Les petits carnets d’érès sous couverture élégante donnent lieu à de belles découvertes. Après Dunand, Costa Monteiro, voici l’ouvrage de Fançois GRAVELINE, « Les oiseaux du petit fleuve » (2015) Les illustrations (papier sculpté) sont de Madé, relèvent du courant « abstraction géométrique ». Ce qui convient pour accompagner les petits poèmes légers comme des ponctuations et vaguelettes d’un lac. D’un fleuve. L’influence des haïkus est manifeste même si les formes dépassent souvent le tercet original : quintils, sizains pour exprimer une nature, observée avec sérénité, simplicité, d’une manière elliptique, en petits vers et phrases qui énoncent « la langue crue/ du monde ». Une poésie d’essence minimaliste. Et des trouvailles : « Au bord du petit fleuve/ ton cri/ a jeté sa falaise ».
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Stefan Zweig (1881–1942), nouvelliste, romancier, biographe, dramaturge, que les lecteurs connaissent pour ces perles que sont « Légende d’une vie », « Le Voyage dans le passé », « Le Bouquiniste Mendel », « Le joueur d’échecs », « Hommes et destins », a écrit très jeune une biographie de Paul Verlaine, il avait à peine vingt-cinq ans , a amplifié en 1922 le texte de 1905 et joint quelques poèmes de son cru.
Le « Paul Verlaine », qui paraît en ce mars 2015, au Castor Astral, dans une traduction de Corinna Gepner et une présentation d’Olivier Philipponnat, se compose de la version de 1905 (une centaine de pages), de celle de 1922 (une quarantaine de pages) et des trois poèmes datés de 1907.
Si l’ajout de 1922 peut paraître mince, il apporte cependant une autre vision de l’univers de Verlaine. Sans doute l’essayiste de vingt-quatre ans a‑t-il accentué certains traits biographiques d’une vie féconde en aléas de toutes sortes, et une certaine psychologisation du créateur symboliste. En quoi les pages ajoutées en 1922 dénotent de la part du biographe une volonté de nuancer une approche critique, qui ne soit pas seulement d’ordre sentimental. M. Philipponnat montre bien, dans sa préface, l’influence de Taine sur le trop jeune biographe.
Le portrait de 1905 découvre un Verlaine psychologiquement marqué, à la fin délétère, aux réflexes complaisants ; les pages ajoutées nuancent et mettent l’accent sur l’étonnant don de mélodie du poète. Pour le reste, beaucoup d’éléments biographiques nous sont connus par d’autres essais, et le livre de Zweig est assez lansonien d’esprit : éclairer l’œuvre par le biais quasi unique du biographique.
Toutefois, la langue claire utilisée, la ferveur que Zweig éprouve pour cet artiste « d’une magnifique force poétique dans un réceptacle fragile » (p.98), font de cette biographie un outil intéressant pour prendre la mesure d’une méthode d’approche dans le premier quart du XXe, mixte de relation biographique pure et de psychologisation d’essence déterministe.
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La réputation de Pasolini, quarante années après sa mort, ne connaît pas de baisse de régime. Les publications se multiplient. Il y eut l’édition de ses poèmes frioulans (Où est ma patrie ?, Castor Astral), celle des poèmes de jeunesse. René de Ceccatty, quant à lui, a consacré une biographie (Pasolini, folio biographie) et deux volumes d’inédits dans la collection POINTS du Seuil : « Adulte ? Jamais », en 2013, et « La persécution », en 2014.
René de Ceccatty, spécialiste de P.P. Pasolini, depuis longtemps, est sans doute le mieux placé pour introduire ces textes qu’il a lui-même traduits : les beaux poèmes de « La persécution ». De nombreux procès ont entaché le parcours d’un artiste, souvent attaqué, blessé par la presse, inquiété pour des prises de position, censuré, pour un roman (le scandale provoqué par la parution des Ragazzi di vita » en 1955), pour des films (Accatone – L’évangile selon Saint Mathieu – Teorema – Salo), pour des essais (Ecrits corsaires)…Sur une période allant de 1954 à 1970, les poèmes regroupés sous la bannière de « La persécution » donnent à redécouvrir un Pasolini sensible aux mouvements profonds de la société, à son parcours de créateur, à ses rencontres fondamentales, enfin à la lucide vision du monde qu’il a toujours exprimée.
Dans de très longs poèmes descriptifs, le poète sait jouer les polémistes inspirés, dénonçant les carences d’un univers social, revient sur des faits tragiques de son passé (la guerre, la résistance difficile, le fascisme, la condition des Juifs…), use d’un regard ethnographique sur Rome, la question de ses hébergements successifs, l’émergence de l’Afrique, son sens étonnant des mondes du voyage véritable. Même Marilyn inspire à l’auteur un long poème qui ne soit pas seulement tissé d’une réflexion sur la beauté mais sur des connivences plus profondes (culture du petit peuple, écart…)
Entre « soleil et solitude », le poète prend la voix des démunis, des oubliés, des rejetés du paradis capitaliste ; il sait entendre et relayer par ses vers « la toux de l’ouvrier ».
Le ton est donné : le courage de l’auteur trouve voix, rythme, ampleur dans ces textes de défense de l’autre, sans pathos, mais avec une détermination absolue de dire la vérité objective des faits enregistrés et perçus.
La conscience experte de l’auteur de « Accatone », fidèle à servir la réalité, innerve une force incroyable à chaque poème, vaste tissu d’observations, de réflexions et de distance prise avec la matière brute du réel, comme si , pour évoquer le monde et ses gens, l’auteur avait voulu inventer une nouvelle forme de poésie, composite et éthique, lente et précise, dosant les strates où le je fait toute la place à l’altérité ressentie, entre acuité sociolinguistique et empathie, dans un réel mouvement d’élucidation du monde.
De ce bel ensemble, formé de morceaux de « Les Cendres de Gramsci », de « La religion de mon temps », de « Poésie en forme de rose », de « La rage », et de fragments dispersés, je pointerai d’abord les textes relatifs à la Callas, « La prévoyance », le fameux « Humble Italie ».
Oui, comme le dit lui-même le poète, ce furent « des années mémorables » et le lecteur est intimement convoqué par ces poèmes à renouer avec une époque, pas si lointaine, où défendre sa liberté prenait parfois la forme d’un combat sans cesse à recommencer, symbole forcené de la condition humaine que P.P. Pasolini a éprouvée jusqu’à l’usure comme celle de l’autre outragé.
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