Faites entrer l’Infini, n°54
Le dernier numéro de la revue Faites entrer l’Infini, édité par la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, a pour titre : Aragon dans son siècle, par 25 écrivains d’aujourd’hui. A l’occasion du trentenaire de la mort du poète, 25 plumes actuelles livrent un regard sur l’œuvre d’Aragon, de Nedim Gürsel à Philippe Le Guillou, de Matthieu Baumier à Michel Host, de Francis Combes à Luis Mizon en passant par Pascal Boulanger, Lucien Wasselin, Jean-Luc Despax, Sarah Vajda, les comédiens Daniel Mesguich et Jean-Paul Schintu pour n’en citer que quelques uns.
Ce « Moment Aragon », pour reprendre l’expression de François Eychart, le coordonnateur de ce beau numéro, est l’occasion de donner la parole à des écrivains, des comédiens, des chanteurs, des metteurs en scène afin qu’ils disent l’inspiration et l’influence d’Aragon dans leur œuvre. Le tout iconographié par le photographe haïtien Gérard Bloncourt, témoin discret et observateur engagé, Résistant, puis luttant aux côtés des classes populaires.
Cet hommage permet à Olivier Barbarant, maître d’œuvre de l’Œuvre poétique complète d’Aragon dans la collection La Pléiade, de tenir ces propos abrasifs et lucides quant à la poésie actuelle : « Nous sommes au cœur d’un triangle : l’un des côtés prend le vide pour sacré, et la pusillanimité pour modèle, comme s’il suffisait de sous écrire pour atteindre à ce qu’on appelle pompeusement une vérité de parole. L’autre face continue de produire les déjections d’un clavier affolé, ou bien amusé, c’est selon, au nom de la post-modernité. Et le socle, horizontal comme il se doit, attirant démocratiquement le public, consiste en une logorrhée d’une sidérante démagogie. Le poème contemporain laisse trop souvent, au nom de ses hautes exigences, au pire mirliton le propos touchant aux préoccupations des lecteurs. En dépit de nos contorsions philosophiques, rien de changé depuis 1940, et le refus aragonien d’une poésie confiant le chant à l’art médiocre. Saisir pleinement que « la plus banale romance » puisse être « l’éternelle poésie » n’est pas s’abandonner aux sirènes de la facilité, mais arracher le poétique à ses cothurnes, sans pour autant lui faire chausser des baskets. » Une charge contre les tenants du « lyrisme aride » comme diraient certains poètes en vogue, contre les tenants de la proscription du lyrisme professée par quelque poète universitaire. Parce que « sa modernité (à Aragon) ne fut jamais effrayée par la terreur de l’inactuel ».
Matthieu Baumier, dont on peut lire la contribution ici http://www.recoursaupoeme.fr/essais/louis-aragon-dans-la-r%C3%A9volution-surr%C3%A9aliste/matthieu-baumier, se penche sur le rôle d’Aragon dans La Révolution surréaliste et regrette que l’impertinence et la violence qui avaient cours en cette revue - dont l’ambition était de se dégager « de l’entendement conditionné » dans lequel Aragon et Breton se voyaient vivre, identique à celui que nous subissons aujourd’hui – nous soient comme auto-interdites, quand Aragon pratiquait l’art de l’adresse aux cons. Ce qui l’intéressait, Aragon, en ce début du surréalisme, c’était la question métaphysique, le hasard objectif, le siècle des apparitions comme il l’écrira lui-même. Baumier termine son article sur le premier Aragon, quand il était surréaliste et qu’il n’adhérait pas encore au monde bolchevique, ainsi : « Le « grand drame » dont Aragon se voulait le « messager » à l’orée de La Révolution surréaliste est toujours à notre porte. (…) Oui, en ce temps tragique où plus que jamais le recours au poème est nécessaire, relire cet Aragon-là, c’est se souvenir combien le réel en son entier est rond et bleu. La poésie, c’est l’instant du non conformisme intégral. »
Michel Besnier dresse un portrait du conteur Aragon. Gianni Burattoni envisage le rapport du poète à l’art moderne tel qu’il lui fut donné de le voir. Francis Combes s’agace d’abord des dernières polémiques concernant « le vieillard (…) déguisé en drag-queen », pour s’émerveiller, l’ayant rencontré, devant l’homme capable de parler comme un livre. Jean-Luc Despax interroge le poème Les Poètes. Nedim Gürsel brosse le lien d’Aragon à Venise, la ville des amants, et ses bonheurs, et ses malheurs, avec Nancy. Michel Host s’intéresse au poète, dans une contribution que l’on peut lire ici : http://www.recoursaupoeme.fr/essais/la-gr%C3%A2ce-%C3%A9parse-ou-le-po%C3%A8te-aragon/michel-host. Philippe Le Guillou médite sur la fascination exercé sur lui par La Semaine sainte. Jean-Paul Schintu se rappelle la présence d’Aragon lorsqu’il joua L’armoire à glace un beau soir. Lucien Marest étudie le rapport entre Aragon et le Parti Communiste Français. Daniel Mesguich répond, par un entretien profond, aux questions de François Eychart. Luis Mizon parle des rapports entre Aragon et Neruda tandis que Sarah Vajda évoque son rapport à Barrès. Le numéro se clôt par un article de Lucien Wasselin convoquant en sa mémoire les vifs souvenirs d’Aragon qui marquèrent sa propre vie en des instants inoubliables grâce au compagnon poète. Quant à Pascal Boulanger, il rend hommage à Aragon par six brillants poèmes évoquant les images devenues légendaires du poète.
Un beau numéro pour apprécier, avec maintenant trente ans de recul, l’extrême diversité des langues d’Aragon orchestrées par sa langue natale : le poème.