Nanos VALAORITIS : Amer carnaval
Nanos Valaoritis est un poète et romancier grec avec qui il faut compter : en 2014, le 43 ème Festival du livre grec lui a été consacré et son œuvre a été distinguée par plusieurs prix littéraires dans son pays ainsi qu’à l’étranger (aux USA en particulier où il reçut en 1996 le prix National Poetry Association). Le présent recueil, intitulé “Amer Carnaval” semble être un choix de poèmes tiré de son avant-dernier recueil qui porte le même titre : c’est du moins ce qu’affirme sa traductrice, Photini Papariga (p 9). Ce qui n’empêche pas Christophe Dauphin de signaler dans sa préface qu’il est sans doute l’un des poètes surréalistes les plus importants de la Grèce… Et de souligner les rapports de Valaoritis eut avec Elisa et André Breton, et quelques peintres de la même école… Mais Valaoritis conserva de son passage par le surréalisme, “l’usage d’images insolites et insolentes”… De fait, ce poète grec apparaît dans ce choix de poèmes comme le lointain cousin d’un Jacques Prévert. : “Une phrase échappée / de ses rails mous / a échoué dans une prairie / vert foncé avec des orangers…”. Il faut signaler que le préfacier évite son travers habituel, à savoir l’attaque systématique contre les staliniens auxquels sont réduits de nombreux poètes sans tenir compte de l’Histoire et de leur évolution personnelle : ainsi Dauphin met-il l’accent sur la lutte contre l’occupant nazi, les différentes dictatures qui se sont succédées en Grèce et contre le diktat européen actuel qui lui font rendre hommage à Ritsos et Valaoritis qui se retrouvent sur le même plan…
Le poème est convenu, la disposition strophique sans surprise mais l’humour est là : “Et maintenant j’ai oublié / ce que je voulais écrire / quelque chose bien sûr / de très banal à première vue”. Humour certes grinçant, mais humour cependant, quand tout poète cherche l’originalité. L’image reste insolite : “Les traces des crises d’épilepsie / laissent leurs queues de cheval s’agiter”, mais il y a quelque chose de subversif qui s’exprime. La coupe du mot en fin de vers isole des syllabes qui renforcent le côté comique et révolutionnaire du poème : ainsi avec con/sommation ou con/vives. Dans une forme relevant de la raison ou de la lucidité court souvent une image plus ou moins surréaliste où se mêlent l’érotisme (À tout prix), l’actualité technologique (Au lieu de), les références aux poètes du passé (N’en plaise à Dieu ou Au balcon de Paul Valéry)… C’est la marque de fabrique de Nanos Valaoritis. Jamais il n’oublie le politique (la dette ou l’Histoire) qui vient colorer des aperçus plus traditionnels ou plus prosaïques. Christophe Dauphin a raison de noter dans sa préface que Valaoritis “n’a jamais été fermé à d’autres influences et courants [autres que surréalistes] de la modernité poétique”. Et il ajoute : “Disons que, inclassable, Valaoritis est valaoriste ! “. L’édition française d’Amer carnaval se termine par des références bibliographiques de ses parutions en France, l’amateur de poésie n’aura plus d’excuses, même s’il devra aller en bibliothèque de prêt ou consulter le catalogue des libraires d’occasion pour découvrir ce poète singulier (car certaines de ces références renvoient à un passé lointain dans le milieu du commerce ! )…
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Jean-Francois DUBOIS : Une frêle chaloupe
Il ne sert à rien de barguigner : j’aime depuis longtemps ce qu’écrit Jean-François Dubois, sans doute depuis “Le cœur de faïence” (1986) qui m’avait définitivement convaincu, à moins qu’il ne s’agisse de poèmes isolés, lus ici ou là, dans une revue ou dans une anthologie… La mémoire est oublieuse ! Aussi est-ce avec plaisir et intérêt que j’ai ouvert “Une frêle chaloupe”.
D’emblée, le lecteur est pris dans une écriture savante qui évoque Borges, Claudel, Ponge… Je ne suis pas familier de ceux-ci, sauf peut-être de Ponge, mais certes pas de Claudel : trop de préventions à son égard à cause de Rimbaud ! Mais sans doute ai-je tort : Aragon n’a-t-il pas pas fini par apprécier Claudel ? Il me faudra lire enfin “Connaissance de l’Est”… C’est la réalité qui est mise en doute, à la lumière de la lecture : où se trouve le réel : dans ce qui est vu ou dans ce qui est lu ? “Les couleurs avaient pâli dans dans une nuance verdâtre envahissante, comme si les pelouses ou les berges boisées avaient imposé leur dominante, qu’un même débordement sournois avait rongé lignes et contours” (p 12). Le temps passe et change les choses ; pas seulement la littérature mais aussi la photographie et la peinture. Jean-François Dubois prend son temps pour décrire (l’arrivée du car-ferry Le Warden, dans un port non situé) si bien qu’on hésite devant le genre littéraire auquel appartient le texte : brève nouvelle ou long poème en prose… La description n’est pas avare de termes techniques mais la façon de l’auteur de s’adresser au lecteur et l’arrivée du navire à reculons laissent planer un certain mystère : la réalité s’efface ! Comme elle laisse la place à une sculpture dans l’inhumation d’Yves Cosson… Jean-François Dubois n’arrête pas de voir le réel au travers des productions artistiques. Ailleurs, c’est un coup de soleil (un effet de l’art naturel) qui rend souriant un cimetière où la vie persiste ! Il y a plus de réalisme dans les proses de Jean-François Dubois qui mêle présent et passé, évocations d’anonymes et de célébrités (relatives, quand il s’agit d’écrivains ! ). Enfin, le dernier texte de ce recueil est un clin d’œil à la vraie vie (comme si tous les autres ne l’étaient pas ! ) : Jean-François Dubois trace son arbre généalogique qui remonte à novembre 1727 (p 43). Non sans humour puisque ce texte se termine par ces mots : “Deux autres générations se succédèrent, en 1865 puis 1900, et ce fut mon tour un peu plus tard en 1950, et vers trente ans, de faire souche moi-même, et ainsi à suivre” (p 51)…
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Christian BULTING : Nico Icône des sixties
Soient quelques éléments disparates : Christian Bulting est un poète, par ailleurs professeur de philosophie dans un lycée agricole au temps béni d’une activité professionnelle ; Nico n’est pas seulement une icône du Velvet Underground, elle en fut la chanteuse lors du premier album en 1967 ce qui ne l’empêcha point d’enregistrer six albums en solo et de publier un recueil de poèmes, Chemin d’une vie ; une époque, celle des sixties à laquelle tout était permis (ou presque), contrairement à aujourd’hui où tout est interdit (ou presque, sauf en politique ! ). Secouez le tout et ça donne “Nico Icône des sixties”, un recueil de poèmes de Christian Bulting…
D’emblée, (et ça continue), Christian Bulting se sert de cette icône (qui n’est qu’un prétexte) pour dire qu’il aime les femmes (la femme ? ) et c’est sans doute un reflet de l’époque, de la libération sexuelle… Mais tout aussi d’emblée, il accueille dans ses poèmes des êtres de chair et de sang emblématiques du moment : comme Marianne Faithfull ou Philippe Gicquel ; mais qu’on ne compte pas sur moi pour recopier la quatrième de couverture ! À noter que Christian Bulting dépasse largement le contenu du titre puisqu’il note à propos de Gicquel qu’il est un homme bleu (ce poète ayant publié “Homme bleu, ici même” aux Éditions Gros Textes en 2008) ou que Ben Laden fut assassiné en 2011 (in Rue Faraday-Landévennec). La quatrième de couverture l’affirme : “Le livre est ponctué de longs poémondes écrits sur le vif à Shangaï…” C’est juste et Christian Bulting s’interroge, tout comme le lecteur, après une digression sur l’armée de terre cuite de Xian : “La Longue Marche des hommes d’ici de ce pays / Pour que chacun ait même poids de droits”. L’avenir pousse le passé, mais à quel prix ? Au prix de l’oubli de la Longue Marche ? Il faut s’attendre à un retour du refoulé… Tout se mélange, se succède sans transition : un amour qui finit mal, Riga, le souvenir d’un récital de Colette Magny ; tout est vu au travers du prisme de Nico, l’icône des sixties… “La Havane”, long poémonde à sa façon où se mêlent souvenirs d’enfance, de lecture, des grands-parents, d’une rue de la Havane avant d’aller à Cuba où le Che rêvait d’une vie meilleure pour son peuple d’adoption avant de trouver la mort au fond d’une forêt bolivienne… Une icône, lui aussi ! Etc, je ne vais pas tout résumer ! Il faut lire “Nico Icône des sixties” pour savoir ce qu’est la vie. Car le sait-on jamais ? C’est le temps des confidences, de l’intimité (avec La Baule-Membach-La Baule) qui se brouille harmonieusement aux souvenirs de Guillaume Apollinaire à Stavelot. Le temps passe et Bulting se retrouve grand-père (p 86) mais le désir demeure. Voyage à travers la durée (ah, les solex, les chansons…).
“Nico Icône des sixties” est le roman d’une vie qui se donne à lire. J’aime que Gilles Pajot traverse ces pages, j’aime le pénultième poème (émouvant) consacré à Marlène Diétrich. J’aime tout !
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François BORDES : Cosa
Cette plaquette de François Bordes est publiée sous un élégant format à l’italienne (22 x 14 cm environ). Elle est accompagnée d’une préface d’Emmanuelle Guattari et de lavis ( ? ) d’Ann Loubert. Sans doute est-il vain de vouloir situer géographiquement ce long poème en 14 chants. Tout au plus, peut-on relever quelques indices : cathédrale, volcan, Cluny… Et les références à la musique : La Passion de Saint Mathieu (un oratorio de Jean-Sébastien Bach), La Jeune fille et la mort (un quatuor de Schubert), Let me freeze again the death (une citation qui fait référence à un semi-opéra : musique de Henry Purcell et paroles de John Dryden)… Chant d’amour et de mort, Cosa est l’histoire d’une déliaison ; c’est ce qui en fait l’originalité car trop souvent la poésie chante l’amour, la liaison…
Le mysticisme n’est pas absent de ces pages : c’est ainsi qu’on trouve page 45 ce distique : “nous avions laissé Sade / pour Marguerite Porète”. Cette dernière est une mystique du XIIIème siècle qui fut brûlée vive par l’Inquisition, auteur du Miroir des âmes simples qui inspira Maître Eckhart, mystique rhénan qui vécut aussi en grande partie au XIIIème siècle… Reste ce passage de Sade à Porète alors que que les références au divin marquis sont nombreux : Faxelange, Oxtiern ou les infortunes de la vertu… Symbole de la fin de la possession ? De la déliaison ? Sans doute…
Le chemin est long de la possession à la liberté retrouvée. L’état atteint de Wangarapa est significatif de cette dernière. La fin de la liaison est mystérieuse : “mais tu n’étais plus là / et tu ne revins pas” (p 51). Pourquoi Cosa refuse-t-elle le bouquet de feuilles mortes ? Quel symbolisme cache François Bordes dans ce refus ? Celui de la mort ? Je ne sais. Il faut encore souligner la diversité des mètres utilisés dans Cosa : prose et vers, vers plutôt longs, vers brefs (réduits à un mot), en escalier comme chez le grand Maïakovski, le ton plutôt élégiaque…
Cosa est un recueil prenant, sans doute à cause du mystère qui plane sans cesse.
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Hervé DELABARRE : La Nuit succombe suivi de Carène
Sans doute est-il difficile (voire impossible) de parler de “La Nuit succombe” d’Hervé Delabarre tant on y peut retrouver l’écriture automatique. Alain Joubert, dans sa préface, met en évidence le surréalisme qui coule dans ce recueil. Il en voit la preuve dans la lecture que fit André Breton de “Danger en rive” : “… c’est chez Hervé Delabarre que Breton retrouve et désigne le chemin de cette poésie qui ne doit rien au calcul, mais tout aux fulgurances de l’inconscient…” (p 10). Revenant à “La Nuit succombe”, Alain Joubert relève les mots de vie qu’il oppose aux mots rares…
Les poèmes d’Hervé Delabarre ne vont pas sans une certaine obscurité tant ils explorent cet inconscient dont parle Alain Joubert dans sa préface. Le lecteur attentif remarquera le goût de Delabarre pour l’image insolite “L’ongle / Incise une nuit capitonnée” (p 17) tout comme pour les mots voisins sur le plan phonétique : “Ainsi va l’immonde / L’antre et l’autre / L’auge et l’ange” (p 18). Le jeu sur les mots n’est pas absent : “mot dire” qui évoque maudire (p 22). Dans la première suite, “Des douves en corps et toujours”, le vers se fait bref (réduit souvent à un mot ou deux). “Fétiches”, par contre, regroupent deux proses assez longues qui sont l’exemple même de l’écriture automatique (mâtinée de réflexions parfaitement rationnelles). Dans la seconde, on retrouve le sire de Baradel qui traversait déjà quelques pages de “Prolégomènes pour un futur” ; mais l’important n’est pas là, il réside dans le hasard objectif… “La nuit succombe 1” sait se gausser d’une certaine poésie : “la poétesse poétise / et met des bigoudis aux rimes” (p 44) : c’est réjouissant ! L’objectif est bien de capter ce que dit l’inconscient et non de faire joli… Quand ce n’est pas l’ironie qui reprend cette phrase jadis analysée par André Breton dans le Premier manifeste du Surréalisme (1924) et qui devient sous la plume de Delabarre “Laissez venir, marquise, vos cuisses ouvertes à deux battants” (p 56). Même l’attitude anti-cléricale propre aux surréalistes (je me souviens en particulier de cette photographie où l’on voit un crucifix pendu à une chaîne de chasse d’eau ! ou l’ai-je rêvée, ce qui en dirait long sur mon inconscient…) est présente dans un poème d’Hervé Delabarre : “Botter le cul aux pèlerins de Lourdes ou de La Mecque” (p 62) ! “Intermède” (qui regroupe trois poèmes consacrés à des héroïnes de contes traditionnels : Blanche-Neige, le Petit Chaperon rouge et la Belle au bois dormant) est placé sous le signe de la cruauté. Cet ensemble n’est pas le résultat direct de l’automatisme, du hasard tant il est réfléchi mais il exprime parfaitement un certain aspect de l’inconscient et la vision est décapante. L’érotisme n’est pas exempt d’une certaine imagerie convenue (cuissardes, cravache, nudité…) mais il est sauvé par l’humour (la vache qui rit) ! L’irrespect quant à la mort est de mise… La multiplicité des personnages qui apparaissent dans “La nuit succombe 2” assurant une distanciation salutaire et rendant acceptables l’irréligion et l’érotisme (la vulve est omniprésente) de ces poèmes.
La seconde partie du recueil est un longue (une vingtaine de pages) et libre médiation sur le mot carène qui s’est imposé pour sa sonorité. Les mots jouissent, s’accordent et s’abouchent pour leur musique, pour leur bruit sans aucun rapport au signifié comme le souligne Hervé Delabarre dans ses explications liminaires. Au total, ce livre témoigne du surréalisme qui irrigue la production de maints poètes qui ne s’en réclament pas ouvertement mais qui n’ont jamais fini de payer leurs dettes. Tant le surréalisme a été une porte qui reste ouverte.
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- La proie des yeux de Joël-Claude Meffre - 27 novembre 2013
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- Après le tremblement, de Jean Portante - 18 novembre 2013
- Aragon parle de Paul Eluard - 10 novembre 2013
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- La tête dans un coquillage de Patrick Pérez-Sécheret - 26 octobre 2013
- À vol d’oiseaux, de Jacques Moulin - 22 octobre 2013
- Vaguedivague de Pablo Néruda - 16 octobre 2013
- Mare Nostrum - 4 octobre 2013
- Rudiments de lumière, de Pierre Dhainaut - 15 septembre 2013
- Et pendant ce temps-là, de Jean-Luc Steinmetz - 15 septembre 2013
- Mémoire de Chavée - 30 août 2013
- Marc Porcu, Ils ont deux ciels entre leurs mains - 12 août 2013
- La chemise de Pétrarque de Mathieu Bénézet - 12 août 2013
- NGC 224 de Ito Naga - 6 août 2013
- LES ILES RITSOS - 7 juillet 2013
- Les Sonnets de Shakespeare traduits par Darras - 30 juin 2013
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