Quand Guillevic tutoie les éléments, Sesé les toiles de maîtres, Damon les objets, les étoiles…
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« Les murs ont de la peine à se tenir debout ». Ce vers de « Faubourg » de Guillevic me revient souvent. Et je retrouve, chaque fois que je le lis, cette facilité qu’a le poète à personnifier son monde.
« Possibles futurs » (Poésie/Gallimard, 2014, 204p.) ne déroge pas à cette vocation au double sens du terme : appeler les choses à la poésie ; faire du vocatif une manière de style.
Eugène Guillevic a imposé son style : des poèmes comme des stèles en quatrains, distiques ou sizains ; un dédain des mots rares parce qu’ils n’ajoutent rien ; un chant qui touche parce qu’il est fait de simplicité et de reprises ; une matière à conjuguer le réel, la nature ; une sobriété…et j’en passe.
Neuf sections composent ce recueil et les titres ont une résonance bien guillevicienne : « Hôtes de la lumière », « De l’oiseau », « Le soir ».
S’arrogeant le droit de nommer les éléments si chers à Bachelard, le poète relaie une volonté personnelle de lier les éléments du monde : ses propres origines, celles de l’univers, ces regards aigus sur le réel. Le « je » a cette force pour « creuser », « regarder », « chercher, « comprendre ».
Je n’ai pas cherché ton visage
Au-delà des nuages
Tant ils m’imposaient ton regard,
Ce regard
Qu’ensemble ils te volaient
Ou
Avec le soir
Les couleurs
N’attendent plus rien
Ce livre, mise à part la préface, est le dernier publié de son auteur, en 1996. Il reprend des textes écrits entre 1982 et 1994.
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Bernard Sesé, traducteur de poètes espagnols, professeur émérite de l’université, entreprend de croiser dans « L’autre et la nuit » (la tête à l’envers, 2015, 130p., 16€) des tableaux et des poèmes. C’est-à-dire commenter poétiquement une œuvre picturale qui a laissé dans le regard et les mots des traces signifiantes.
En petites touches, vers brefs, constats des yeux et du cœur, les poèmes éclairent quelques tableaux aimés : défilent Klee, Monet, Matisse, Van Gogh, Hopper, entre autres.
À l’infini,
J’attends la nuit.
(L’automate, Hopper)
…
La nuit et l’ancien été. En elle, c’est la fête
De la lumière, la flamme nue,
Jaune clair, indigo, la palette des braises,
Violet à raies blanches dessinées par le vent.
(La Dentellière,Vermeer)
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Emmanuel Damon travaille l’intime, l’infime, l’objet saisi dans une lumière nue, élève le sentiment, l’émotion au statut d’œuvre d’art :
Si soudain la joie les cris qui te traversent
Un rayon de lumière
Te touche puis s’éteint te laissant ton sourire
Première note silencieuse
D’un nouvel éclat de rire
Les poèmes de « Souci de mon souci d’aurore » (Al Manar, Alain Gorius, 2014, 64p., 15€) multiplient les portraits de femme « à venir vivante alliée », de la vie qui court « en toi ce flux ses ombres ses cascades/ ce souffle sur le verre », des fleurs qui « crient toutes fleurs leur douceur/ à ton oreille neuve ».
Ce sont des tableaux, des instantanés corsetés par une forme maîtrisée, comme des objets suspendus dans l’aire quiète d’un salon ou d’une chambre :
Il pleut
Sur le bambou l’olive
Et tes jouets sont en paix
Les fous se sont retirés sous les pierres
Un camion vert et blanc a fait bouger la vitre
Entends-tu sous ton drap
Le vent s’amasser dans les branches ?
Le poète saisit son monde dans « l’échappée soudaine » et réussit à investir notre lecture « toute d’échos de chants/ d’éclats de voix que l’œil accompagne », dans une écriture aérienne, élégante, pleine de charme.
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