Fil de lecture de Lucien WASSELIN : ARFUYEN — SPIRITUALITÉ et POÉSIE.
PARACELSE : "ÉVANGILE D'UN MÉDECIN ERRANT".
dont il faut relever quelques faits montrant la modernité des idées de Paracelse dans le domaine médical : la médecine doit s'appuyer sur l'expérience et non sur la simple érudition, les traitements doivent être soumis à des contrôles réguliers et Paracelse entend soigner gratuitement les plus démunis… Quand on voit l'état actuel de la médecine (et sa soumission à l'argent-roi), on se dit qu'il y a encore bien des progrès à faire…
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SHAKESPEARE : "AINSI PARLAIT SHAKESPEARE".
Il y a tout et son contraire dans Shakespeare : cela tient à la forme théâtrale de son œuvre, les personnages ne tenant les propos que leur prête le dramaturge pour sa démonstration. Gabrielle Althen essaie de mettre de l'ordre dans ces dialogues et elle met en évidence les contradictions qui les traversent. "L'intensité de l'œuvre […] tient à l'acuité de la saisie, à sa justesse, à la lucidité par laquelle la raison profonde des actes de ses personnages est mise au jour" écrit-elle dans sa préface. Mais elle ajoute : "… le bien et le mal restent tels […]. Et le bien c'est d'aimer, de protéger les autres et l'ordre du monde…" Il n'y aurait donc pas de place pour la révolte, Shakespeare dénonce "les fausses valeurs, fausses vertus et fausses sagesses", dénonciation qui trouve son origine dans l'espérance. Shakespeare est un homme de son époque, un homme du XVIème siècle, mais aussi un homme d'un milieu aisé par ses origines. Aussi le lecteur picorera-t-il à son gré dans les dits et maximes de vie choisis et traduits de l'anglais par William English et Gérard Pfister ainsi que le proclame la couverture du livre. Il faut aussi souligner que l'édition est bilingue et que l'original (anglais) indique les références des fragments cités (voir pp 168-170).
(p 23), il suffit de remplacer le mot parchemin par celui d'ordinateur ou de blog, pour actualiser le propos ; c'est l'écriture qui fait ou défait les réputations usurpées ou non. Mais, cet autre fragment, toujours extrait de la même pièce "Plutôt poser ma tête sur le billot que de plier le genou devant quiconque, hormis le Dieu du ciel et mon roi" (p 21) ne laisse pas d'être inquiétant : cette "maxime de vie" est conservatrice dans la mesure où elle défend l'ordre établi… On pourra bien sûr objecter que Shakespeare parle pour son temps, mais les lecteurs d'aujourd'hui pourront en tirer des conclusions à leur façon : il aurait été bon que ces choses soient précisées… Reste à picorer selon son humeur : mais je suis convaincu que ce jeu variera d'un lecteur à l'autre ; mes propos n'étant là que pour provoquer le désir de lecture de ce livre… et des pièces de Shakespeare (ou d'aller les voir au théâtre !). Est-ce l'époque ou les temps que nous traversons qui me rendent d'humeur sombre ? Je ne sais mais j'ai préféré les citations (qui valent bien maints aphorismes) où Shakespeare dit son dégoût des hommes de pouvoir et leur fait avouer crûment ce qu'ils ont au fond d'eux. Ainsi : "Vivre ou mourir, lequel des deux est préférable quand vivre est une honte, et mourir un pêché ?" (Le Viol de Lucrèce) : bien des hommes politiques actuels sont décrits dans ces mots ! Ce que dit Shakespeare (p 71 : ces mots que prononce Shylock in Le Marchand de Venise, 3, 1) à propos des Juifs ne s'applique-t-il pas aux Palestiniens de nos jours ? Il suffit de remplacer le mot juifs par ces autres mots musulmans ou athées ou quelque autre et le sens reste le même ! Ou ce que dit Polonius (in Hamlet 1, 3) : "Ceci par dessus tout, sois fidèle à toi même, et, comme la nuit suit le jour, il s'ensuivra que tu ne pourras être faux envers personne". On retrouve des formules célèbres (comme "Être ou ne pas être, c'est la question !", Hamlet in Hamlet, 3, 1). Hamlet est une source inépuisable de sentences ! Et les anthologistes ne s'en privent pas ! Mais on trouve dans le présent choix des formules peu connues mais non sans valeur : "C'est le malheur des temps quand les fous guident les aveugles" (Gloucester in Le Roi Lear, 4, 1). Qui sont les fous, qui sont les aveugles ? Ou les fanatiques, ou les dogmatiques ?
Y a-t-il une ultime leçon ? J'en doute car ce livre est à reprendre et reprendre ! C'est dire que la disposition et le caprice du lecteur peuvent changer… En tout cas, il faut lire et relire cette anthologie… Pour changer d'avis.
Shakespeare, "Ainsi parlait…" Dits et maximes choisis. Arfuyen, 176 pages, 13 €.
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Antoine RAYBAUD : "STIMMEN".
Une autre remarque s'impose quant à la forme. Stimmen semble venir de l'allemand où le verbe signifie accorder (au sens musical). Ce qui explique la polyphonie suggérée par la note liminaire qui signale : "Voix au pluriel : voix de chacun gagée sur le plus retenu de l'émotion et du souffle, voix de l'échange ou de l'affrontement…" La saeta est une brève chanson à caractère religieux en usage lors des cérémonies de la Semaine sainte en Espagne. les neumes désignent des groupes de notes émises d'un seul souffle. Le lied est un poème allemand chanté par une voix et accompagné, le plus souvent, par un piano (les lieds de Schubert sont célèbres). Le combattimento est une cantate scénique. Le titre des autres parties se passe de définition : on voit là l'influence de la musique dans l'écriture de ces poèmes. Le lecteur ne s'étonnera donc pas des références à Monteverdi, à la musique, à l'utilisation des grands mythes (Homère, Hölderlin…).
Qu'elle touche le lecteur ou le laisse de marbre, la poésie d'Antoine Raybaud lui apprend quelque chose : tout d'abord que la poésie n'est pas seulement épanchement de soi, ensuite quelque chose de subtil sur l'ordre du monde qui n'est jamais acquis définitivement mais que l'homme construit individuellement pour le meilleur et pour le pire…
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Anise KOLTZ : "UN MONDE DE PIERRES".
Ce recueil s'ouvre sur un bref "poème" de trois vers : "Dans chaque pierre / une maison / rêve d'exister". Il ne faut pas le prendre à la lettre car les pierres ne rêvent pas, sinon métaphoriquement : seuls les vivants rêvent et, singulièrement, les poètes qui ont ainsi une vision aiguë du réel. C'est que l'homme a toujours chargé de sa propre spiritualité les édifices qu'il construisit qui deviennent alors le réceptacle des questions qu'il ne cesse de (se) poser. Et des réponses…
Un monde de pierres est, plutôt qu'une suite de poèmes, un long soliloque dans lequel Anise Koltz s'interroge sur le sens de la vie, d'où ces redites qui ne sont pas de vulgaires répétitions. Un livre traversé d'angoisses et de questions existentielles écrites dans une langue dénudée, voire brutale, un livre dans lequel Anise Koltz prend ses distances par rapport à la religion dominante du continent européen pour adopter une vision personnelle. Le lecteur sera sensible à ces vers où, parlant du Nil, elle avoue : "Comme le fleuve / nous passons / tout en demeurant", vers que je lis comme un écho à ce fragment d'Héraclite, "Jamais deux fois dans le même fleuve, tu ne te baigneras". Impossible rencontre entre l'éternel et l'éphémère ? entre le stable et le fugitif ? Ou comme une réponse au Livre des Morts de l'ancienne Égypte ? Anise Koltz se révolte contre le temps qui passe et dit admirablement, sans pathos, cette révolte. Mais puis-je partager cette expérience sans la trahir ? C'est tout le défi lancé au critique. Il faut bien rapprocher ces vers "Non je ne porterai pas / la croix du Christ // Je porterai le drapeau / de la liberté // Je saluerai Ève / désobéissante" de ceux-là "Nous ne ressusciterons pas / personne ne survivra / à sa poussière" ou des suivants "Car moi aussi / j'ai mangé / un fruit de la connaissance" : car comment prouver cette prise de distance ?
. Anise Koltz, par sa réflexion, atteint ainsi une vérité qui reste aléatoire mais touche singulièrement le lecteur tant elle est sensible, humaine… D'ailleurs, elle ne vit que dans le souvenir de son unique amour et là aussi questionne sans attendre de réponse : "M'entendra-t-il / dans un autre temps".
Anise Koltz est en quête d'authenticité, elle dénonce ce monde où "tout est est piégé / tout peut se marchander", la disparition de l'être aimé restant insupportable. Un autre monde est recherché, souhaité…, fait de vérité, de rêves, d'espoir et d'amour, où la vie et la mort se réconcilient. Peu importe alors que le lecteur pense reconnaître dans ce monde de pierres celui de l'Égypte antique. Un monde de pierres est un livre de sagesse et de révolte : "Il n'est d'autre pays / que celui / que nous portons en nous".
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Alain SUIED : "LE VISAGE SECRET".
Il faut l'avouer : Le visage secret est le premier livre de poèmes d'Alain Suied que je lis. Jusque maintenant, ses traductions de Dylan Thomas étaient ma seule référence 1, Suied qui écrivit que la poésie de ce dernier était une "… parole des origines, parole perdue, genèse. Genèse ?" dans sa présentation de Dylan Thomas 2.
Soigneusement construit en deux parties inégales, Le Visage secret cultive le ressassement où reviennent les mêmes mots : espace, illusion, absence, temps, naissance… Les couples verbaux dialectiques abondent : absence/présence, premier/dernier, multiple/unique, infini/fermé, vie/rêve, oubli/mémoire, comme si Alain Suied refusait de céder à une vision simpliste du réel. On a l'impression qu'il s'interroge constamment sur son origine, sur celle de la poésie qui se trouverait dans le mystère de la naissance au monde et dans l'amour qui finit par traverser une vie. Le lecteur se souviendra alors qu'à un moment de sa vie Suied s'intéressa à la psychanalyse et entra en analyse… Ce recueil s'enrichit à coup sûr de cette expérience. Mais la démarche du poète n'est pas celle du psychanalyste qui, dans la cure, fait parler le patient pour qu'il découvre très précisément le traumatisme initial à des fins de guérison… Le poète ici, sur un mode élégiaque, disserte (on me pardonnera le mot) sur le silence et l'absence, signale l'oubli à l'origine du mal-être et la mémoire qui permet de vivre et d'écrire. L'enfance et la naissance au monde expliquent ces vers : "Les visages se souviennent / des premières peurs et des premiers / mensonges mais ils ont perdu / toute trace du rêve pur et vaste / de notre éternité". La poésie serait dans la recherche éperdue de ces traces mais surtout d'une vie acceptable. Le drame de l'homme est de constater "… la lueur à peine / visible / d'une trop lointaine / blessure".
Le Visage secret est le récit, via la succession des poèmes, d'une longue quête qui part du constat de la béance absolue et infranchissable entre l'individu et les autres ou l'univers pour aboutir à "l'originelle fusion" où résiderait l'amour qui donne son sens à la vie car "l'amour futur et premier / … détruit la défaillance". Même si chaque vivant, dans sa vie avec l'autre, doit affronter "le même manque absurde".
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Notes.
1. Dylan Thomas, Gallimard, 1979.
2. In L'autre soi, préface à Dylan Thomas, "Vision et Prière". Poésie / Gallimard, 1991, page 8.