Florilège, revue trimestrielle, n°174
Recevoir en bloc un florilège de Florilège peut surprendre : 5 numéros d’un seul coup, une année de cette revue à découvrir. Un tel privilège permet d’en saisir la logique et la continuité, tout en limitant les effets de hasard.
Avec sa couverture brillante et épaisse en quadri et son look à l’ancienne, chaque exemplaire est en quelque sorte protégé par une citation, laquelle instaure une certaine communication. Cette dernière évoque les liens entre les arts ou les êtres, le contenu d’un art ou l’âme d’un artiste : tantôt Léonard de Vinci (« La peinture est une poésie qui se voit au lieu de se sentir et la poésie est une peinture qui se sent au lieu de se voir »), tantôt Matisse (« Un ton seul n’est qu’un couleur, deux tons c’est un accord, c’est la vie »), tantôt Baudelaire (« Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie »), tantôt le psychanalyste jungien Guy Corneau (« Lorsque nous mettons des mots sur les mots, les dits maux deviennent des mots dits et cessent d’être maudits »). A la une, un tableau contemporain marque sa quête trimestrielle : un remarquable trompe-l’œil-rébus de Bruno Logan illustre ainsi des « romans terrifiants à tomber dans les pommes » dont Bram Stoker, Lovecraft, Allan Poe, Shelley.
Florilège, revue trimestrielle de création littéraire et artistique, 56 pages, du n° 174 (mars 2019) au 178 (mars 2020), 10€
Chaque numéro conjugue les forces des « poètes de l’amitié » et des « poètes sans frontières » sous l’égide de deux auteurs-compositeurs-interprètes puissamment engagés (Jean Ferrat et Charles Dumont). Il montre que l’association participe systématiquement à des lectures dans les Ehpad et les maisons associatives ou à divers hommages à ses mentors. Une large part de la revue est réservée aux « créations » (une vingtaine de pages) avec un attrait spécifique pour les sonnets et les vers alexandrins et avec une ouverture discrète à la prose. Une poésie qui se veut un « subtil mélange d’un être qui sent, qui souffre, qui jouit, qui est vivant et qui veut dépasser ses propres ombres au nom d’une Lumière supérieure, celle du grand art », selon Michel Lagrange (n°177). Elle nous rend « plus ouverts au monde » (néanmoins sans nous apporter le bonheur).
On sent de part en part le plaisir de chacun à se promener dans le jardin des mots. Une dominante générale lui donne une tonalité particulière où la simplicité se mêle au bon cœur. Quelle raison d’être du poème ? Maurice Amstatt évoque la retraite, Gérard Mottet sa terre natale, Stephen Blanchard l’amitié… « L’écriture ne sert qu’à dompter la peur », affirme Adeline Baldacchino. Parfois le poète surprend par son goût de l’homonyme (même orthographe et/ou prononciation) « J’ai / Dit Gérard / un geai rare / Couleur / Jais », précise Jean Faux (n°175) qui, dans un autre poème, évoque « L’apprenti maçon / Qui taloche une cloison / S’est pris une taloche / Par son père décrépit / Qui décrépit un mur ». Quant à Claude Dussert, il loue Baudelaire avec des acrostiches ou s’amuse à imaginer l’avenir de la poésie (très posthume!) après l’intervention de …l’intelligence artificielle.
Pas de frontières pour les poètes. Ainsi on découvre les poètes tzantiques d’Equateur (dérivé de tzantza, tête réduite des Jivaros) qui rejettent radicalement « les valeurs bourgeoises dès 1962 (n° 178). Le très beau poème d’Euler Granda révèle cette créativité d’Amérique du Sud : « Ici Equateur / blessure de la terre, / os pelé / par le vent et les /… Ici / la faim / Indiens battus à coups de pied comme des bêtes». Ainsi la revue participe à la Journée internationale des droits de l’homme. Dominique Simonet rappelle l’histoire de la photo d’Aylan, cet enfant noyé au bord de la mer Egée : « Aylan semblait dormir, allongé sur la plage / Bercé par une vague au sommeil de la mort ! » Cet enfant syrien exprime à lui seul le destin de tous les migrants, ces « malchanceux perdus, cueillis en fleur de l’âge (…) Tous ont vu leur songe, au-delà de la mer : / Bonheur, richesse et paix dans les flots d’espérance. » (n°178). A côté, une photo du « tapis » exposé à Dijon qui mentionne les noms des 17 306 personnes noyées en Méditerranée en tentant leur migration vers l’Europe. Rêve romantique des gitans de Jean-Claude Fournier: « Danse pour moi, fille de braise,/ Corps captivant, corps enjôleur,/ Joue-toi des flammes tout à son aise/ Mais ne joue pas avec mon cœur ! » (n° 177).
Il se peut que la revue cherche l’universel dans les cœurs poétiques. Un poème de Victor Hugo, qui chante les « millions d’étoiles » de la Voie Lactée (extrait de Abîme, n° 176), illustre bien la profusion de cette quête de Florilège. Pour preuve, la revue rend hommage aussi paisiblement à Saint John Perse qu’à Maxime du Camp ou à Renée Vivien.