Cécile A. HOLDBAN : « Poèmes d’après »
Ce n’est pas courant qu’un auteur rédige lui-même la postface de son livre. C’est pourtant le cas avec Cécile A.Holdban et on lui sait gré de l’avoir fait pour expliciter la démarche qui est la sienne dans ces Poèmes d’après. Car elle nous dit avec justesse – et modestie – que « la voix qui s’exprime » n’est pas « uniquement » sa voix, « mais plutôt le son, aussi ténu qu’un fil, émergeant d’un chant collectif provenant des origines, dont le rythme, la tonalité, la couleur lui sont pourtant propres, mais se mêlent à un chœur de poètes dont la parole m’est parvenue mieux que celle des autres ».
On comprend mieux, ainsi, qu’elle ait incorporé dans son livre des poèmes de certains de ses auteurs fétiches : le Hongrois Sandor Weöres, Edith Södergan, Janet Frame, Anna Akhmatova… Sans parler de la dédicace de quelques poèmes à des auteurs comme Philippe Jaccottet, Lorand Gaspar…
Des poèmes de Cécile A.Holdban, l’éditeur note « l’ambiance surréelle et fortement colorée ». Il y a aussi cette volonté, comme elle le dit elle-même, de traduire « l’indicible » d’où, en définitive, « surgit une vérité que l’on souhaite à la fois intime et universelle ». Dans ce contexte, explique-t-elle encore, « la poésie devient un exercice quotidien d’attention portée aux signes qui surgissent ».
Voici donc, sous sa plume, « les Vêpres des nuages » ou « les cierges des marronniers ». Son « seul trésor », dit-elle, « le duvet d’une grive/un pétale froissé/des feuilles de menthe des berges/des cailloux à l’éclat précis ». Il y a, de bout en bout, une sensibilité aux saisons (comme dans les haïkus qu’elle affectionne) et aux teintes changeantes des paysages, à la nature en général. « Quel poème est plus beau que le silence des arbres ? »
Mais les temps actuels créent un voile. A moins qu’il ne s’agisse d’un retour des temps obscurs du siècle dernier. Parle-t-elle d’hier ou d’aujourd’hui en introduisant son livre par ces vers : « C’était une période où Dieu se taisait/quelle main rassemblera/les fragments laissés à la nuit ? ».
L’écriture de Cécile A.Holdban témoigne de cette opacité, souvent inquiétante, du réel. Témoigne aussi de cette énigme du mal et de la souffrance. Mais aussi de l’amour. « Nos mains avides/convoitent la caresse/des plumes, la douceur/le chant pur des oiseaux ». Le poète est là – veilleur – pour « recueillir/au flanc percé de la lune/toute la lumière possible/le printemps arrive ». Poète aux aguets, sous des cieux souvent sombres. « Je ne cesse de penser aux signes que j’ai vus/étincelles de lumière sur une route déserte ».
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Alain KERVERN et « la cloche de Gion »1
Le Breton Alain Kervern est insatiable. Spécialiste renommé du haïku au niveau international, traducteur du Grand Almanach poétique japonais (5 tomes aux éditions Folle Avoine), récent auteur d’une Histoire du haïku (Skol Vreizh), voici qu’il nous livre un nouvel ouvrage sur l’évolution du haïku, en particulier dans ses rapports avec le contenu du Grand Almanach. Ce dernier fixe et définit les mots de saison2 à utiliser dans un haïku. C’est l’une des caractéristiques majeures formelles de ce genre littéraire si particulier (trois vers, une césure…) et aujourd’hui très pratiqué à travers le monde.
Pour autant, Alain Kervern ne nous propose pas un livre technique ou de spécialiste. Il éclairera tous ceux qui sont désireux d’en savoir un peu plus sur « le plus petit poème du monde ».
Tout commence par une plongée dans la pensée extrême-orientale (chinoise et japonaise) avec sa « perception du réel, parcellaire, oblique, par petites touches » car « l’univers est trop inconsistant, trop insaisissable pour être enclos dans un poème ». Cette « instabilité » et cette « inconstance » signent « l’attention particulière au passage des saisons ». Alain Kervern rappelle, à ce propos, la fameuse phrase de Bashô : « La lumière qui se dégage des choses, il faut la fixer dans les mots avant qu’elle ne s’éteigne ». Et de souligner que Bashô était fortement « imprégné de la pensée taoïste » dans sa manière « d’épouser entièrement le grand mouvement naturel du cosmos ». La contemplation inlassable de la nature conduit ainsi à y trouver « les signes de la précarité universelle », comme l’avait déjà souligné le poète Saïgyô au 12e siècle.
Le mot de saison a donc toute son importance. Mais s’il signe « l’éphémère glissement discret d’une saison à l’autre » (dont L’Almanach poétique en est en quelque sorte le comptable), il est aussi le révélateur d’un « temps culturel ». Le mot de saison dit plus que les saisons, souligne Alain Kervern. Il dit le pays où l’on vit, ses mœurs, ses coutumes, ses références, son histoire…
Bien que toujours assidûment utilisé par les adeptes du haïku néo-classique, le mot de saison subit depuis plusieurs années des évolutions (ne serait-ce que par l’adoption, il y a plus de cent ans, du système calendaire solaire par les Japonais, modifiant par le fait même les dates d’entrée dans chaque saison). Mais, plus encore, il y a l’internationalisation du haïku qui provoque certains glissements significatifs.
Aux mots de saison, explique Alain Kervern, peuvent se substituer des « mots-clefs non saisonniers » (montagne, ciel, rocher, océan…). Cette évolution — parmi d’autres – a été entérinée par le premier symposium international du haïku contemporain, le 11 juillet 1999 à Tokyo, qui fait « exploser la poétique corsetée du genre » et que confirmera la Déclaration de Matsuyama, en septembre de la même année. « Chaque culture doit innover en trouvant dans sa propre langue l’harmonie des sons et le rythme qui la structurent ». La fameuse règle des « 5 syllabes, 7 syllabes, 5 syllabes », caractérisant le tercet, n’est donc plus une ardente obligation. Place au haïku « libre » comme on le dit des vers « libres.
C’est tout cela que nous raconte Alain Kervern. N’oubliant jamais de nous rappeler le riche apport à la poésie d’un genre littéraire aux moyens pourtant pauvres. Le haïku peut notamment nous dire le monde extérieur perçu de l’intérieur de soi. Et, mine de rien, « créer un langage à forte charge émotionnelle », comme l’analyse Oka Makoto, un des fins connaisseurs de la poésie classique japonaise et que cite Alain Kervern.
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Notes :
1 — Ce titre fait référence à deux vers d’un cycle épique du 13e sècle : « Le son de la cloche du monastère de Gion/résonne de l’impermanence de toute chose ».
2 — A titre d’exemple, le mot « neige » singularise l’hiver, le mot « cerisier en fleurs » le printemps, le mot « coucou » l’été, le mot « lune » l’automne.
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Gilles BAUDRY : « Sous l’aile du jour »
De quoi peut bien nous parler un moine poète ? Tout simplement de son bonheur d’être au monde, des jours qui passent, des saisons, de ses amis de passage, de ses lectures, mais aussi de la disparition d’êtres chers. Il y a tout cela dans le nouveau recueil de Gilles Baudry, le huitième qu’il publie aux éditions Rougerie dans cette même fabrication artisanale si caractéristique (prévoir, en effet, un coupe-papier). « Tant de beauté/Comment s’habituer/A en faire un ordinaire », écrit le moine poète, jamais rassasié des merveilles qui bordent le monastère de Landévennec où il vit. Des mots qui renvoient aussi à cet « Ordinaire invisible », titre d’un de ses premiers recueils.
Gilles Baudry se nourrit sans doute de la prière, du chant et de la vie communautaire au cœur de son abbaye bénédictine du bout du bout du monde. Mais il n’en finit pas, aussi, de se pencher sur les textes des auteurs aimés: Christian Bobin, Lorand Gaspar, Emilie Dickinson, Lydie Dattas, Anne Perrier, Hélène Cadou… A cette dernière, il rend hommage à l’occasion de son décès en 2014 : « Trouverons-nous assez de sève/Pour irriguer la gratitude/Incoercible des sanglots ? ». S’adressant à Anne Perrier (Grand prix national de poésie en 2012), il écrit : « Amie, combien je vous sais gré/D’avoir inscrit le nom des arbres/Au patrimoine des saisons humaines ». Une allusion au livre de l’écrivain et poète vaudoise, publié en 1989 sous le titre Les noms de l’arbre.
Des écrivains accompagnent Gilles Baudry, mais aussi le gotha de la peinture: Manessier et ses « bleus profonds », Bonnard, Morandi, Giacometti, Klee… « Le peintre seul a le secret/De l’alchimie de l’humaine lumière/Et du pollen de l’avenir », souligne le poète.
Cela n’empêche pas « les heures disgracieuses » où il n’y a « rien d’autre à faire/Que de prendre son âme/A bras-le-corps ». Cela n’empêche pas, non plus, l’irruption de la mort dans ses plus redoutables atours, quand elle atteint la fratrie ou, encore plus, quand c’est une mère qui s’éloigne. « Tu aimais tant les roses et le rosaire/Qu’en toi le ciel/Semblait avoir élu domicile ». Quel plus bel hommage rendre à une maman aujourd’hui si « intensément absente », à cette mère « d’avant l’alphabet de nos pas ».
Gilles Baudry peut ainsi parler de la mort parce qu’il accueille la vie dans sa plénitude. Il s’agit, dit-il, de « Se tenir là/Avec l’étoile grelottante de son cœur/Posée sur le silence/D’immensité/Plus immobile que l’attente la plus pure ». Oui, plus que jamais, demeure le veilleur.
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Denis HEUDRE et sa traversée des saisons
Traverser les saisons. Comme ne pas rappeler l’intérêt porté à ce thème par de nombreux auteurs. « Traversant le monde, comme une chair, comme une fleur, cueillant les sons, les odeurs aux branches, aux buissons, et les cailloux, semés, collés aux chaussures », écrit le bigouden René Le Corre dans un livre précisément nommé Les saisons (La Part Commune, 2011). Il y évoque ces « éclats d’instants pris sur la ronde des saisons ». Aujourd’hui le rennais Denis Heudré nous propose sa propre traversée en une série de courts textes comme autant de tableaux de genre. Il y mêle des sensations (« un troupeau éparpille en brume son haleine blanche ») et des réflexions qui peuvent prendre la forme d’aphorismes (« La nature sait ce qu’elle doit à la lumière/jamais on ne l’entendra en dire du mal »).
Sur ses pas traversons donc les saisons pour y cueillir quelques perles. Printemps : « La campagne dégrafe son corsage blanc ». Eté : « La pierre se prépare aux pieds nus et les digitales aux libellules ». Automne : « Le vent dégueule ses morts dans les recoins ». Hiver : « Aucune chute de soleil n’est attendue pourtant la nature perd la raison ».
Dans une introduction à ce très beau recueil, l’écrivain Bernard Berrou évoque « la voix singulière » de Denis Heudré, « le rythme discontinu, le frémissement de son phrasé, l’intensité de ses incertitudes ». On peut ajouter (et Bernard Berrou le souligne aussi) que l’auteur écrit une poésie « accessible », ce qui n’empêche pas le mystère, l’énigme à creuser.
Cette proximité avec la nature et cette intégration dans le cosmos sont, à coup sûr, le creuset d’une approche méditative de la vie. Toujours à l’affût, Denis Heudré traque les signaux apportés par les plantes, les fleurs, les bêtes, le vent, le ciel. « La terre est de mèche avec toutes nos émotions », note-t-il dans une forme de conclusion/réflexion à son recueil.
Il y a chez lui, foncièrement, un acquiescement au monde même si la vie – il le sait bien — nous prend parfois à rebrousse-poil.
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