Sylve
À Claire Espanel,
La fenêtre est ouverte.
L’est-elle vraiment ?
Le temps toujours
Abolit le cadre.
Alors l’âme apprend l’arbre
Dans l’humilité du ciel
Et s’émeut du vent
Dispersant ses prières.
Deviendront-elles nuages,
Traversées d’oiseaux ?
Qu’importe !
Ici l’air est vaste
Où les mots ne suffoquent pas.
Mais peut-être faudrait-il se taire ?
Ne rien écrire
Pour ne rien gâcher du silence ?
S’immiscer dans les interstices du langage ?
Mais comment, si ce n’est en empruntant
Les voies mêmes du langage ?
***
Le cœur dit pourtant :
— Célèbre aujourd’hui le vol de l’oiseau :
Milan, mouette ou tourterelle,
Qu’importe ?
Nulle lutte de classe ici,
Nulle distanciation.
Entre ton œil et leurs ailes,
Entre ton lit et leur ciel
La lumière
Et dans celle-ci, leur ombre.
Est-ce au-delà de la fenêtre
Ou au-delà de toi ?
Qu’importe !
Ici est le lieu
De la conversation secrète.
Si tu ne peux comprendre
Sache écouter.
Habite ce qui t’échappe.
***
Mais déjà les longs fûts gris s’élèvent
Tout chargés d’âmes.
Si la nuit te tient éveillée,
Ne l’empêche pas ;
Elle seule a pouvoir de renaissance.
Avec elle, un autre chant ;
C’est Orphée s’enfonçant
Jusqu’aux plus profondes racines
Où l’espoir s’est niché
Sous la morsure du temps.
Dis-moi,
Comprennent-ils, tes frères humains,
Qu’ici se trouve leur fondement ?
Et toi, sauras-tu descendre ?
Retrouver la terre du commencement ?
Dans tes veines, sens-tu couler
La sève devenue sang ?
***
Racines en toi se perdent
Que tu ne soupçonnes pas.
Cherche,
Explore
Ce qui existe déjà
Et ce qui n’est pas ;
Ce qui est en-deçà de toi
Mais pas encore toi.
N’essaie pas de démêler l’entrelacs,
Le nœud est trop puissant.
Trouve l’intervalle
Espère en ton silence.
Si dire ne se peut,
Ecrire se doit.
Mais déjà le ciel s’incline
Et tu gis,
Horizontale.
Pardonne-leur,
Ils ne savaient pas.
A eux, il reste les étoiles.
***
Le jour est déjà là,
Les vers de la nuit
Perdus.
Qu’importe ?
Les riches eaux t’emportent
Au pied des aubes nues.
Poussé par le désir de sève,
L’arbre s’époumone :
— Je viens du sol d’où sourd la lumière ;
Qu’importe si mes branches n’embrassent que l’air,
Elles seules connaissent l’amour du vent !
Survient alors le grand éploiement :
Feuilles, plumes
Corps et rêves
Jaillis du fleuve vert
Où chacun en l’autre s’écoule.
L’écorce se tait
— Rivières et torrents ont tant de choses à raconter-
Et tu entres, comprise, dans la pensée organique du poème.
***
Sur tes lèvres, une parole :
— Même abattue je reste ;
Embrassée par le regard de l’enfant
Je croîs.
Peuplier I
À Gabriel, ces « paroles d’entre les paroles »
Nichée d’air dans le grand peuplier
Poudroiements
Pulsations de lumière
Une brassée de ciel
Absorbe l’œil
La fenêtre
Affranchie
L’oreille explore
L’oreille espère
-Que dit l’oiseau devenu feuille ?-
…
Frémissements
Des murmures de sève
Saisissent le pied, la main, le bras
Eploient le corps d’écorce
Envolement
Peuplier II
Ballet fantasque dans le vent
Branches de nuages
Gonflées de pépiements
Les feuilles s’ébattent
Les milans
L’oreille convoque l’œil
L’interpelle
-Que dit la feuille devenue oiseau ?-
…
Tressaillements
Les trilles syncopés
Secouent le cœur, le ventre, les reins
Débordent l’arbre
Commencement
Le saule
Le trille de l’oiseau
Pour seul réveil
La rosée
Son éclat en toi
Et le souffle du saule
Au-delà de toi
Le cerisier blanc
À chaque Printemps
Virginité renouvelée
Par le Vent déflorée
Le grand acacia
Pour Marcelle, in memoriam
Bourrasque dans le grand acacia
L’orage a emporté les feuilles
Parmi elles, ta vie
Ce matin, pourtant,
Dans l’œil de la tourterelle
Les mêmes bleus, verts et blancs ardents
Les mêmes ?
Observe d’une âme plus attentive
La Nature jamais ne te désavoue
Ce nuage
Cette fleur
Cet éclat
C’est encore un peu de toi
Dans notre devenir
Les cheminantes
À Patrick Chamoiseau
Les longues mains
Se ferment
S’ouvrent
Sur les blés étonnés
Capturent
Captent plutôt
Le réel
En présences
En absences
Promènent
Leur rêve de tourterelle
Autour du grand peuplier vert
Effeuillent
Le chant de l’oiseau qui ne chante plus
Appellent
L’humus
La voix antérieure
Acceptent
Inventent
Rassemblent
L’enfant
Parcourent
Le pont des ailleurs
L’indicible entre-là
Ainsi vont les cheminantes
Au silence radieux
Yeux renommant toute chose
En ne nommant pas
Comprenant tout