Fil de Lecture de Marilyne BERTONCINI : Eloge du silence et de la légèreté, Eric DUBOIS, Cédric LANDRY
Eric DUBOIS : Chaque pas est une séquence
En couverture, un beau collage de Ghislaine Lejard, dont la composition verticale évoque un seuil ouvert sur des déchirures de bleus et leurs reflets : chaque pas est pas-sage, qui permet la circulation – déambulation parmi les mots, transmission aussi (on connaît l'activité de l'auteur sur ses blogs, sa revue, les ondes...). Un bel éloge de Michel Cosem ouvre le recueil, et souligne le travail qui sous-tend l'oeuvre : "une vie presqu'entièrement vouée à l'écriture, à ses évidences comme à ses recoins les plus cachés."
C'est en "arpenteur du silence" que le lecteur est invité à suivre, depuis la chambre d'échos où s'élabore le poème, les gestes - LA geste infime - du monde pris "dans les cordes du néant", à la source rêveuse où se forme le texte, là où le réel se dissout dans l'écriture, quand agit "l'enzyme des choses / et les pas perdus se souviennent du paradis". Voyage intérieur, "chanson immobile", dans l'apprentissage d'une sagesse stoïcienne, qui consiste à regarder le chaos du monde, à affronter "Le sourire amer du quotidien / aux dents pugnaces // Le rien dans le tout". Apprendre à se mettre, tendrement, à distance : "Attention à soi /comme à un autre / fragile" . Apprendre à percevoir le bruissement d'êtres muets dans les mots, "sous le manteau d'ombre du temps"... Apprendre à faire son deuil, à se dépouiller pour "vivre dans l'après"...
De brèves notations ponctuent le parcours – un, deux, trois vers... et la blanche respiration de la page :
"Entre les mots
le silence
Dans le silence
rien
Le silence découpe les mots
Que dit le langage?
Des silences des mots
et le morcellement"
Par petites touches – de rares images, de brefs aphorismes, des injonctions à "Parler le lapsus et l'ellipse", à "inachever" la langue – Eric Dubois avance avec la "voix blanche" du poème qu'on se surprend à murmurer, avec lui, jusqu'au texte éponyme qui clôt ce bref recueil, et l'ouvre au large de l'avenir dépendant du lecteur, dans le reflet de son propre silence :
"Le livre à venir s'ouvre sur le silence
Il y a toujours un regard attaché à un autre regard s'il n'est pas brisé"
*
Cédric LANDRI : L'Envolée des libellules
Légères comme un origami, ces libellules au "coeur de papier" font suite à un autre livret (Echanges de libellules, 2014) : elles proposent au lecteur de sortir avec le poète à la rencontre de leurs soeurs, "les véritables ailées / qui dansent une farandole / sur la robe de la dame / nature".
C'est toute une ménagerie - un peu convenue - qui s'ébat dans les pages qui suivent : le visage de la vache, la plainte du cheval, les bestioles des brins d'herbe, la rainette et le mouton... Mais c'est sans doute parce qu'elles s'échappent aussi des pages naïves et colorées de livres pour enfants, comme les sylphes et farfadets évoqués un peu plus loin, ou les manigances de la chenilles pour devenir prince papillon. D'ailleurs, le poète adoube son lecteur "Te voilà bibliothécaire de nature" et lui apprend à retrouver, pour observer les choses, la distance et la hauteur d'un regard d'enfant : la cabane sans entrée où l'on doit se téléporter, les glissades, le mirage de l'envol dans la course en zigzag qu'impose le sentier, ou le mystère de la limace...
Pour apprécier l'enchantement - qui pourrait sembler un peu mièvre – de ces pages au charme léger, il faut accepter ce parti pris de lire avec cet horizon d'enfant, un texte où passent aussi Ponge à travers une forêt devenue sachet de thé, les échos des Histoires Naturelles de Jules Renard, et le petit prince qu'il suffirait de voir pour "songer / à la liberté de franchir/ les barbelés/de l'existence."