Eve Lerner, Un tant soit peu de lumière

Par |2025-02-05T13:45:16+01:00 5 février 2025|Catégories : Critiques, Eve Lerner|

Eve Lern­er récidive. Con­va­in­cue que « Le chaos reste con­fi­ant », titre d’un précé­dent livre (Dia­base 2020), elle nous dit tout le mal qu’elle pense de ce monde qui part en vrilles. Son ver­dict est implaca­ble avec, cette fois, une petite couche de noirceur sup­plé­men­taire. Mais tout n’est pas per­du : il y a tou­jours la vie qui pal­pite, il y a la poésie, il y a l’amour…

« C’est le temps de l’obscur », écrit la poétesse lori­en­taise. Il faut dire que, depuis 2020, la pandémie et la guerre à l’est de l’Europe sont passées par là, sans par­ler du réchauf­fe­ment  cli­ma­tique dont on con­naît les effets les plus délétères. Eve Lern­er com­mence par lancer une charge con­tre « les hommes de pou­voir » et « les décideurs » qu’elle qual­i­fie de « briseurs de rêves, fos­soyeurs de la pen­sée ». Elle n’attend plus grand-chose d’eux. « Tu voudrais écrouer ceux qui déroulent sans fin la fausse parole et les fauss­es images ». Cette « fausse parole », elle l’avait déjà dénon­cée dans son précé­dent livre, comme l’avait fait en son temps le poète Armand Robin (La fausse parole, 1953) Pous­sant l’acte d’accusation, elle va aus­si jusqu’à dire : « On cherche à nous faire peur ».

Que faire dans ce mael­strom ? « Il faut tenir », nous dit Eve Lern­er. « Aller jusqu’au bout du chaos tri­om­phant, l’épuiser, le retourn­er comme une crêpe, l’embobiner, le réduire à moins que rien, et l’envoyer aux travaux for­cés ». Mais com­ment s’atteler à un si gigan­tesque chantier ? La poétesse, qui s’exprime ici sous forme de frag­ments,  ne nous con­duit pas sur les chemins de la rébel­lion, même si son souhait est bien que l’on puisse arriv­er un jour à « déboulon­ner les stat­ues des oppresseurs, cisailler les gril­lages de chas­seurs, ceux des camps et ceux des burkas inté­grales ».  Mais son livre n’est pas un man­i­feste poli­tique. Plutôt un man­i­feste poé­tique quand elle écrit : « Tout acte infime peut chang­er la donne qu’on nous impose. Sauver un orque, une femme, un jardin, une source, un oiseau, un marais peut ouvrir une veine de vie ». Plus loin, elle ajoute : « Soign­er les blessés, les arbres, les oiseaux, les chevaux,  soign­er la terre, la mer, soign­er son style ».

Eve Lern­er, Un tant soit peu de lumière, Dia­base, 100 pages, 14 euros.

Il y a, dans ces pro­pos, quelque chose qui relève de l’acte de foi. Ou du moins d’une espérance. Elle la place dans notre capac­ité d’émerveillement (« que ton cœur s’envole, que ton sang vire à la sève… ») Mais Eve Lern­er apporte d’emblée un bémol. Pour pou­voir s’émerveiller (injonc­tion qu’elle juge un peu trop dans l’air du temps), « il faudrait assa­gir la part sauvage de l’homme et retrou­ver la part sauvage du monde ». Alors il reste à célébr­er inlass­able­ment l’amour et le désir, « un refuge, un havre de bien-être » dans « la noirceur du monde ». Ou, comme elle le dit aus­si : « Pou­voir encore dire à un être, à une idée : je tiens à toi. Réus­sir tout cela, qui nous tient à cœur, tient du mir­a­cle. Il ne tient qu’à nous de le faire. Il faut tenir la distance ».

 

Présentation de l’auteur

Eve Lerner

Eve Lern­er, poète bilingue, français/anglais, éditrice et tra­duc­trice de poésie. Col­la­bore aux revues Hopala !, Spered Gouez et Dig­or. Vit et tra­vaille à Lorient.

Derniers ouvrages parus (2013–2015) :

Un poème, même petit, peut faire bouger la tec­tonique des plaques, éd. Encres vives. L’Ame chevil­lée au corps, réc­it, éd Dia­logues. Le Livre des Chimères, éd L’Autre Rive ; Pour danser un rêve, éd. Sac à mots. Pour qui sait voir et Lumières, livres d’artiste de Marie-France Mis­sir, éd. Car­ré d’encre ; Graine à feu, éd L’Autre Rive. Elle obtient le prix Paul Quéré 2019/2020.

 

 

 

 

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Pierre Tanguy

Pierre Tan­guy est orig­i­naire de Lesn­even dans le Nord-Fin­istère. Ecrivain et jour­nal­iste, il partage sa vie entre Quim­per et Rennes. En 2012, il a obtenu, pour l’ensemble de son œuvre, le prix de poésie attribué par l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire. Ses recueils ont, pour la plu­part, été pub­liés aux édi­tions ren­nais­es La Part com­mune. Citons notam­ment “Haïku du chemin en Bre­tagne intérieure” (2002, réédi­tion 2008), “Let­tre à une moni­ale” (2005), “Que la terre te soit légère” (2008), “Fou de Marie” (2009). Dernière paru­tion : “Les heures lentes” (2012), Silence hôpi­tal, Edi­tions La Part com­mune (2017). Ter­res natales (La Part Com­mune, 2022) Voir la fiche d’auteur

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