Abbaye de Landévennec, l’âme d’un lieu
Ayant quitté le chemin de la foi depuis de nombreuses années, j’ai peu l’habitude de lire des livres religieux. Mais attiré sans doute par les noms de Gilles Baudry et Pierre Tanguy, poètes bretons aux mots souvent justes, je me laisse attirer vers un lieu plein de mystère : l’abbaye de Landévennec. « Un mystère s’ouvre à moi fait de beauté et de mystère… » (P.Tanguy). Véritable cocon spirituel, cette abbaye retirée au fond de la rade de Brest au détour d’une boucle de l’Aulne, a été fondée au cinquième siècle et possède l’âme de tous les lieux d’histoire. Mais avec en plus, l’âme des mots inspirés du silence, écrits par G.Baudry. Ou comment l’homme peut contribuer à l’âme d’un lieu…
Mystère de la vie monacale pour le simple passant comme moi, « ce sentiment de rentrer par effraction dans un domaine où des paroles venues d’ailleurs bruissent même entre les feuilles » (Pierre Tanguy). L’abbaye, lieu de retrait, de silence et de lenteur (« Nos pas / seraient plus purs / s’ils avaient la lenteur de la sève / et notre sang / battrait à l’unisson de la forêt » G.Baudry), à l’opposé du monde moderne que l’on nous impose, attire chaque année de nombreux pèlerins de tous horizons. Et cette vie monacale est sans doute pour beaucoup dans le dénuement de la poésie de Gilles Baudry comme elle l’a été pour Pierre Reverdy et Max Jacob. Aller à l’essentiel des mots qui font sens…
Mais au-delà du simple mystère, ce livre cosigné par Gilles Baudry et Pierre Tanguy et illustré par Jacques Dary, est celui de l’attachement à la terre, cette foi dans un lieu qui rapproche souvent toutes les religions partout dans le monde et qui devrait les unir plutôt que les opposer. De l’attachement à la terre de Bretagne « Pays aux vents de haute lisse / Où brodent les fougères / Où d’herbe en arbre / La sève remonte le fil de sa mémoire » (G.Baudry).
Gilles Baudry publie depuis plus de trente ans, la plupart chez Rougerie, des ouvrages d’une poésie dépouillée, à l’aplomb du silence du lieu qu’il ne quitte jamais. Et tous ses écrits contribuent à ajouter de l’âme à ce lieu de pierre et de terre, de vent et d’eau.
Un lieu plein d’âme conserve une présence en nous même dans l’éloignement : « Nous avons beau nous éloigner / le paysage ne nous quitte pas // sur l’estuaire / il s’ouvre comme un livre d’heures » (G.Baudry). C’est pour cela également que les livres ont aussi une âme et ce livre-là n’en manque assurément pas.
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Sur la barricade du temps – Titos Patrikios
Avec la publication d’une anthologie bilingue des œuvres du poète grec Titos Patrikios, les éditions Le Temps des Cerises nous offrent l’occasion de comprendre la crise grecque par le prisme de la poésie tout aussi efficace que celui de l’économie ou de la sociologie. En effet, avec les poèmes de ce grand auteur maintes fois primé, et dont la vie fut un combat pour la liberté et la démocratie, nous plongeons dans l’histoire difficile d’un pays aux multiples souffrances.
Titos Patrikios, l’un des poètes les plus importants de Grèce et ami de Yannis Ritsos, fait partie de ces intellectuels qui, après la seconde guerre, par le seul fait d’être communistes et porteurs d’une autre vision du monde, ont eu à connaître l’emprisonnement dans des camps de « réhabilitation ». La vie de ce poète trop peu connu en France illustre parfaitement la devise grecque : « la liberté ou la mort ». Car sa vie fut un combat et son temps une barricade où il tenta toujours d’y chercher le bonheur « Le bonheur ici et maintenant / le bonheur où que ce soit, toujours / bonheur seulement dans le combat ».
Comme si le combat contre les nazis (Patrikios s’engagea à 14 ans en 1942 dans la résistance) ne suffisait pas pour ce peuple berceau de la civilisation européenne, il fallu souffrir sous la férule d’anciens collabos remis au pouvoir par les bons soins des anglais et des américains dans l’immédiat après-guerre. Malheureusement pour elle, la Grèce n’a pas eu la chance d’avoir un de Gaulle pour unifier la résistance et défendre les intérêts de la démocratie dans la reconstruction. Il faudra attendre 1974 pour mettre fin à la dictature et le retour de Patrikios dans son pays un an plus tard après un exil en France (1959–1964) et en Italie (1967–1975).
L’aventure d’une telle vie n’est pas une quelconque distraction télévisuelle, elle n’est pas non plus une compétition mais un appétit de liberté qui appelle aux armes. Titos Patrikios sait cependant rester modeste (mais peut-il en être autrement pour un poète?). « A l’âge que j’ai atteint désormais / quel pouvoir ai-je acquis / sur les autres, sur moi ? / Quelle vérité ai-je réussi à dire ? / J’essayai de répondre / quand le rêve suivant a surgi. »
Mais Patrikios est un poète et le combat n’empêche pas la réflexion sur la langue « c’est dans cette langue que me parlaient même les morts », sur la poésie « c’est là que te trouve la poésie » et sur les mythes qui ont bâti la Grèce.
Dans ma lecture silencieuse, j’entends résonner l’histoire difficile d’un pays en souffrance. « Pauvre Grèce, aux pieds gonflés / dans de vieilles chaussures déformées, / avec les défroques des patrons »… Le diktat des marchés et de l’Europe mercantile venant après celui des nazis et des dictatures qui s’en sont suivies. A lire Titos Patrikios, je pense aux combats actuels du peuple grec et j’ai envie de dire aux français « Ne tirez pas sur un pays qui souffre. » Mais gardons confiance, un pays qui s’est libéré seul du joug nazi, oui seul, sans les alliés, est capable de se libérer de la dictature des spéculateurs. L’éclaircissement par l’histoire, c’est un peu ce que propose cette anthologie bilingue, dans une traduction de Marie-Laure Coulmin Koutsaftis.
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Intempéries d’Emmanuelle Imhauser
Poète belge née en 1959, Emmanuelle Imhauser publie aux Ateliers de l’agneau un deuxième ouvrage de poésie placé sous la saisonnalité de l’existence et de la joie d’écrire ce temps qui passe. « ne pas se laisser prendre à l’obscurité froide de / contrées sans saisons / et trouver dans le pli des rides de l’été / le foin fumant et chaud ». Sous-titré « zeit wetter » ce recueil prend les saisons comme point commun entre le temps qui passe (en allemand : zeit) et le temps qu’il fait (wetter). A chaque saison ses Intempéries. Réflexion sur ce temps qui nous laisse périr, sur son expression, son langage et la façon de l’écrire. Car le jour n’est pas qu’une lumière, c’est aussi un morceau de temps. « un peu de temps gagné /// la pluie tombe toujours / assez fine et légère /// le carillon qui sonne // zeit » Et puis pour exemple, ce bel alexandrin qui joue bien sur la dualité sémantique de ce temps : « demain se lèvera aux yeux mouillés de l’aube ».
Car Emmanuelle Imhauser marie l’alexandrin avec le quotidien de sa vie de femme, de mère. « mais que fait-on ce soir / a‑t-on fait à manger / la table est-elle mise // le service attendu à l’heure bien précise // il ne faudrait pas rire de choses aussi graves ». Gourmande d’écriture gourmande des petits moments à écrire car le temps c’est aussi une succession d’instants passés à nettoyer la cave, à renouer son écharpe, à ne pas dormir et penser à son petit. ..
Mais « pourquoi chercher ailleurs les pistes du langage »? Le temps qui passe. Des années-alexandrins de douze mois bien taillés. Mais pour rompre ce ronronnement à douze temps, l’auteur casse le rythme en cherchant à écrire une « langue presque parfaite / l’humus d’une voix qui murmure à l’oreille les / terreaux de l’automne ».
C’est pourquoi ces intempéries proposées par Emmnuelle Imhauser ne sont pas à redouter. Plutôt s’en délecter.
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