En 2012 est parue aux éditions de la Lune bleue une anthologie rassemblant pour la première fois quelques voix émergentes du haïku en France : dix voix singulières qui ont, depuis, fait leur propre chemin.
On y trouve Vincent Hoarau, Cécile Duteil, Stéphane Bataillon, Soizic Michelot, Loïc Eréac, Gwenaëlle Laot, Jean-Baptiste Pedini, Lydia Padellec, Rahmatou Sangotte et Meriem Fresson. Tout comme l’anthologie DUOS, 118 jeunes poètes de langue française, parue en 2018 à la Maison de la poésie Rhône-Alpes (Bacchanales 59), j’ai ressenti le besoin voire l’urgence de mettre en avant ces poètes nés à partir de 1970, très peu représentés à l’époque dans des projets collectifs. Chacun, à sa façon, a contribué à l’essor du haïku et continue aujourd’hui de le pratiquer : Vincent Hoarau a créé le premier groupe haïku sur un réseau social, Meriem Fresson a permis une redécouverte du haïbun grâce à ses recherches en littérature comparée à l’université de la Sorbonne-Nouvelle, Soizic Michelot, après la réalisation de haïkus visuels (films et expositions), se consacre aujourd’hui à la méditation et à sa diffusion à travers livres et animations…
D’une fleur l’autre, Collectif de dix haïjins nés à partir de 1970, sous la direction de Lydia Padellec, Editions de la Lune Bleue.
Je reprendrai ici une partie de la préface que j’ai rédigée pour ce livre qui reflète bien l’apport et l’expérience cruciale du haïku dans nos vies, les influences et les découvertes, les règles plus ou moins respectées, l’ouverture à d’autres arts.
D’une fleur à l’autre
le papillon voyage
le cœur léger
« D’une fleur à l’autre », d’une génération à une autre, le haïku voyage avec la légèreté d’un papillon. Poème du quotidien, originaire du Japon, le haïku apparaît en France à la fin du XIXème siècle et la première publication française Au fil de l’eau date de 1905 : les trois auteurs, Paul-Louis Couchoud, Albert Poncin et André Faure n’ont pas trente ans quand ils entreprennent leur voyage en péniche pendant l’été 1903. Aujourd’hui, quel regard portent les jeunes auteurs sur cette forme poétique si particulière ?
Nés entre 1972 et 1984, les dix haïjins de cette anthologie vivent en France et ne sont jamais allés au Japon. Pourquoi un tel engouement ?
La rencontre avec le haïku est, pour beaucoup d’entre eux, liée au hasard : en flânant dans une bibliothèque ou une librairie, un titre de livre qui interpelle, la lecture du premier haïku et la révélation ! La découverte peut se faire aussi à travers une revue – Haïkaï d’André Duhaime (pour Jean-Baptiste), une rencontre avec un poète comme Paul de Maricourt ou isabel Asúnsolo (pour Loïc, Gwenaëlle et Rahmatou), un film « Sans soleil » de Chris Marker (pour Soizic), à travers la transmission d’une mère à sa fille (pour Cécile) ou d’une grand-mère à sa petite-fille (pour Meriem).
« Je suis d’emblée tombé amoureux de cette forme d’écriture simple et dépouillée » (Vincent), car il s’agit bien d’amour – amour de sa forme brève, amour de sa fulgurance, de son « esprit », de l’émotion qu’il suscite. Avant de pratiquer le haïku, certains écrivaient déjà (poésie, nouvelles). L’apport de ce poème japonais dans leur écriture poétique a été primordial : l’influence des classiques tels que Bashô, Issa, Hosai, Chiyo Ni a été très formatrice, mais également celle de contemporains comme Damien Gabriels, Madoka Mayuzumi ou André Duhaime, et dans une autre mesure Jack Kerouac et Guillevic. D’une poésie hermétique, l’écriture du haïku ramène à la réalité et nous oblige à porter un regard plus attentif sur notre environnement et sur nous-mêmes, à nous replacer, en tant qu’être humain dans la nature, humblement. « Ecrire des haïkus, à la longue, transforme l’attitude du poète à l’égard du monde qui l’entoure. Ce n’est pas uniquement un exercice littéraire. C’est bien plus que ça. » (Vincent). « J’écris de la poésie depuis 2001 et le haïku a donc été, sans même le savoir, la forme qui m’a permis d’emprunter ce long chemin. Ma poésie s’en ressent encore aujourd’hui, même si je me suis éloigné de certaines règles pour tenter l’aventure d’un langage encore plus personnel. » (Stéphane). Pour d’autres, l’écriture n’est pas venue immédiatement : « J’ai attendu longtemps avant d’en écrire ; lorsque l’on aborde le haïku par l’étude, on se sent un peu écrasé par les modèles que l’on a lus et passer du côté de la création n’est pas si naturel. » (Meriem). « J’étais une simple lectrice. Bien des années après, des textes me sont venus spontanément dans cette forme. » (Soizic).
Sous la pluie
j’apprends
le nom des fleurs
Soizic Michelot
*
Pressant le pas
à l’autre bout du chemin
la fin de l’été
Jean-Baptiste Pedini
Comme la poésie, il n’est pas toujours facile de définir le haïku : « il doit se ressentir, se vivre » (Rahmatou). « On capture un instant, une impression. On s’arrête sur un détail, sur une scène qui nous plaît ou sur une chose insolite qui aurait pu passer inaperçue. » (Cécile). Ces « petits riens » dont parle très justement Gwenaëlle. S’appuyant sur une citation de Gaston Bachelard « La poésie est une métaphysique instantanée », Stéphane montre que le haïku « nous entraîne vers une métaphysique à partir du brin d’herbe ». Le haïku exprime une découverte personnelle, aussi instantanée qu’une photographie. Il est « un étonnement. Un étonnement de chaque instant. Il révèle l’extraordinaire dans l’ordinaire de nos vies, il lève le voile sur ce que nous ne savons plus voir. Il se saisit de l’instant présent pour en déceler sa part d’infini. » (Loïc).
Les étoiles
leur silence et le mien
si différents
Loïc Eréac
*
Esquisses –
user mes crayons
au grain de sa peau
Cécile Duteil
*
Ses côtes saillantes –
dessous, son ventre
de cinq mois
Rahmatou Sangotte
*
Dans l’évier blanc
torrent de cendres minuscules.
Débris de barbe.
Stéphane Bataillon
Concernant les règles qui régissent ce petit poème, tous s’accordent à dire que le fameux rythme 5/7/5 qui « a un sens dans l’histoire littéraire du Japon » (Meriem), n’est pas essentiel en français. « Je ne suis pas une spécialiste du japonais. Ce n’est pas ma langue, pas la façon dont j’ai appris à parler, à penser, à découper et interpréter le réel. Je ne peux pas voir le monde et écrire comme un japonais. » (Soizic). Certains haïjins, alors novices, ont débuté en respectant le 5/7/5 ; très vite, avec la pratique et l’expérience, ils s’en sont éloignés, car la recherche systématique de ce rythme pouvait « dénaturer le texte » (Jean-Baptiste). « La forme du haïku doit être dictée par son contenu. » (Vincent). Le kigo, par contre, apparaît pour beaucoup indispensable car « il nous replace dans le cycle de la vie » (Loïc). « Qu’on le veuille ou non, il me semble que le haïku est indissociable de la nature et des saisons » (Gwenaëlle) Rahmatou souligne qu’elle aime« l’adapter à son environnement assez urbain, toujours dans un souci d’authenticité. » Pour Vincent, « le kireji est un outil précieux. Il permet de donner de la densité et du souffle au haïku parce qu’il introduit du silence, de la perspective, de la suggestion et du non-dit. » La connaissance des règles peut être une bonne base pour écrire un haïku, mais c’est un art difficile : « le haïku s’affûte, s’aiguise, se travaille, se simplifie… Le plus important pour moi est d’en respecter l’esprit, l’exigence et la sincérité. » (Soizic).
Fukushima –
je pense à la fillette
en ciré jaune
Vincent Hoarau
*
Mâchouiller
la pointe des cheveux mouillés
j’aspire la mer
Gwenaëlle Laot
*
Hall d’immeuble glacé
mon nom collé
près du tien
Meriem Fresson
*
Vitre de train –
dans le sillage des gouttes
chemin de pensées
Lydia Padellec
Il est intéressant de signaler que huit des dix haïjins présents dans cette anthologie participent de manière occasionnelle ou régulière à un kukaï, échangent des haïkus via des blogs et des forums. Quelques uns animent des ateliers de haïku, aiment associer ce poème à d’autres arts comme l’art postal, le livre pauvre, la photographie (Gwenaëlle et Rahmatou), le film (Soizic). Les haïkus de ce livre sont accompagnés des gravures sur bois de l’artiste chinoise Limin Chen, rencontrée grâce à mon amie Eva-Maria Berg.
Avant de clore tout à fait cet article, je souhaiterais évoquer quelques haïjins talentueux qui auraient pu faire partie de ce collectif : Hélène Leclerc et Jimmy Poirier (Québec), Coralie Creuzet, Minh-Triet Pham et Hélène Duc, lauréate du prestigieux Prix Mainichi en 2012 et qui vient de nous quitter.
fin de journée
en un mouvement d’ailes
l’oiseau traverse le soleil
Hélène Leclerc, extrait de DUOS, 118 jeunes poètes
*
double absence
un ciel sans étoile
et ce lit si grand
Jimmy Poirier, extrait de Le bruit des couleurs (éditions David, 2014)
*
cache-cache avec ma fille –
une pâquerette
sous l’arbre centenaire
Coralie Creuzet, extrait de Mille soleils (éditions unicité, 2017)
*
transparents
le souffle de la brise de mer
ailes de libellule
Minh-Triet Pham, extrait de Reflet aveugle (éditions unicité, 2016)
*
solstice d’hiver –
j’emporte sous mes paupières
l’odeur des clémentines
*
libérée du gel
l’haleine du pissenlit
ennuage l’allée
*
ma main ouverte –
une étoile dans le ciel
de la fourmilière
Hélène Duc, extraits du Silence de l’autre rive (éditions unicité, 2014)
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Pour Hélène Duc, partie rejoindre les étoiles le 8 octobre 2020
- Décharge 185 - 6 juillet 2023
- Orianne Papin, Poste restante, Marie-Laure Le Berre, Ligne - 6 juillet 2023
- Pierre Tanguy, Poètes en Bretagne - 21 décembre 2021
- Orianne Papin, Poste restante, Marie-Laure Le Berre, Ligne - 5 janvier 2021
- Génération jeunes haïjins, D’une fleur à l’autre - 6 novembre 2020
- Décharge 185 - 8 septembre 2020