terra e rari echi
e luminescenti sbavi
da una remota valle saliranno
solo allora le chiome si vedranno
d’alberi sopravvissuti ai roghi
dell’autocombusta foresta
(era, questa, da rampicanti spire
e da slibranti rami, invasa…
e anche il sottobosco imprigionava
il passo volontario del custode)
e lì, l’ombra cercheranno
i sopravvenienti… e forse lì
riudiranno le parole salve
risalenti da un’interna voce
(la loro voce sommersa
dal folto d’una vuota epoca)
in quel tempo avvenuto
gli ora-permanenti conosceranno
chi per loro ha mantenuto
la linfa della lingua
il seme di domani,
l’anello che terrà
(mentre dall’esilio il canto
degli alati tornerà
a costruire il nido)
Nota
In una lettera del 27 gennaio 2011, che accompagnava la sua traduzione in francese di 24 sonetti di Petrarca, aggiungeva: “La nostra comunità amicale nel segno della poesia è ciò che mi salva dalla disperazione. La poesia è, al giorno d’oggi, come il fuoco sotto la cenere. Si può sperare che si riaccenda…”
E certo Lui il fuoco l’ha tenuto acceso, con la sua alta tessitura di pensiero e di emozione, il suo amore assoluto per la lingua: e la sua fiamma tenace è stata – e sarà – un esempio di resistenza contro la mortificazione della poesia, altrimenti “terra di esilio”.
Eugenio De Signoribus
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