François Debluë, Pour une part d’enfance
Prend-on un risque à consacrer son attention de poète et son écriture à ces jeunes êtres qui, ni tout à fait les mêmes que nous, ni tout à fait autres, partagent ou traversent nos vies ? Les enfants constituent-ils un « thème risqué »((Parole d’éditeur.))qui pourrait conduire le poète à certaine mièvrerie, à l’instar il est vrai de l’exploitation commerciale et économique de ces « innocents » ? Certains poètes et éditeurs semblent en effet rétifs et se méfier, plus de l’enfant d’ailleurs que de l’enfance, et plus des enfants côtoyés que de celui que le poète fut, comme si le souvenir nécessaire pour rappeler ce dernier protégeait le poète et le poème de la fadeur et des clichés redoutés.
D’autres poètes, au contraire, dans la lignée de Hugo, peut-être, accordent volontiers aux enfants leur regard et leur plume, et se saisissent de cette expérience, ne craignant pas de perdre dans la proximité de l’enfant la juste distance à laquelle exerce l’attention poétique. Car l’enfance et l’enfant ne sont pas un thème mais une expérience, celle de l’altérité, comme a pu l’être la femme pour des poètes masculins; l’expérience également du temps bousculé ; présent et passé se mêlent dans le côtoiement d’un enfant qui réveille en l’adulte l’enfant et sa propre enfance en sommeil, tandis que dans cette collusion, l’avenir s’impose aussi à la conscience, promesse en même temps de vie, de vitalité, et de mort.
Dans Pour une part d’enfance, François Debluë se fait le témoin des rites et des jeux, des peurs et des interrogations de l’enfance et de l’enfant, variant les pronoms et les points de vue, adoptant le regard de l’innocent, au sens premier du terme de celui qui découvre, ou la posture au contraire de qui sait et avertit.
François Debluë, Pour une part d’enfance, Empreintes, 2017.
Qu’il soit à côté de soi, souvenir (celui que l’on fut), ou figure d’un tableau, l’enfant est toujours un autre que François Debluë approche rarement avec le pronom « je », plus souvent avec un « il » précautionneux, ou par un tutoiement qui fait sentir tout à la fois l’intimité et l’urgence de dire.
Car si l’enfant inspire le poète, c’est qu’il le place dans la nécessité d’accomplir et dire l’essentiel, qu’il l’invite à connaître et éprouver un état — l’étonnement — et un questionnement — que dire ? Aussi bien que léguer ? — tous deux consubstantiels à la démarche poétique.
Ramené au plus près de son art en même temps et de la vie, le poète qu’est François Debluë, quand il parle d’enfance et d’enfant, tient un propos grave, au sens où il est fondamental, mais dans une langue accordée à la fragilité et à la labilité de son objet, qui jamais ne pèse. Parfaitement maitrisée, la langue de François Debluë se décline volontiers sous la forme de suites. Sa scansion est à la fois légère et étudiée ; en témoignent par exemple ces blancs typographiques se substituant aux virgules et marquant mieux qu’elles la pause, ou plutôt la respiration.
Ainsi François Debluë nous convainc-t-il que poésie et enfance ont part l’une à l’autre, que l’émerveillement natif pour l’enfant est regagné par le poète grâce à l’exercice de son attention :
Quand les Noëls de ton enfance
ne seront plus que troubles et lointains souvenirs
quand une sourde mélancolie
aura confondu
toutes les fêtes et toutes les promesses d’autrefois
alors peut-être
par un jour d’hiver très doux
le murmure d’une fontaine
et la lumière de ses eaux cristallines
te seront plus grande surprise
et mystère plus profond
que tous les cadeaux d’autrefois.
L’écriture poétique serait-elle une enfance retrouvée ? Plus exactement, se dit-on en lisant François Debluë, une enfance approfondie.