« Tout lecteur qui, lisant un roman, se soucie de savoir comment finiront ses personnages, sans se soucier de savoir comment lui-même finira, ne mérite pas qu’on satisfasse sa curiosité. »
(Miguel de Unamuno, Comment se fait un roman, éditions Allia, Paris, 2010)
Des mots d’or en fusion dans ma tête, ils auréolent l’alentour. Des mots pas à moi. Des mots souffrants, soufflants, troublants… Pas des mots à moi.
Il est confortable le trou que je me creuse. Confortable et noir. Aux creux des mots. Au cœur d’un amas de choses. De choses réduites en cendre. A mesure que j’avance en piétinant il s’agrandit ce trou. Mon trou. Mon trou noir et béant, qui m’avale comme j’avance. Toujours plus bas ! Ce trou, cette cavité sombre ce n’est rien. Rien que ma vie de rien. Va-nu-pieds. Versant du creux dans du vide comme disait l’autre, ça s’affale, ça s’étale… ça s’enfonce, jamais ça ne monte.
Descends, descends, descends.
Toujours plus
BAS
Accès à la cosmique turne
Monter.
Stellaire échafaud
Au plus haut, au plus haut,
A l’empyrée
Après ? virer,
Au plus haut
Du ciel de nuit duale
Au-dessous ?
Au dessous c’est la lune
L’aster nocturne
Toujours plus bas
Le point de mire de la chute
A plus haulte, a plus haulte chute.
Après ? chavirer.
Ah, mais non, flûte.
Celle-là, peut lui chaut,
De casser son pipeau.
La morte,
Déjà, a mis son grand chapeau
De lustre.
Plus c’est profond et noir plus c’est confortable. Et plus c’est douloureux. Mais la douleur finira par s’éteindre. Sur. Sûr elle. Sûr elle-même. Elle ne tiendra pas le coup, la garce, face à la grâce du confort moite de la douillette noirceur. Ou bien elle feindra de s’éteindre. Elle, elle feindra l’extinction que je ne peux. J’ai creusé une fosse, je l’ai tapissé de livres. Je me suis encagé, je me suis enlivré…
Je suis d’ici. Depuis longtemps. Pourtant j’y flotte. Je n’adhère pas, le plus souvent. Je détache un détail et l’ensemble m’échappe. S’échappent le détail et l’ensemble dans une étrange concentration dissolvante, à l’arrière-plan, doucement.
A marcher sur le sable, néanmoins, on laisse une trace. Ephémère. Elle ne tarde pas à s’effacer. Comme cette méduse tient. Là, échouée. Créature aussi gracieuse que dangereuse dans son élément et qui, là, devient cette flaque informe autant qu’infecte. Flasque carcasse. Charogne infâme luisante au soleil… Une trace qui s’efface au milieu d’un chaos généalogique.
J’ai tant de fois parcouru cette plage. Avec tant de gens parfois. Un nom me revient, Catherine. Une pure essence féminine, plus vraiment de visage, une brume à peine parfumée, Catherine. Nos souvenirs sont comme des machines. Nous les façonnons, les améliorons. Nous ôtons les grains. Les grains de sable, sans âge, qui pourraient venir bloquer les rouages. Des sensations. Mais, comme ces cailloux sans âge qui ont vécu tellement plus que moi deviendront malgré tout sable et poussière, mes souvenirs solides sont désagrégés, humides, froids, gris. Les lieux ne se souviennent plus de nous, même amoureux… S’ils ne se conforment pas à nos souvenirs éperdus nous sommes déçus. Mais qui déçoit qui ?
Vous voilà contraints. Spectateurs prisonniers de mon déclin. Fermez ça. De moi détournez vos regards…
Tant de fois parcouru cette page. En tout sens pour y trouver un sens. Mais, que faire si vous ne pouvez nullement vous établir dans la sincérité. Qui y‑a-t’il de moi qui ne soit de mensonge teinté ? Si perpétuellement à ce lieu vous vous trouvez étrangers. Etrange étranger. La nature serait sincère. Et, pour l’homme et ses perceptions profondes, en fait, tout serait comme légèrement décalé, décollé un peu. Pour certains c’est une fissure, jusqu’à devenir obsession. Pour d’autre c’est une pure déchirure, béance pure et dure ! D’une pureté de diamant, inentamable ! Tout est jeu, masque… Aucun rôle ne va, aucun ne « colle » vraiment, jamais, jamais assez, jamais. Quant les choses, elles, ne sont que ça… pure sincérité, étouffante sincérité…
Mais… Non, allons !
Ce ne sera plus très long.
Restez. Ne vous enfuyez pas. Restez. Accompagnez-moi.