Andante
La colère te sied bien, te donne de l’éloquence
du grain dans la voix pour ensemencer le chant
Ton apostrophe m’honore
Cependant je ne te crois pas
Tu me confonds avec un autre
Qu’attends-tu ?
Que je te protège, te prenne dans une sorte
d’emportement comme naguère pour te soumette
jouir de toi et ensuite t’abandonner ?
Tu n’as pas changé, tu sais
Tu es restée la même
Sans doute te dévoiles-tu davantage
tu deviens plus impatiente
maintenant que le temps a tressé
tes cheveux au cordage des caravelles
Tu veux aller droit au but – mais lequel ? –
Tu me reproches déjà
de ne pas le savoir
de douter de moi (de toi ?)
de ne pas voir la distance croître entre nous
C’est écrit
C’est écrit sous tes paupières qui
s’ouvrent et se ferment
sémaphores
pour lire le secret de la musique de sphères
Et voilà que tu m’entraînes encor
vers ce blanc inquiétant
cet horizon sans chemin qui tremble
invisible
sur la table de chêne au centre de la cuisine
dont les armoiries sont un stylo bic
et une plume fontaine au capuchon fendu
Tout un programme !
Le temps reflue, tu n’es pas là
Aria
Ce matin, le songe chante mes éternuements !
C’est par la lignée des femmes que mon nez s’émoustille
par ma mère que ma mémoire convoque à cet instant
Que fait-elle assise sur la petite chaise pliante
dans le terrain vague près de la maison à Florence ?
C’était avant le grand Déplacement
dans l’autre siècle, dans l’autre pays…
Silence !
Elle lit les lettres d’Amérique !
Elle lit les lettres de son frère
qui a repris lui aussi la route de l’exil
Que racontent-elles ? Dis-moi
Que chuchotent ces mots, cailloux semés
comme des bonbons sur la route du grand Songe
du Mensonge ?
Que voit-elle donc entre les lignes
du récit ressassé et tant de fois imité ?
Le grand voyage vers la fortune ?
Ah ! Ces illusions qui incendient les cœurs
embrasent les émotions
Partir. Recommencer
comme si de rien n’était
Rien
Rien, ce n’est rien
Fugue
Mais où diable étais-tu passée ?
Je ne t’ai pas vu partir !
Tu aurais voulu que je t’appelle par ton nom ?
Que je te dise que « je t’aime ! »
Que je ne cesse de penser à toi –mais je ne pense qu’à toi !–
Que tu es toute ma vie ! Et plus encore !
Nous ne nous quitterons plus jamais !
…
Tu ne dis rien ?
Moi aussi je serai silencieux
Va-t-en !
Non !
Reste
Où es-tu ?
Dis-moi quelque chose
Il n’y a ici que le bosquet de noisetiers
les trilles des oiseaux
le ronron du réfrigérateur
le pas percutant du passant dans la rue
le vent dont les branches
aux bourgeons rougeoient
Où es-tu ?
Dans les broussailles, les ronces ?
la selva oscura qui occulte la mémoire ?
Entre ces rhizomes improbables où tu tisses ton refuge ?
Mystère
Tu es mystère
C’est ta manière de me dénoncer
de m’arracher au buisson ardent
où crépitent les braises du songe
que je retourne lentement avec les pierres noires, les runes
que tu as laissées jadis
Je dois continuer
Il me faut te retrouver
Ricercare
Les doigts de l’aube fouillent les frondaisons
C’est par là, oui, que tu t’es enfuie
entre le muret et le sureau
par la canopée qui déploie ses ailes
ostensoir d’oiseaux
J’ai mis alors mes bottes de sept lieux
pour fouiller les caves et les ruelles
descendre dans les égouts, sillonner les passages
les contre-allées, les venelles
battre l’espoir pour te trouver
Je n’ai que faire de ta fausse pudeur
avers d’un orgueil insensé
j’avance au-delà des routes
des bois
des marais
des saisons
J’avance vers ton absence
Je marche dans l’indifférence du jour
vers le pardon de la nuit pour rapatrier
ce qui en reste et l’ériger contre l’ennui
Voici venu le temps des réminiscences
Tu joues à la marelle sur les trottoirs étroits
Tu n’es plus cette petite fille qui sautille vers le ciel
Le sort t’as fait conjoncture, fouillis de lignes et de particules
où mes yeux cherchent obstinément les tiens
pour lutter l’engourdissement
C‘est le temps des allergies. Atchoum !
Le pollen a déjà encensé les jours
Et voilà que je ne perçois plus ton odeur
je ne sens plus ta présence
Fragrance bleutée, inouïe
Où es-tu maintenant ?
Les muqueuses de mon nez sont les chaînes de ma maison
Je n’ai plus de distance, au sens propre et figuré
Je navigue à vue
Feignant l’indifférence
j’écoute les bruits du matin
Et mon impatience
que je berce comme un nouveau-né
Reviens !