L’œuvre poétique de Geneviève Bertrand ressemble à une longue quête qui remonte de l’enfance, s’inscrit dans les lieux originels. La poète semble avancer, lestée d’un poids qui ne s’allège que dans le mouvement de la marche. Sur ce chemin elle n’avance pas seule, convoque des compagnes de route : figures archétypales du féminin, mythes toujours vibrants, femmes artistes blessées, femmes/sacrées/en majesté/ trophée/violée/chantée/agenouillée/enfermée/dé…chantée…C’est avec elles qu’elle célèbre les origines/le mystère de la fécondité. Il n’est pas anodin si ce recueil est dédié à Antigone, celle qui a dit « Non » en opposition à Créon, celle dont le cri a raisonné dans les rues de Thèbes.
Geneviève Bertrand a participé à l’émergence d’un auteur tricéphale, sous le nom de Malibert. « Demeterrre », le dernier livre publié en 2008, faisait une large place aux figures mythiques du féminin.
Geneviève Bertrand, À bouche décousue,
Éditions unicité, 2018
Geneviève Bertrand s’inclut sans nul doute dans ce « Elle » qui ouvre le premier poème donnant son titre au recueil. C’est au cri primordial que la bouche décousue/s’apprêtait à livrer passage.
Poète du corps, celle qui a l’habitude par ailleurs de travailler avec des chorégraphes, a eu envie de mettre en mots la puissance des créations de Pina Bausch en nous donnant à entendre le bourdonnement obsédant/prologue du printemps et de son sacre.
Des femmes
Longs corps pâles sous leurs tuniques
Pieds nus
leur adhérence à la glaise
La nudité remonte le long des corps mêlés
comme anonymes
Dans la dernière partie du recueil, la poète s’extrait de ce compagnonnage féminin et le “Je” surgit.
Elle sait, par expérience, que La parole est à l’intérieur/Enclose de silence, mais aussi que ce mot Chamane, ce mot guérisseur, qui vient de plus loin, difficile à capter, allège l’âme et le corps.
Elle enjoint à Dire/ Dire le dit qui se refuse/Réfugié dans l’ignorance/à sa lisière. A délivrer chaque matin les gestes et les mots/ englués d’ombre/Les nettoyer du placenta de la nuit, afin de donner enfin, vie au corps/corps aux mots.
Car l’écriture pour Geneviève, comme la marche, comme le retour aimanté vers l’arbre tutélaire, est un impératif pour être, pour faire advenir la beauté et son corollaire, la vie. Il y a longtemps qu’elle a décidé de Ne pas choisir, de tout prendre par devers soi/jusqu’à découdre les limites. Et puisqu’elle nous y invite, nous sommes prêtes à l’accompagner nous aussi dans ce tressage de mots qui lient en gerbes sororales, depuis la nuit des temps et pour longtemps encore, la destinée des femmes.
À bouche décousue
Elle marchait
Regard aimanté à la césure de l’horizon
Au ventre
le poids gravide d’une nécessité
…
Une falaise habitée d’oiseau
s’ouvrit au repos d’une nuit
Moment réconcilié comme sève féconde
Fragments d’enfance émergés à la surface
recousus à l’intime du paysage
…
Alors
Elle lava d’eau fraîche ce cri avorté
Lui rendit justice
***
Attente de braise
Écrire pour apaiser la nuit
son tumulte farouche
Vouloir juste Cela
la caresse en plénitude du soleil et du vent
la volupté des draps rugueux
Me lever le matin Ouvrir les volets à la lumière
Attendre le « Visiteur qui jamais ne vient »
Celui du Vishnu Puruna
Visiteur demeuré suspendu à l’interstice
et par qui l’Attente reste légère
en alerte
Quête inlassable Jamais comblée
toujours jeté hors de soi
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