Nous oscillons entre joie et peine, songe et réalité, vie et mort aussi quelquefois. Ce recueil est un appel au partage dans le réel du monde extérieur parfois tendu vers l’enfance comme un dernier rempart, une dernière manière de supporter le présent. Cependant, très peu de choses suffisent pour nous rendre à notre plaisir d’exister et à nous relancer toujours plus loin que nous. Toute lumière est si proche de nous à qui sait regarder. Au travers de l’inventaire du pour et du contre, Philippe Mathy tisse une condition de vie :
Le sentier sur lequel je m’avance va, tortueux, indifférent, comme si son seul souci était d’arriver à sa fin.
le quitter, au risque de me déchirer aux ronces.
Analyse de toutes les réponses possibles à la vie, la poésie de Philippe Mathy est sans fin, elle nous échappe toujours comme la vie. Je la comparerai à un éclat bref de lumière qui ne cesse même disparu de continuer à nous éclairer et que nous recherchons en vain dans sa matérialité. Poésie déroutante car son excès de « simplicité » fait exister nos sens et nos réflexions à une telle dimension que nous nous y perdons. Nous tombons dans l’éternité. Surprenant les dédicaces ainsi que le nombre d’auteurs mis en exergue comme si Philippe Mathy voulait rassembler un nombre de personnes, d’autres Veilleurs d’instants. Beau titre qui nous livre des échappées comme un oubli de soi bref et répétitif. La Loire y est prise comme maître d’œuvre, tous nos sens concentrés s’ordonnent au rythme et au mouvement de cette nature quelquefois personnalisée. Ne soyons pas dupes, ce ne sont que les points de départ d’une réflexion ou d’une approche métaphysique qui nous revoient à un au-delà et à la présence des autres. Cette volonté de faire cohabiter les contraires donnent de très belles images qui sont le reflet du réel propre à chacun d’entre nous. Ce sont des signes qui donnent à interprétation parmi les éléments de la nature qui se répondent même dans leur éloignement : Un oiseau a lancé son chant // petite pierre pour les ricochets. Cet appel vers la beauté de la vie sans concession éclaire le sol un instant puis nous y replonge : Sur le tapis de l’herbe, // Je demeure assis, // ne sachant comment // survivre à mes rêves. Les mots restent aussi impuissants lorsque sortis de nous ils abordent le monde et nous déçoivent, fanés. L’auteur s’aperçoit que si cette nature donne, elle n’est rien sans notre volonté de collaborer : Au fond de nous des chemins. Il faut les prendre par la main, là où le vent rêve encore d’horizons ramifiés.
Les peintures de Pascale Nectoux nous laissent des lignes comme celles de la main qui nous parlent et se taisent à la fois par leurs ramifications. Couleurs parfois vives qui deviennent éclats ou au contraire se libèrent dans la sobriété et le repos. Tout un paysage se dévoile vu de loin dans la fraîcheur de ses interrogations.
Le ruisseau chante
sur les pierres
qui pourraient
le blesserOù va la vie qui va
si vite
si belle
si cruelle ?
Ici aussi, la fraîcheur d’une évidence raisonnée parcourt chaque poème. Tout est signe et nous fait signe dans la sobriété de l’instant et l’absence de naïveté. La profondeur y a une légèreté et une souplesse qui font de chaque poème une acceptation. Ce monde extrêmement sensible y est rond de sa présence, des échos qui se répercutent et assurent l’unité d’un vécu simple et prenant. L’heure est à une harmonie diffuse. Chemin initiatique, Philippe Mathy nous conduit vers une beauté de plus en plus réservée écoutant le plein de la vie. Le mot s’efface devant la chose, tous deux se libèrent pour laisser leur présence seule briller. Le monde vrai se superpose à un monde de rêve éveillé où le corps trouve encore l’espace pour s’épanouir et vibrer au milieu d’un monde immédiat. Recueil d’une profonde sensibilité, l’auteur ne verse jamais dans le lyrisme, tout y est mesuré avec maîtrise et une grande justesse de ton, la même tout au long du recueil. Veilleur d’instants, un de nos plus beaux métiers d’être humain.
Présentation de l’auteur
- Marilyne Bertoncini, L’anneau de Chillida - 9 décembre 2024
- Stéphane Sangral, Là où la nuit / tombe - 14 octobre 2019
- André du Bouchet, la parole libre de son mouvement - 5 novembre 2018
- Berbard Desportes, Le Cri muet - 4 septembre 2018
- Philippe Lekeuche, Poème à l’impossible - 3 juin 2018
- Kamel Daoud, Zabor ou les psaumes - 5 mai 2018
- Lionel Seppoloni, La Route ordinaire - 24 octobre 2017
- Philippe Mathy, Veilleur d’instants - 19 octobre 2017
- Stéphane Sangral, Des dalles posées sur rien - 10 avril 2017
- Stéphane Sangral, Là où la nuit / tombe - 10 avril 2017
- Fabien Abrassart, Si je t’oublie - 10 avril 2017
- Fil de Lecture de Jean-Marie CORBUSIER - 7 mars 2016
- Jean-Marc Sourdillon, Jaccottet écrivant Au col de Larche - 13 septembre 2015
- Philippe Jaffeux, Autres courants - 10 mai 2015
- Philippe Jaffeux, Courants blancs - 9 novembre 2014