Pourquoi écrit-on sem­ble rap­pel­er François Bor­des, dès les pre­mières pages de son livre, dans la pre­mière sec­tion, au beau titre qui s’éclaire ? Pourquoi ? Pour vain­cre sans doute  cet « Age obscur » et « recon­quérir la parole ».

Deux voix, alors, en alter­nance, en con­traste, débat­tent sur des thèmes essen­tiels : le « vide », le « je », l’expérience et la mort.

« Je suis la lumière inverse, qui fuse du dedans » ou « je suis l’obscur » ou encore « Je me tais dans la parole ».

Le poète serait-il ain­si ce pétri de con­tra­dic­tions ? Ou de complémentarité ?

La vie, notre expéri­ence ain­si se décline :

 

On peut croire,
on ne vit pas,
on regarde
et on oublie
qu’on est déjà
quelqu’un
je veux dire un être

 

Dès lors, Bor­des assume tous les ter­mes d’une expéri­ence humaine : faite de lucid­ité, de repli vers l’enfance heureuse, tis­sée de déliques­cence sinon de ce sen­ti­ment de perte et de deuil :

Un ciel nous saisit, nous arrache, nous happe

Il faut aban­don­ner le vide/ comme un beau jour/ on aban­donne son enfance

 

François cheville et vrille le vide, lui fait exsud­er « sang et lumière ».

Sans doute, à coups de maximes à l’adresse de soi, comme pour par­er les coups, par­er au pire :

Prends garde à ne pas racon­ter des songes

Dés­abuse-toi/ de toi, du monde et de ses rêves…

Devant « notre implaca­ble fini­tude », le poète nous enjoint à « oublie® les étoiles ».

Devant notre « sang encrassé », que faire ?

Faut-il, comme le rap­pelait Jacques Van­den­schrick, dans la revue SOURCES, « avaler sa langue », injonc­tion des par­ents à l’endroit des enfants… « Aurais-tu avalé ta langue ? », « Tu ne dis rien ? »… ?

Bien sûr, le poète Bor­des, en toute lucid­ité, sait qu’il écrit parce qu’il « cherche le mot qui m’a détru­it ». Aveu de fragilité, sans laque­lle rien ne s’écrit, sans doute.

 

La deux­ième par­tie ou sec­tion du livre invite à loger le regard dans le droit fil du beau livre de Zoss, paru chez Cheyne, « Entre chien et loup jetés », en quête de ces pas­sants du peu, du rien, égarés, per­dus, désen­chan­tés, que François décrit avec acuité et prégnance :

 

Ils fuient la terre aride
Les poudres du passé
Ils fuient à l’aveuglette
Dans la nuit sans étoiles

 

(Une lec­ture sémi­o­tique mon­tr­erait que le déni tout à l’heure des étoiles – « oublie-les » – génère ici leur absence)

Des sep­tains très dens­es s’accordent à nous pren­dre par le bras, l’émotion pour nous dire :

 

Dépose ton armure
De linceul et d’étoupe
Marcheur usé d’espoir…

 

L’encre, la « flaque de nuit », la perte se retrou­vent, ren­for­cées par le choix judi­cieux des images :

 

J’ai per­du mon nom
Et dans les rues je cherche
La syl­labe et le son
Qui diraient mon visage…

 

Ou

 

Cette flaque de nuit
Où le héros parlait
Aux âmes disparues

 

La chute repose un peu, comme un espoir d’encre : Et le vent te rendra/ le son de ta voix.

Un livre remar­quable de justesse.

 

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Philippe Leuckx

Né à Havay en 1955. Etudes de let­tres romanes.
Mem­bre de l’As­so­ci­a­tion des Ecrivains belges.
Cri­tique dans plusieurs revues et blogs (Jour­nal des poètes, Fran­coph­o­nie vivante, Bleu d’en­cre, poez­ibao, Les Belles Phras­es, revue Tex­ture…)

Prix Emma-Mar­tin 2011.

Auteur d’une trentaine de livres et pla­que­ttes de poésie : Une ombreuse soli­tude, Comme une épaule d’om­bres, Le fraudeur de poèmes, Le fleuve et le cha­grin, Touché cœur, Une espèce de tour­ment ?, Rome rumeurs nomades, Selon le fleuve et la lumière, Un pié­ton à Barcelone, Rome à la place de ton nom, D’enfances…