Florence Saint-Roch : Parcelle 101
Les éditions p.i.sage intérieur présentent deux collections, l’une de méditation autour du paysage, l’autre de poésie, dirigée par Yves-Jacques Bouin, où l’on trouve des auteurs contemporains connus ou méconnus, sous le titre énigmatique de « 3,14 g de poésie ».
Si le nombre π y est convoqué – est-ce parce que c’est l’initiale de l’éditeur – le « p » de paysage – ou parce qu’il est aussi un nombre irrationnel, et transcendant, comme on espère que le soit la poésie qu’il recouvre ? Ce sont de toutes petites plaquettes, de format très allongé – fort légères, certes quand on les manipule – et toutes ornées en couverture d’un motif géométrique triangulaire où se lit une image, en contraste avec la couleur unie du fond (dont il semble qu’elles fonctionnent de façon contrastée 2 par 2, d’un livre à l’autre). Il s’agit de beaux petits objets précieux – des livres qu’on a envie d’avoir parce qu’ils sont beaux et originaux dans leur présentation même.
Le recueil de Florence Saint-Roch parle de jardinage – enfin, à la façon de Florence Saint-Roch, dont on découvre l’humour et le regard tendre et acéré à la fois. La parcelle 101, c’est un minuscule terrain dans un jardin associatif, que cultive le collègue bibliothécaire de la narratrice, invitée à participer à l’aventure. Les textes, non ponctués, semblent tracés au cordeau, comme des carrés potagers dans le marais audomarois. Il faut dire que Saint-Omer, patrie de l’auteure, est le paradis, le nec-plus-ultra de la culture potagère, et qu’il semble logique que Rémi, qui parle savamment d’incunables et de vieux manuscrits dans sa bibliothèque, puisse être aussi compétent en matière de culture vivrière. Et l’humour et la culture littéraire de Florence Saint-Roch amène l’air de rien à penser à Pomone ou à Voltaire et sa sagesse jardinière… en attendant qu’elle vous cite Rabelais, Rousseau… Pline l’Ancien… et même Shakespeare et Fidelio de Beethoven.
Florence Roch, Parcelle 101, suites potagères,
éditions p.i.sage intérieur, 3,14g de poésie,
60 p., 10 euros.
Dans la configuration régulière des carrés de mots – 33 « parcelles » agrémentées de quelques dessins minimalistes, précédées d’une introduction et suives d’une postface, c’est une aventure pour de vrai qu’elle nous propose – avec Bouvard et Pécuchet en figures tutélaires des tentatives avortées, des rêveries sur le terrain, narrées avec un style des plus libres, qui mélange les genres et les niveaux de langue, passant du slang au néologisme savant de « légumiste », donnant la parole à Rémi, archiviste « expert en latin d’église en picard ancien en patois artésien et pas fichu de le parler avec son voisin » dont elle nous livre aussi le savoureux discours (p. 29) en patois « ch’ti ».
Elle est comme ça, Florence : mine de rien, elle vous entraîne, vous allez rire, mais elle vous prendra par la main et vous fera réfléchir au sens caché de l’aventure qui mène des choux non plantés à l’écriture. Car ce qui importe, ce n’est pas tant de faire croître des légumes, ainsi que ne le comprennent pas les jardiniers des parcelles voisines, mais d’être sur le terrain, afin « d’observer les lueurs roses de l’automne qui danse sur les mottes croûteuses ce jardin-là essentiel à celui qui se développe en nous » - car au fond, le jardin, c’est une machine à rêver – à travers le souvenir de son père, jardinier émérite, dont elle parle avec tendresse dans la préface et dont elle qualifie l’activité de « littéraire » puisqu’il pratiquait la culture comme elle écrit, faisant des plans, raturant, recommençant, « corrige(ant) toujours heureux, jamais content » - et cette « biographie » de l’écrivain en devenir qu’elle nous donne à la fin – passant d’aide-jardinière enfant à lectrice par la vertu de Tistou les pouces verts . C’est bien un paysage intérieur qu’il nous est donné de parcourir, dans la chambre d’écho qu’est ce microscopique jardin, abandonné par les deux bibliothécaires pour d’autres aventures, après un « ratage » qui est une belle histoire d’amitié, et l’occasion de ce petit livre si plein d’humour et de sagesse. Un livre léger, comme l’indique le titre de la collection – mais avec la sereine légéreté du contemplateur philosophe.