L’E.N.A. et la poésie
Adeline Baldacchino a fait l’ENA (promotion 2007–2009) ce qui ne l’empêche pas d’avoir publié de nombreux recueils de poésie. Le fait est d’autant plus remarquable qu’elle a un précédent illustre en la personne de Dominique de Villepin qui a intégré cette école en 1978 et qui a la réputation d’être poète sans que l’on puisse trouver ses recueils… Remarquable aussi dans la mesure où elle vient de publier en 2015 un essai sur ce prestigieux établissement dont elle ne dit pas que du bien et un douzième livre de poèmes…
La ferme des énarques.
C’est le titre de son essai qui fait tout de suite penser à La Ferme des animaux de George Orwell qui est une fable satirique critiquant le stalinisme. La couleur est annoncée, les énarques étant considérés comme de nouveaux apparatchiks qu’Adeline Baldacchino veut sauver, malgré eux, en proposant une réforme de l’École. Partant du constat (qu’elle maîtrise parfaitement) que les énarques, ont appris, non pas à trouver des solutions, mais à placer les problèmes sous le tapis (pour reprendre son expression), se servant allégoriquement de la fameuse statuette des trois singes (ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire), elle écrit ce réquisitoire, non pour souhaiter la suppression de l’ENA, mais faire des propositions de réforme de la formation suivie par ses élèves.
L’ENA, en 70 ans, a fourni 3 Présidents de la République, 7 Premiers Ministres et des dizaines de ministres et de députés. Peut-on alors s’étonner que les problèmes qu’ont à régler ces politiques ne le sont jamais quand on sait que ces hommes et femmes (qui sont par ailleurs “conseillés” par des énarques) sont les “mandarins de la société bourgeoise” ? Peut-on s’étonner que l’ENA, par voie de conséquence, ne forme que de fidèles défenseurs de l’ordre du moment ? Mais, Adeline Baldacchino a un point de vue positif quant aux fonctionnaires de base qu’elle oppose aux énarques et autres hauts fonctionnaires qui tiennent toujours le même discours (rigueur budgétaire, respect des règles européennes, abaissement du coût du travail, compétitivité des entreprises, etc…). Elle va même jusqu’à affirmer que l’ENA formate ses élèves à disserter doctement, à simplifier voire à déformer le réel, non à régler les problèmes que rencontreront ensuite les fonctionnaires de base : elle leur apprend à ne pas faire de vagues car “rien ne doit remonter de ce qui ne marche pas”. La propriété privée des moyens de production et d’échange est devenu un dogme, au nom duquel les énarques ne font pas l’effort d’imaginer autre chose que cette propriété privée… Il est à remarquer qu’à aucun moment Adeline Baldacchino n’emploie l’expression propriété privée ou collective de ces moyens… Certes, les énarques pourraient faire mieux en proposant aux politiques en place de réformer (même pas d’opérer une révolution !) le système économico-politique. Mais ils perdraient immédiatement la confiance de leurs maîtres et c’en serait fini de leur carrière. Certes, je donne l’apparence de donner des leçons alors que je suis “désarmé devant ce monde”. Mais j’ai lu quelques-uns des économistes hétérodoxes, pour reprendre le qualificatif d’Adeline Baldacchino. Mais je sais comment je vis et ce à quoi je crois ; je n’ai pas fait carrière mais je reste persuadé que l’égalité (pas l’équité, cet affreux mot qui justifie toutes les inégalités !) reste un but à atteindre car sinon, comment vouloir vivre ensemble ? On m’objectera que ce n’était pas là le but de ce livre. Certes. Mais je peux réfléchir et je peux vouloir changer le monde, modestement, à la mesure de mes faibles moyens ; et le dire.
Que faire alors, s’interroge Adeline Baldacchino. Certes pas la Révolution, qu’elle assimile à la Terreur telle que vue par les ennemis de Robespierre. Si elle a le mérite de la franchise, elle n’expose pas les moyens à employer, de façon générale. Elle se fait sans doute des illusions sur l’État qui n’est que l’expression, à un moment donné, des rapports de forces et ce n’est pas en se réclamant de Michel Onfray ‑qui est tout sauf un intellectuel rigoureux : la préface qu’il a écrite pour Diogène, fragments inédits a soulevé de nombreuses répliques, toutes plus cinglantes les unes que les autres- et de son post-anarchisme qu’elle arrivera à convaincre le lecteur pourtant acquis à l’idée de changement. Les élèves qui intègrent l’ENA ont déjà suivi un cursus à Sciences Po où l’enseignement repose essentiellement sur l’économie et le droit. D’où la proposition d’Adeline Baldacchino d’introduire (ou de réintroduire) la culture générale et l’art du débat dans la formation dispensée par l’ENA. Le signataire de ces lignes (de formation littéraire et sociologique) ne peut qu’applaudir. D’où une deuxième proposition, à mettre en rapport avec sa remarque (exposée plus haut) sur les fonctionnaires de base : plutôt que de faire un stage en préfecture (par exemple) dans le costume du secrétaire général de la dite préfecture ( ! ), il vaudrait mieux envoyer l’énarque en stage sur le terrain, au plus près des préoccupations sociales, ou syndicales : ils pourraient ainsi constater de visu le résultat des politiques décidées par les énarques ou par les ministres qu’ils ont conseillés… Une troisième proposition est marquée par le coin du bon sens : se spécialiser en début de seconde année pour éviter le saupoudrage des connaissances… Mais il faut s’arrêter : une telle énumération risquerait d’indisposer le lecteur… D’autant plus qu’il y a encore bien des choses à relever comme le plaidoyer d’Adeline Baldacchino pour la relance, la croissance du pouvoir d’achat, le keynésianisme, l’intervention de l’État dans l’économie… Ce sont là des concepts hétérodoxes (ou du moins étrangers à la vulgate du moment) ! Si elle répète à l’envi l’expression “sculpter le réel” à tel point que ça en devient presque une incantation dont on ne sait trop ce qu’elle recouvre, on se demande ce qu’attendent les politiques pour confier à Adeline Baldacchino une mission pour réformer la formation à l’ENA… Mais le pouvoir étant ce qu’il est, ce n’est sans doute pas pour demain. Sauf si les citoyens s’emparent de cette idée… Adeline Baldacchino a écrit La Ferme des énarques non seulement pour faire ses propositions quant à une autre formation à l’ENA, mais surtout pour lutter contre l’ascension du FN. Cependant, face aux Madoff, face aux Buffet et autres thuriféraires du profit libre et sans entraves, dont les politiques de droite et de gauche qui se succèdent aux affaires sont les complices, il importe de supprimer le capitalisme, si c’est encore possible. À lire Michel Onfray qu’elle cite longuement et qui déclare que l’autre gauche qu’il appelle de ses vœux se situe entre “éthique de conviction responsable et éthique de responsabilité convaincue. Elle veut ici et maintenant produire des effets libertaires. Son souci n’est pas de gérer le capitalisme, comme la gauche libérale, ni de briller dans le ressentiment et les mots sans pouvoir sur les choses, comme la gauche antilibérale, mais de changer la vie dans l’instant, là où l’on est” (p 208), on serait tenté de dire “chiche” ! Mais le grand chantier idéologique du XXI ème siècle sera l’articulation entre le communisme dit officiel et le communisme libertaire, faute de quoi rien ne changera en ce monde. Entre transformer le monde et changer la vie… C’est donc un pari osé que fait Adeline Baldacchino, sans même être certaine qu’il existe une justification universellement valable à ce pari. En l’état, La Ferme des énarques est une pièce à verser au dossier du changement plus que jamais nécessaire.
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33 Poèmes composés dans le noir (pour jouer avec la lumière).
La poésie semble être une nourriture coutumière d’Adeline Baldacchino. Non seulement, elle a publié depuis 1999 une douzaine de recueils, la plupart aux éditions Clapas du regretté Marcel Chinonis mais en juin 2008, dans le numéro 45 de Faites Entrer L’Infini, elle fait paraître un texte où elle relate sa rencontre symbolique avec Max-Pol Fouchet et comment sa vie en fut transformée… Elle ira jusqu’à écrire un essai sur ce dernier, Max-Pol Fouchet, le feu, la flamme, une rencontre 1. Mais il y a plus : dans La Ferme des énarques, elle avoue avoir fait une année d’hypokhâgne avant de découvrir qu’elle n’avait aucun goût pour l’enseignement ; elle part alors à la fac de Montpellier où, parallélement à ses études, elle écrit “toujours plus de poésie”… avant de se retrouver à l’ENA ! D’ailleurs son essai sur la formation des énarques est émaillé de nombreuses références aux poètes (Rimbaud, Whitman, Éluard, Césaire, Char, Aragon pour ne citer que ceux-là). Aussi ne faut-il pas s’étonner que paraisse un recueil de poèmes presque simultanément à son essai dont il est question plus haut…
Ses 33 poèmes composés dans le noir font, dès le titre, penser aux 33 sonnets composés au secret de Jean Cassou (parus sous le pseudonyme de Jean Noir…). Il n’est pas jusqu’à la présentation (qui accompagnait l’édition clandestine de 1944) de François la Colère (un pseudonyme qu’Aragon utilisa pendant la Résistance) qui ne rappelle le goût d’Adeline Baldacchino pour la poésie, Aragon dont elle disait, dans son article de Faites Entrer L’Infini, ce qu’il représentait pour elle, en 1998, dans la poésie contemporaine : “c’est pour moi Aragon, pas grand-chose après, pas grand-chose au-delà”… D’ailleurs dans La Ferme des énarques, Char, Aragon, Éluard (qui furent des Résistants) traversent fugitivement quelques pages… Si Adeline Baldacchino écrit : “Je n’ai pas l’outrecuidance de croire que l’on devient résistant en lisant un poème d’Aragon” (p 138 de cet essai), elle semble particulièrement marquée par la poésie de la Résistance. Mais je n’écris pas ces lignes pour faire savant, mais simplement parce qu’elles éclairent singulièrement la poésie d’Adeline Baldacchino telle qu’on peut la découvrir dans les 33 poèmes composés dans le noir.
Ces 33 poèmes sont tous construits identiquement (6 strophes de 7 vers) et traitent tous d’une notion, d’un lieu ou d’un être réel ou mythologique. Façon d’appréhender le réel ? De le comprendre avant d’agir ? Je ne sais que répondre à ces questions que je me pose. En tout cas, se dégage de ces vers une règle de conduite multiple, une philosophie de l’existence. Il faut prendre son temps pour vivre, pour réfléchir, pour décider (“l’art de l’oubli du temps”). Ailleurs, c’est l’insomnie qui prend des allures funèbres. À lire ce recueil, on se rend compte de l’importance du temps. Est-ce un hasard si ce livre qui comprend 33 poèmes paraît en 2015 alors qu’Adeline Baldacchino, qui est née en 1982, a 33 ans ? Hasard objectif si la réponse est positive ? Là encore, je ne sais pas ou, plutôt, je ne le pense pas si j’en crois les quelques lignes ajoutées après ces 33 poèmes… Quand on lit, comme je l’ai fait, ces deux livres l’un après l’autre, on ne manque pas de remarquer d’étranges coïncidences : Vézelay , Diogène, Simourgh… Cohérence de la pensée, de la méthode plutôt. Si Vézelay dans l’essai est l’occasion de mettre en lumière l’écart qui existe entre l’énarque qui tord le réel pour l’adapter à son discours et l’élu local qui règle un problème banal, le Poème pour Vézelay apporte plus de profondeur à la réflexion qui aborde des rivages qu’on pourrait qualifier de métaphysiques. Le simourgh est un oiseau légendaire et bénéfique de la tradition persane. Il apparaît dans La Ferme des énarques comme le symbole de la vision de ceux qui cherchent et de leur propre quête (autrement dit, on ne rencontre que ce que l’on est devenu à la fin de la quête). Métaphore d’Adeline Baldacchino ? Alors que dans le Poème pour Simourgh, il symbolise l’oiseau qui s’en vient pêcher l’âme qui flotte sur la mer (p 61). Évanescence de la vie ? Il faut lire ces poèmes qui jouent avec la lumière, qui disent le temps qui passe et la fragilité de l’existence, non sans réflexion… Car Adeline Baldacchino écrit pour revendiquer le droit à l’existence pour tous, le droit de vivre pour chacun comme il l’entend : et c’est bon d’entendre une telle voix par ces temps de fanatisme ! Encore une remarque : en 2014, Adeline Baldacchino publiait dans Recours au Poème une suite intitulée Treize petits tableaux diogéniques, treize poèmes de sept vers… Au-delà du titre de l’ensemble qui fait penser au Poème pour Diogène du présent recueil, d’autres coïncidences ne laissent pas d’étonner le lecteur : le tableau 1 fait penser au Poème tout seul, le tableau 4 au Poème pour le Simourgh ; chacun des tableaux étant placé sous le signe d’un écrivain dont un fragment (un ou plusieurs vers dans le cas d’un poète) est cité en exergue, le tableau 5 rappelle le Poème pour le fantôme de Desnos, le 10 René Char cité dans La Ferme des énarques, le 13 le Poème du bateau ivre à cause des vers de Rimbaud en exergue… J’ai écrit coïncidences ? Il s’agit bien d’une constante de la démarche d’Adeline Baldacchino.
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Il faut lire ces deux livres qui ne sont pas de tout repos pour l’abîme de réflexions dans lequel on est plongé. Que l’on soit d’accord ou non sur tous leurs aspects, ou quant aux propositions d’Adeline Baldacchino, peu importe, car ils appellent la discussion. Au lecteur alors de faire usage de sa liberté critique…
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Note
1. Paru en 2013 aux éditions Michalon.
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Adeline Baldacchino, La Ferme des énarques. Éditions Michalon, 230 pages, 17 euros.
Adeline Baldacchino, 33 poèmes composés dans le noir. Éditions Rhubarbe, 80 pages, 9 €.
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«Pierre et Ilse GARNIER : le monde en poésie». Catalogue de l’exposition.
Le poète Pierre Garnier nous a quittés début 2014. À l’automne de la même année, la bibliothèque Louis Aragon d’Amiens organisait une exposition autour de celui qui fut, avec son épouse Ilse, l’inventeur du spatialisme en France. C’est qu’il était né à Amiens et vivait depuis 1974 à Saisseval, un petit village picard, à une quinzaine de km à l’ouest d’Amiens. Le catalogue de cette exposition, «Pierre et Ilse Garnier : le monde en poésie» vient de paraître en cette fin 2015. Le fait est d’autant plus remarquable que cette bibliothèque n’avait pas édité de catalogue depuis plusieurs années ; c’est donc l’occasion, pour tous ceux qui n’avaient pu visiter cette exposition, de la découvrir tranquillement, sans se déplacer. Certes, cette découverte est incomplète si j’en juge par mes souvenirs : la lecture ne remplacera jamais la vision de grands «tableaux» thématiques, le lecteur n’aura pas droit à la voix de Pierre Garnier diffusée dans le local de l’exposition, ni aux documents rares qui étaient montrés aux visiteurs… Mais, en l’état, même si les nombreuses photographies illustrant ce catalogue ne remplaceront jamais la totalité des documents offerts à la curiosité des uns et des autres, le présent ouvrage est une bonne introduction à la vie du poète et à la collaboration entre Ilse et Pierre en même temps qu’une excellente initiation au spatialisme : il a en effet été écrit par Violette Garnier, la fille du couple mythique, et Martial Lengellé (qui soutint sa thèse en novembre 2000 à l’université de Paris III-Sorbonne Nouvelle, thèse intitulée «L’Œuvre poétique de Pierre Garnier» 1) avec la collaboration de divers spécialistes ou acteurs de ce mouvement poétique.
Un arbre cache la forêt, dit la sagesse ( ? ) populaire… Cela se vérifie ici : si le poème franco-japonais le plus connu est celui de Pierre Garnier / Seiichi Niikuni (réalisé en 1966), Pierre collabora aussi avec Nakamura Kéiichi pour trois recueils dans lesquels le poète japonais utilisait des procédés différents (photographies et papier journal découpé). Le commentaire est assuré par une spécialiste, Marianne Simon Oikawa… La part belle est faite à la poésie spatialiste, le texte de Martial Lengellé n’est pas inédit : il est une reprise de son étude parue dans «Livre / Poésie : une histoire en pratique(s)» — éditions Calliopées, 2013 (Étude que l’auteur et l’éditeur m’avaient autorisé à reproduire dans l’hommage rendu à Pierre Garnier dans Recours au Poème, n° 52 du 29 mai 2013). Il s’agit d’un texte intitulé «La spatialisation du texte poétique dans quelques ouvrages significatifs de Pierre Garnier», très instructif et très détaillé. Martial Lengellé montre aussi l’originalité d’Ilse Garnier à travers ses «Fensterbilder» et, de façon générale, dans son approche de la poésie visuelle ; et c’est bon qu’ainsi, justice lui soit rendue ! Quant à Violette Garnier, elle s’attache à mettre en évidence la chronologie d’Ilse et de Pierre, leur étroite collaboration, leur amitié pour des peintres, les incursions de la poésie spatiale vers le poème phonétique, leurs rapports avec les poètes de l’Europe de l’Est… Julien Blaine signe un texte qui se souvient de l’exposition des Garnier à Ventabren en 1998, mais je me souviens que Pierre Garnier publia quelques poèmes spatialistes dans le n° 27 de Doc(k)s daté de l’hiver 1980 ! Claude Debon (qui préfaça le tome III des Œuvres Poétiques) donne un texte éclairant sur l’influence qu’eut l’œuvre de Nietzsche sur Pierre Garnier. Giovanni Fontana analyse «Tristan et Iseult» de Pierre Garnier…
Mais je ne dirai rien des Cabotans, de Francis Edeline, ni de la poésie numérique présentée par Martial Lengellé, ni des contributions d’Eugen Gomringer et de celle d’Eduard Ovcacek : c’est pourquoi il faut se procurer et lire ce catalogue !
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Note
1. Ouvrage publié sous le même titre, Presses de l’Université d’Angers, 2001, 570 pages (hors annexes).
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Ce catalogue au format 148 x 315 mm, non paginé, PNI ; renseignements à la Bibliothèque Louis Aragon, 50 rue de la République. 80000 AMIENS. Tel : 03 22 97 10 10.
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Laurent GRISEL : Un Hymne à la paix (16 fois) & Climats.
Laurent Grisel est un écrivain à la fois paradoxal car il emprunte à des domaines étrangers à la poésie comme la sociologie (je me souviens de La Nasse) ou la climatologie et exemplaire car il a commencé par publier ses livres en version papier avant de passer au numérique. Même si j’ignore si la publication numérique est meilleure pour la planète : certes on fait des économies de papier et d’encre, mais avec l’édition numérique, il faut un ordinateur qui n’est pas fabriqué avec du vent et qui utilise de l’électricité ! Sans doute cette énergie est-elle renouvelable mais les éoliennes, malgré leur mérite, polluent doublement la nature par le béton nécessaire à leur installation et par leur incongruité dans le paysage ; le jour où l’on installera une éolienne dans les jardins de l’Elysée, on en reparlera… Et je ne parle pas, les habitudes de lecture étant ce qu’elles sont chez ceux qui lisent encore, de l’obligation d’imprimer les livres numériques… Le capitalisme vert reste ce que le capitalisme a toujours été : la course au profit et les dividendes en hausse ! Publie.net est à l’origine une maison d’édition créée par François Bon et qui publie exclusivement des livres numériques en même temps qu’une coopérative d’auteurs qui rétribue ces derniers quand tant d’éditeurs de livres traditionnels ne leurs versent pas de droits (ou taxent l’amitié !). Et depuis 2012, publie.net s’est lancé dans l’édition telle qu’elle existe depuis des siècles puisqu’une “offre papier incluant la version numérique” 1 est sans surcoût pour l’acheteur. Mais je m’éloigne des recueils de Laurent Grisel !
Au-delà des différences de formes, la poésie didactique, qui remonte à l’Antiquité gréco-latine, est un “genre” où l’auteur transmet des connaissances précises dans un certain domaine. Il n’est pas question ici d’entrer dans le détail des nuances qui ont marqué le point de vue des spécialistes au cours des siècles. On peut reprendre cette remarque, trouvée dans une célèbre encyclopédie en ligne : “Un auteur de poésie didactique affirme généralement sans équivoque ses intentions poétiques. En effet, la poésie didactique se différencie de la prose du même type par le fait que l’auteur affiche distinctement une volonté de faire de la poésie en même temps ou même avant d’enseigner à son élève au point que, souvent, les lecteurs ne s’attendaient pas à ce que l’auteur maîtrisât à la perfection le domaine qu’il voulait enseigner”. Si l’on trouve des traces (et plus) de cette poésie dans l’histoire de la littérature française jusqu’à la fin du XIXème siècle (siècle où elle ne fait que survivre), depuis le début du XXème, le “genre” est peu illustré. Laurent Grisel renoue avec cette tradition dans Climats qui mêle informations scientifiques et lyrisme : le lecteur de poésie appréciera des vers comme “la fenêtre est ouverte / l’air est la lumière”. Mais les informations scientifiques sont glaçantes de vérité, elles font craindre le pire. Et ce n’est pas la récente conférence parisienne qui va faire disparaître ces craintes ! Laurent Grisel s’est parfaitement documenté, le lecteur ne maîtrise pas toutes les informations exposées, mais c’est convaincant. Laurent Grisel ne se contente pas de dénoncer l’incurie et l’aveuglement des politiques, et leur malhonnêteté (la page 54 du recueil est exemplaire), mais il ne manque pas de lucidité en dénonçant la propriété privée des moyens de production et d’échange. Faute de s’attaquer à cette dernière, rien ne sera résolu car la soif de profits rapides des maîtres du monde et de leurs laquais élus (ou non) est sans limites. L’exemple des brevets (voir les agissements de la firme Monsanto dont on ne parle pas assez !) est éclairant : entre la brevétisation du vivant et la “culture” paysanne, mon choix est fait. Climats est une heureuse découverte pour son retour à la poésie didactique, en rapport avec l’actualité…
Un hymne à la paix (seize fois) se présente de manière différente mais c’est toujours la même volonté du poète d’enseigner, la paix cette fois. Cet hymne se présente comme un dialogue répété seize fois entre un Homme, une Femme, un Bourreau et la Justice. L’allégorie symbolise ici le didactisme. Seize fois car ces poèmes correspondent aux seize manuscrits peints d’Anne Slacik… Laurent Grisel multiplie les moyens de diffusion de ce poème (car il s’agit plus d’un poème que de seize textes) : livre imprimé (la présente édition de publie.net est la deuxième, Rüdiger Fischer l’a publié en bilingue en 2010 à ses éditions Verlag Im Wald, des extraits sont parus dans différentes revues tant en ligne que papier et même en italien), livre numérique mais aussi représentations et lectures publiques). Se battre pour la paix est toujours d’actualité, et il faut se souvenir de Gabriel Celaya qui écrivait “La poésie est une arme chargée de futur”.
Place pour terminer à Celaya : “Poésie pour le pauvre, poésie nécessaire / Comme le pain chaque jour, / Comme l’air que nous exigeons treize fois par minute, / Pour être et tant que nous sommes donner un oui qui / Nous glorifie” ou encore “Je maudis la poésie conçue comme un luxe / Culturel par ceux qui sont neutres / … / Je maudis la poésie qui ne prend pas parti / Jusqu’à la souillure”… Laurent Grisel s’inscrit dans cette lignée.
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Note.
1. Voir le site www.publie.net à l’article la maison d’édition.
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Laurent Grisel, Un hymne à la paix (seize fois), publie.net éditeur, 70 pages, 9,50 € & Climats, publie.net éditeur, 100 pages, 9,50 €.
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- INUITS DANS LA JUNGLE n° 6 - 21 septembre 2015
- Fil de lecture de L.Wasselin : Abeille, Althen, Walter - 14 septembre 2015
- Deux lectures de : Christophe Dauphin , Comme un cri d’os, Jacques Simonomis - 24 août 2015
- Fil de lectures de Marie Stoltz : Hennart, Laranco, Corbusier, Maxence, Bazy, Wasselin, Kijno - 11 juillet 2015
- Fil de lectures de Lucien Wasselin : Louis-Combet, Moulin et Loubert, Dunand, Marc, Audiberti - 5 juillet 2015
- Christian Monginot, Le miroir des solitudes - 22 juin 2015
- Jean Chatard, Clameurs du jour - 22 juin 2015
- Contre le simulacre. Enquête sur l’état de l’esprit poétique contemporain en France (3). Réponses de Lucien Wasselin - 21 juin 2015
- EUROPE n° 1033, dossier Claude Simon - 14 juin 2015
- Yves di Manno, Champs - 14 juin 2015
- Jeanpyer Poëls, Le sort est en jeu - 14 juin 2015
- Jean Dubuffet et Marcel Moreau, De l’art brut aux Beaux-Arts convulsifs, - 23 mai 2015
- Mathieu Bénézet, Premier crayon - 10 mai 2015
- ROGER DEXTRE ou L’EXPÉRIENCE POÉTIQUE - 10 mai 2015
- Jacques Pautard, Grand chœur vide des miroirs - 17 avril 2015
- Patrick Beurard-Valdoye, Gadjo-Migrandt - 29 mars 2015
- François Xavier, L’irréparable - 15 mars 2015
- Fernando Pessoa, Poèmes français - 1 mars 2015
- Paola Pigani, Indovina - 1 février 2015
- Michel Baglin, Dieu se moque des lèche-bottes - 1 février 2015
- Didier Guth & Sylvestre Clancier, Dans le noir & à travers les âges - 18 janvier 2015
- Jean-Baptiste Cabaud, Fleurs - 6 décembre 2014
- Sylvie Brès, Cœur troglodyte - 30 novembre 2014
- Sombre comme le temps, Emmanuel Moses - 16 novembre 2014
- Zéno Bianu, Visions de Bob Dylan - 9 novembre 2014
- Marwan Hoss, La Lumière du soir - 19 octobre 2014
- Michel Baglin, Loupés russes - 13 octobre 2014
- Abdellatif Laâbi, La Saison manquante - 13 octobre 2014
- Deux lectures de Max Alhau, Le temps au crible, par P. Leuckx et L. Wasselin - 30 septembre 2014
- Porfirio Mamani Macedo, Amour dans la parole - 30 septembre 2014
- Chroniques du ça et là n° 5 - 2 septembre 2014
- A contre-muraille, de Carole Carcillo Mesrobian - 25 mai 2014
- Hommage à Pierre Garnier - 6 février 2014
- Sous la robe des saisons de Philippe Mathy - 29 janvier 2014
- Sub Rosa de Muriel Verstichel - 20 janvier 2014
- Comment lire la poésie ? - 19 janvier 2014
- Au ressac, au ressaut de Roger Lesgards - 6 janvier 2014
- Sous la robe des saisons de Philippe Mathy - 31 décembre 2013
- L’instant des fantômes de Florence Valéro - 23 décembre 2013
- La proie des yeux de Joël-Claude Meffre - 27 novembre 2013
- Bestiaire minuscule de Jean-Claude Tardif - 19 novembre 2013
- Après le tremblement, de Jean Portante - 18 novembre 2013
- Aragon parle de Paul Eluard - 10 novembre 2013
- Facéties de Pierre Puttemans - 4 novembre 2013
- La tête dans un coquillage de Patrick Pérez-Sécheret - 26 octobre 2013
- À vol d’oiseaux, de Jacques Moulin - 22 octobre 2013
- Vaguedivague de Pablo Néruda - 16 octobre 2013
- Mare Nostrum - 4 octobre 2013
- Rudiments de lumière, de Pierre Dhainaut - 15 septembre 2013
- Et pendant ce temps-là, de Jean-Luc Steinmetz - 15 septembre 2013
- Mémoire de Chavée - 30 août 2013
- Marc Porcu, Ils ont deux ciels entre leurs mains - 12 août 2013
- La chemise de Pétrarque de Mathieu Bénézet - 12 août 2013
- NGC 224 de Ito Naga - 6 août 2013
- LES ILES RITSOS - 7 juillet 2013
- Les Sonnets de Shakespeare traduits par Darras - 30 juin 2013
- Séjour, là, de JL Massot - 7 juin 2013
- Archiviste du vent de P. Vincensini - 27 avril 2013
- Mots et chemins - 8 mars 2013
- Passager de l’incompris de R. Reutenauer - 2 mars 2013
- Tri, ce long tri - 15 février 2013