Jeanine BAUDE TELLE QU’EN ELLE-MÊME…
L’occasion est belle de s’intéresser à Jeanine Baude. La Rumeur libre ouvre un nouveau chantier, celui des Œuvres Poétiques de Jeanine Baude dont le tome 1 vient de paraître en février 2015 et a publié en même temps quasiment Soudain, un récent recueil qui explore une forme poétique particulière… Et quelques semaines plus tard sort, chez Voix d’Encre, Aveux simples pour lesquels Marc Pessin a donné de belles encres…
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Jeanine BAUDE, Œuvres Poétiques, tome 1.
Ce premier tome, qui regroupe trois recueils (Ouessanes ‑1989‑, C’était un paysage ‑1992- et Incarnat désir ‑1998-), semble indiquer qu’il ne s’agit pas d’Œuvres poétiques complètes puisque pendant ces années qui courent de 1989 à 1998, Jeanine Baude a publié 7 recueils et non pas 3. Plus anthologie donc qu’œuvres complètes, d’autant plus que les trois recueils ici réunis témoignent d’une belle unité, celle d’un lieu où la mer est présente. Il s’ouvre sur une étude de José Manuel de Vasconcelos, qui, au-delà des différences qui apparaissent au fil du temps (en particulier l’apparition de la ville dans ses poèmes : je me souviens d’avoir lu Le Chant de Manhattan en 2006 ou en 2007), s’attache à mettre en évidence les caractéristiques des trois recueils ici regroupés. J M de Vasconcelos note que dès le début Jeanine Baude a trouvé sa voix : “Cette œuvre poétique s’élabore comme une patiente consécration de la solitude. Mais la solitude dont il s’agit n’est pas une solitude radicale, s’apitoyant sur elle-même et plaintive ; il s’agit plutôt d’un choix de conduite, d’une stratégie d’approche du monde qui permet de renverser les impressions usuelles, en les remplaçant par des images relevant d’une vision phénoménologique du monde, où les sensations ont une force et une intensité primordiales.” Il ajoute ensuite : “Chez Jeanine Baude, la solitude est le présupposé fondamental de la créativité, et l’exil ne fait que catalyser la découverte des fruits de la rencontre avec la réalité, conférant une vivacité et une attention transfiguratrice à ses reliefs et les intensifiant par des mots dont le sens est sans cesse réinventé.” Tout cela est fort juste mais une autre approche est possible, en particulier celle du rapport à la réalité : c’est pourquoi, indépendamment de la valeur de l’étude de J M de Vasconcelos, il convient de lire attentivement les poèmes de Jeanine Baude, surtout que le préfacier souligne que “l’expression poétique naît de la confrontation avec le monde”.
Ce qui frappe à la lecture de cette anthologie, c’est la prédominance du vers court alors que dans Le Chant de Manhattan, c’étaient le vers long (voire le verset) et la prose. Comme si dans ces trois recueils, la verticalité du poème était la métaphore altière de l’humain qui se dresse dans le monde. Cette verticalité est parfois exagérée quand le vers se réduit à un mot ou deux (comme, par exemple, p 241). Certes, il est clair que le poème adopte le rythme d’une respiration saccadée, heurtée ou syncopée devant la merveille du monde mais, quand le poème devient un simple empilement de mots et que le vers disparaît, trop c’est trop ! Reste que jamais (ou presque car il faut être prudent !) poète né(e) dans un pays de montagne n’a aussi bien parlé de la mer : mais il est vrai que le roc et la roche sont aussi présents dans les Alpilles que dans les îles bretonnes. Rarement femme n’a écrit d’aussi beaux poèmes érotiques : “Ensemencer / le monde / glisse / le tronc des dieux/ dans les cuisses des / femmes” (p 290). Reste également que la brièveté des poèmes n’est pas sans rappeler Guillevic ; on peut rapprocher ces vers de Jeanine Baude, “C’était l’arche du regard / et cette luminosité / transparente des pierres” (p 167) de ceux de Guillevic dans Carnac, “J’ai joué sur la pierre / De mes regards et de mes doigts”… Même mystère et même ambiguïté des pierres…
L’écriture de Jeanine Baude, parfois, n’est pas exempte de réminiscences. Ses vers, “J’ai dormi / dans un silence / de lune / décapitée” n’est pas sans faire penser au vers final de Zone de Guillaume Apollinaire : “Soleil cou coupé”. La réalité (de l’île, de la mer, de la vie des pêcheurs…), très présente dans ces poèmes, serait aussi, en même temps, celle de la poésie. C’est une vision amoureuse du réel qu’offre Jeanine Baude tant par sa description du monde que par l’évocation du désir et du plaisir toujours exprimée avec pudeur car : “Où / le vent s’engouffre / l’identité / refuse de mourir” (p 175). À tel point que le lecteur peut s’interroger sur la part d’autobiographie dans ces poèmes. Cela nous vaut de belles images (au sens premier du terme) comme “Le geste d’un enfant / qui court sur le rivage / montrant du doigt / son père à l’avant du canot / et l’énigme en deçà” (p 200).
Le réel, c’est aussi la carte ou le savoir que Jeanine Baude utilise sciemment : la réalité des cartes géographique est intégrée aux poèmes tout comme celle des éléments. Ce qui n’exclut pas le rapprochement phonique de mots signifiants comme “Désir / Désert” (p 70). C’est que “Le poème est cette langue dure / qui tressaille entre les herbes / telle la rivière au soleil couchant” (p 79).
Il y aurait encore bien des éléments à développer, au risque d’écrire une véritable étude, ce qui n’est pas de mise ici. Il faut donc remercier La Rumeur Libre d’avoir proposé aux lecteurs cette réédition car si ces recueils ne sont pas préhistoriques ( ! ), ils datent quand même de 20/30 ans environ, ce qui est beaucoup en ces temps où une information chasse l’autre. La poésie a besoin de temps ; pour trouver ses lecteurs.
(Jeanine BAUDE, Œuvres Poétiques, tome1. La Rumeur Libre éditions, 336 pages, 21 €. Préface de José Manuel de Vasconcelos.)
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Jeanine BAUDE, Soudain.
Soudain confirme le changement survenu dans l’écriture poétique de Jeanine Baude avec Le Chant de Manhattan. Avec Soudain, c’en est terminé du style concis, voire lapidaire, propre au tome 1 des Œuvres Poétiques, place au vers ample qui se développe à partir du mot “soudain”, de la première à la dernière page, un vers ample qui laisse la place au verset dans la quatrième partie de ce recueil intitulée Versets… Déjà en 2013, Jeanine Baude avait réalisé un livre d’artiste avec le peintre Michel Joyard, portant justement ce titre de Soudain, dont des extraits sont repris en ouverture du présent ouvrage.
Un vers explique ce changement : “Soudain des mots comme s’il en pleuvait”. On remarquera la double allusion à l’écriture et au réel qui confirme ce qui était dit précédemment. Le lecteur, quand il aura terminé sa lecture, pensera sans doute à L’Union libre d’André Breton qui utilise le même procédé avec ces nombreux vers commençant par “Ma femme”… Mais il doit se garder de conclure hâtivement que Jeanine Baude ne fait qu’imiter. Car il y a plus dans Soudain.
Si le mot “soudain” permet à Jeanine Baude de rebondir à chaque fois qu’elle va à la ligne (ou qu’elle a terminé un verset), il indique également quelque chose qui relève du sens puisque les mots sont toujours différents. Finalement, et ce n’est pas un hasard si le livre s’ouvre sur ce vers “Soudain la violence de l’écriture me traverse”, cette façon de faire confirme, s’il en était besoin, que la réalité qui préoccupe Jeanine Baude, c’est aussi celle de l’écriture, celle de la poésie. L’intérêt porté au neuvain et au onzain le prouve. Ces deux formes sont des strophes respectivement de neuf et onze vers. On remarquera qu’ici elles deviennent poèmes à moins de les considérer comme strophes d’une longue litanie. Les spécialistes ne manquent pas d’ajouter que ces deux genres poétiques, trop longs et trop déséquilibrés ne sont présents dans la poésie française que lors des périodes de recherche formelle. De là à en conclure que Jeanine Baude se livre à une expérience de recherche formelle, il n’y a qu’un pas facile à franchir… La réalité explorée par Jeanine Baude est double : celle du monde extérieur (ruisseau, mer, nuit, maison, herbe, plaine, corps, étoiles, port… sont des mots qui émaillent les vers) et celle de l’écriture (récit, page, ligne, lettre, auteur, annulaire, doigts…). À noter le terme de gueuloir qui figure en italiques (p 40) dans des poèmes imprimés en romains : Jeanine Baude semblerait vouloir indiquer que Soudain est fait pour la performance, pour être dit ? Quant aux versets, du fait de leur développement, ils ne se contentent pas d’asséner des vérités sous forme de vers mais explorent en détail une réalité plus complexe, toujours selon ces deux mêmes axes. Mais le lecteur attentif remarquera qu’à l’écriture viennent s’ajouter d’autres pratiques artistiques comme la peinture ou la musique et que la réalité est poreuse (pour dire vite) que l’écriture se colore d’une nuance surréaliste (pour dire encore plus vite). Comme si Jeanine Baude s’essayait à saisir un secret qui se refuse sans cesse : c’est dire la richesse de cette approche… Par ailleurs, hasard objectif ou volonté délibérée de Jeanine Baude, on peut rapprocher ce fragment des versets : “… si la charrue n’entame plus le sol ouvragé de la phrase si le livre te glisse des doigts ne versant plus les psaumes de la nuit…” de ces mots d’Arthur Rimbaud (extraits de Mauvais sang dans Une Saison en Enfer) : “… la main à plume vaut bien la main à charrue”. Il n’est pas interdit de rêver en lisant Jeanine Baude d’autant plus qu’elle termine ces Versets par un vers (aragonien ?) de 16 syllabes : “Soudain sur la flamme perpétuelle et le repos des morts”…
(Jeanine BAUDE, Soudain. La Rumeur Libre éditions, 144 pages, 18 €.)
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Jeanine BAUDE, Aveux simples.
Si Jeanine Baude commence à publier en 1962, ce n’est qu’à partir de 1990 avec Parabole de L’Éolienne qu’elle rencontrera René Rougerie qui sera son éditeur jusque 1998 avec Incarnat Désir : entre ces deux bornes, 4 livres dont un donne la correspondance entre René Char et Jean Ballard. Ensuite les éditeurs se succèdent, même si en 2003, Jeanine Baude retrouve Rougerie (avec L’Adresse à la Voix). Aussi ne faut-il pas s’étonner qu’Aveux Simples s’ouvre sur Le Jardin de Mortemart dédié à René Rougerie.
Aveux Simples est un bien beau livre donné à lire par Voix d’Encre : les encres de Marc Pessin sont tout simplement splendides, non qu’elles illustrent parfaitement les poèmes de Jeanine Baude mais elles sont des créations autonomes à part entière. La quatrième de couverture rappelle les propos de Pessin : “Je tâche de me défaire du rôle d’illustrateur : j’essaie de sortir du poème, pour être moi-même […] pour pouvoir mieux me rencontrer avec le poète”. De fait, on reconnaît ses encres qui ne sont pas des décalques des poèmes. Des encres qui se dressent sur la page blanche, hiératiques, éclatantes et lumineuses malgré le noir.
Le Jardin de Mortemart est une suite de huit poèmes regroupés en deux ensembles : hommage à Rougerie qui a publié six recueils de Jeanine Baude. On ne s’étonnera pas de lire dans ces vers une confrontation entre des consonnes, des voyelles, du signe, du mot, du livre… avec l’unité du geste (qui est sans doute celui de l’imprimeur que fut René Rougerie qui donna vie aux poèmes de Jeanine Baude), le plomb, les caractères et les outils “un à un et huilés et libérant leur force”… Mais cette confrontation se mêle au paysage (les monts de Blond) et au jardin et au goût de la marche. Si ces poèmes sont une façon de faire le deuil de l’ami en allé (“sur le cortège ensoleillé des pas / ceux qui suivaient ta dépouille”), ils sont aussi une façon de continuer le combat de René Rougerie (l’écran, les touches…)
Aveux simples est composé de trois suites de poèmes. La première est exclusivement composée de sizains de vers amples, bâtis sur le modèle des versets de Soudain : tous commencent par le mot “écrivain”. Jeanine Baude essaie de définir l’écrivain. Et l’on peut s’interroger sur ce qui unit cette suite (comme l’ensemble intitulé Aveux simples) au Jardin de Mortemart. Sans doute des choses impalpables au-delà des apparences, ce qui expliquerait cette multitude d’essais… Derrière elles, on retrouve l’image de l’éditeur/imprimeur, écrivain par procuration au catalogue riche de sa diversité : car comment comprendre ces “fleurs du jardin” : le jardin de René Rougerie serait alors son catalogue et les fleurs de son jardin, les poètes qu’il a publiés… La deuxième est composée de neuvains auxquels s’ajoute un dixième vers détaché commençant toujours par “Écrire et ce serait”… Jeanine Baude s’interroge sur l’acte d’écrire ; d’où ses multiples hypothèses qui demandent le conditionnel de “ce serait”… La somme de ces derniers vers de chaque poème constitue comme une définition de l’écriture, définition certes toute personnelle et métaphorique, mais recevable et méritant discussion… La troisième est une succession de petits pavés de prose débutant tous par ces mots : “Aveux simples”. Ce qui retient l’attention dans ces poèmes c’est la diversité du monde et des voies de l’écriture poétique, de “la poésie indivisible” qui reste une énigme…
(Jeanine Baude & Marc Pessin, Aveux simples. Voix d’Encre, non paginé, 19 €.)
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Ces trois livres mettent en évidence l’unité de l’œuvre de Jeanine Baude ( la mer et son vocabulaire toujours présents et la double réflexion sur le monde et l’écriture) en même temps que son évolution. Soudain semble être la matrice de laquelle sortiront d’autres recueils. Aveux simples paraît, par la construction des poèmes qui commencent tous par le(s) même(s) mot(s) être la suite des Versets de Soudain. Mais il importe de ne pas tirer de conclusions précipitées : il faut attendre le tome 2 des Œuvres Poétiques et les nouveaux recueils…
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