Poésie et Fictionnalisme scientifique
Ou cette part du souffle glissée dans la mort que l’on incise.
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1/ Si l’on considère la substance de notre lendemain comme l’unique possibilité de nous identifier dans le temps, nous pouvons alors tenter par le subterfuge de la langue poétique d’en entrouvrir la chambre, que nous définirons comme secrète : glissement à l’intérieur de notre bouche d’un caillot de verbe qui pourra déployer dans notre corps fractal et fictionnel [éternel ] le principe actif romanesque, la formule chimique: le sel des possibles.
Tous les écrits sacrés sont nés ce même principe de Fondation.
L’écriture comme nouvelles tables de la loi revient, conglomérée, comme un boomerang vers la grande épopée romanesque de chacun.
Elle nous fixe ainsi un coin dans le cœur — et le tient entrouvert —
Elle vampirise le vide et nous assure une descendance réelle dans la pensée.
2/ Le jour où nous pourrons mesurer les constantes sanguines de nos rêves nous remonterons le fleuve des morts.
La fiction est en quelque sorte un art quantique, et la rétine est pour chacun « la boîte de Schrödinger ». Qui se risque à briser l’oeil connaîtra la fin de l’histoire.
Dans l’enlèvement de Patrocle par Achille de Fussli / on assiste à un combat cosmique où à l’inverse des stratégies déployées en ce monde la fiction aspire notre vie et notre sang.
« Visite l’intérieur de la terre ». · « En rectifiant ». · « Tu trouveras la pierre cachée. » peut on entendre dans la tradition.
« Avec de l’ici on biffe du là-bas » écrit Michaux
Il faut non seulement analyser toutes les combustions mais sans relâche jeter la fiction dans le foyer du réel pour l’alimenter et tenter la mise en orbite du sens.
“Patience, patience, patience dans l’azur ! Chaque atome de silence est la chance d’un fruit mûr !” écrit Paul Valéry- Notre histoire c’est aussi cette patiente observation de la germination des symboles… [ à regarder longuement mûrir la foudre on en devient le maître plus que la victime].
3/ Mâcher la fiction comme du kath, en écraser les aspérités sous la dent , et avancer, à tâtons , dans le système nerveux central.
Ainsi nous conduisons le Vaisseau fantôme dans les coronaires.
Nous hissons le grand mât du fictionalisme à hauteur du réel — et nous pouvons répondre au chant des fées qui nous appelle.
Paul Éluard introduit une phase quasiment chorégraphiée du verbe :« On rêve sur un poème comme on rêve sur un être » / ainsi il existe une sémantique génitrice dans l’écriture, ( une captations d’image(s) et de racines qui équivaudrait, par un geste de la main, à la capture d’un papillon en plein vol — / au réveil nous en gardons les traces sur les doigts/.
Figer le vivant à hauteur de lévitation et de mythologie comme un lac d’huile nous met à l’arrêt tel un fixeur devant le réel.
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Un texte reprend forme comme une fleur de thé dans le pavillon de l’oreille et vient porter la promesse jusqu’en l’aire de Wernicke, là où se forment, en quelque sorte, la lave et la compréhension du mot. Voilà ce qui initie le nourrisson à la durée et à la construction du soi.
Un monde de chair nommé croît dans le jardin des fictions . Mais il faut le nommer et le renommer sans cesse afin qu’il persiste.
Concept percé au foret le jour ou transmis comme un onguent par imposition du verbe la nuit. Golem et cataplasmes de terre humide ne nous quitte plus. Il faut savoir se battre avec la fièvre [ derme, épiderme et organes] comme avec un tigre.
4/ Mutation de l’être / lent déplacement dans l’espace mental, il n’en tient qu’à nous que la chorégraphie du mot ouvre un geste, une échappée dans le monde physique. Le léviathan sommeille toujours à nos pieds.
Nos corps prêts à danser sous l’impulsion de la secousse tellurique qui dessinent notre futur par frottis.
L’épistémologie, c’est le babil des dieux.
Une symbolique des arcanes de la sémantique et de la grammaire qui à chaque fois donne un tirage différent.
Ce nouveau codex recèle sur le recto de chaque page les griffures écrites et sur le verso la cristallisation de la matière même du vivant. Le papier qui porte l’une et l’autre, c’est cela que nous appelons fiction.
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Le livre de la grande science humaine se tiendra là, ouvert, tant que quelqu’un pourra sans hésiter, sans peur du risque, se saisir à main nue de la lame aiguisée qui à la fois pourrait lui ouvrir les veines et lui permettre en même temps la découpe de chacune des pages.
Toute la substance du temps , selon saint Augustin, tient dans l’instant indivisible qu’est le présent.
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« C’est l’alouette ou c’est le Rossignol ? » écrit Shakespeare dans Roméo et Juliette bien avant que Deleuze et Guattari ne songent à mêler ( dans la philosophie du rhizome) le chant des deux oiseaux donnant ainsi tous trois la réponse dans une même trille.
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Poèmes extraits du Signe vertébral sécable
Le corps non exempt de corps
et l’œil : petit cadran qui implose
sous la ligne de flottaison du visible.
Premier principe alchimique :
à chaque fois que tu me tournes le dos, une saison se fane -
ou bien :
en raclant les cellules de l’intérieur de la bouche
on y trouve ton schéma, ta crête biologique-
ou encore :
ouvrant une toute petite trappe dans ta joue
j’y glisse un destin à ton insu.
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Une langue pour désapprendre,
une langue, à l’inverse du baiser,
pour dénouer une à une les
bandelettes du sens.
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Ligature
parole dissoute
lumière criblée de sel
petit ange lingual.
Grain de fleur et pression sur la phalange de la tendresse-
l’aube évide le jour de sa matière
- dans chacun de tes os résonne l’une de tes vies –
quatre baies posées sur ton corps suffisent à m’en ouvrir les portes.
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Toute lumière s’accroît de la somme des sourires qu’elle incise-
une chirurgie sans fin
où chaque corps touché reste en équilibre sur le fil –
je mords la chair
j’ouvre les deux plaies
j’appelle en toi tous ceux de l’intérieur-
le poids de chaque organe est un code chiffré :
même densité pour le cœur, l’âme et la rétine.