Fil de Lecture de Pierre TANGUY : sur Philippe JACCOTTET et Jean-Michel MAULPOIX

 

Philippe Jaccottet au Liban et en Syrie

 

Retour de Liban et de Syrie, où il s’est rendu en 2004 « sous le prétexte de deux lectures de poésie », Philippe Jaccottet nous livre un carnet de route ponctué de poèmes d’auteurs fameux du Proche-Orient : Georges Schehadé, Adonis, Mahmoud Darwich, Salah Stétié… Son récit (publié une première fois en 2007, réédité aujourd’hui) prend, bien sûr, un relief particulier à l’aune des événements tragiques qui s’y déroulent actuellement, notamment en Syrie. Jaccottet entend, ici, comme il le dit en préambule, « rendre hommage » à ces pays et « ne pas ajouter au désespoir vers lequel presque tout, aujourd’hui, nous entraîne ». Affirmations vraiment prémonitoires.

 

Le voici à Baalbeck où il entend « la musique souterraine et calme des pierres » et où les colonnades sont « un filtre pour l’air » comme « une rangée de hauts peupliers ». Le voici à Palmyre (aujourd’hui cité antique martyre) où il discerne « les pas rêvés des dieux dans la lumière » et où lui reviennent à l’esprit ces vers de Hölderlin : « O cité de l’Euphrate !/ O rues de Palmyre ! Vous, forêts de colonnes aux portes du désert ».

Dans la grande mosquée de Damas, il s’émerveille et parle de « lieu de halte et de répit » ou encore de « caravansérail élevé à une dignité supérieure ». Parcourant « les villes mortes » près d’Alep, il parle d’un « chaos, partout couronné de beaucoup d’air, cuirassé de lumière ». Et il peut faire cet aveu : « Une sorte de fierté, tout de même, que l’homme ait été capable de cela ».

 

Mais il y a – de ci de là – comme les signes annonciateurs d’un désastre à venir. D’abord, « la folie mystique » qui «  ne sait plus, dirait-on, que détruire ; ou bâtir du faux ». Mais aussi « l’imam vociférant contre tous les ennemis, réels ou supposés de l’islam ». Mais Jaccottet ne prend pas position. Il n’exclut personne. C’est en homme de culture (et d’échanges culturels) qu’il parcourt ces territoires. En homme émerveillé par un Orient rêvé mais lourdement frappé par les soubresauts de l’histoire. L’enfant qui lisait le livre des Mille et une nuits resurgit dans cet exercice d’admiration. Le poète parle de « générosité », de « grâce », « d’hospitalité » à propos des rencontres qu’il a eues à Beyrouth. Il pense avoir trouvé dans certains lieux visités « de quoi armer la résistance contre toutes les formes d’avilissement et contre le vertige du naufrage ».

 

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Jean-Michel Maulpoix : « Le voyageur à son retour »

 

Il y a du Nicolas Bouvier chez Jean-Michel Maulpoix : des accointances évidentes, dans son « usage du monde », avec le célèbre écrivain-voyageur. Concluant son nouveau livre en forme de carnet de route, le poète n’affirme-t-il pas lui-même avoir voulu « restaurer un usage du monde, une conscience du terrestre, découvrir d’autres températures, subir d’autres intempéries ».

Carnet de route, donc, car, écrit aussi l’auteur, il trace « autant de chemins vers l’intérieur qu’à travers des territoires étrangers ». Maulpoix voyage pour aller à sa propre rencontre et « attraper au vol des pensées nouvelles, des émois, des désirs ».

 

Ses déplacements sont légions: Cuba, Israël, Etats-Unis, Vietnam, Russie, Antilles, Hongrie, Slovénie, Autriche, Moravie… En Slovénie, « pour circuler dans ce pays, raconte-t-il, j’ai emprunté l’autobus à poètes, avec des sièges de velours gris constellés de minuscules étoiles ». Dans les terres du nord de la France, il voyage avec « Rainer Maria Rilke à 300 kilomètres heure, les Elégies de Duino ouvertes sur les genoux à la page des Jeunes morts ». A Rabat, le voici présent au Congrès national des écrivains du Maroc où Mahmoud Darwich est là « face à une salle comble où des familles entières sont venues avec des enfants ». A Dublin, avant l’atterrissage, il voit « du coton mouillé au-dessus de la ville ».

Autant de visions kaléidoscopiques pour un véritable usage poétique du monde. Car l’auteur se dit « moins désireux d’écrire que de simplement nommer, dénombrer ce qui est là, et dont la seule variété suffit seule à produire une espèce d’exaltation ».

 

Jean-Michel Maulpoix ne manque pas aussi de nous délivrer, au fil des pages, quelques réflexions sur ce monde qu’il parcourt. Certaines plutôt désabusées : « Aujourd’hui la langue ne fait plus poème, hormis dans la langue des enfants et des vieux fous ». D’autres plus teintées d’optimisme : « Il reste sur la terre du jeu, de l’air et de l’espace. De l’étendue et du relief, de l’autre et du semblable, de la différence et de l’identité ».

Le poète revient de ses périples comme rasséréné, prêt à mieux accueillir la vie, même si – comme chacun le sait souvent par expérience – le meilleur moment du voyage c’est quand on remet la clé dans la porte de sa maison. Jean-Michel Maulpoix le sait aussi, mais il aura fait, entre temps, provision de mots et de couleurs. Pour mieux dire dans ses poèmes que « vivre n’est que retenir ses larmes, s’abandonner un peu ».

 

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Le voyageur à son retour, Jean-Michel Maulpoix, Le Passeur éditeur, 115 pages, 15 euros.

En fin de volume, un carnet accueille l’écho qu’ont laissé les mots du poète dans l’oreille de quelques lecteurs.

 

Un calme feu, Philippe Jaccottet, Fata Morgana, 90 pages, 17 euros.

Le poète emprunte le titre de son livre à un poème de Holderlïn sur cet Orient rêvé « Où se dressent le Taurus et le Messogis/Où gorgé de fleurs, le jardin flamboie/Un calme feu !... »