Pour réfléchir à son destin la petite Geneviève devenue grande choisit d’écrire avec simplicité et sobriété : ” Un nom / Un verbe / un complément “. Elle procède souvent par associations d’idées et travaille instinctivement, dans la légèreté du rythme, sur les sons — ” Vienne “, ” lettres “, ” voix ” — pour évoquer les sensations d’autrefois : ” Les grands prés inondés où les vaches appelaient : et vous les entendiez “, ” les petits communiantes en robes de mariées “, traversant ainsi les époques, les pays, les religions et les régions.
Dès le début du livre, une quête s’opère à l’aide de questionnements qui concernent la mère, sa personnalité mais aussi la relation de l’enfant avec elle. Elle qui est la référence a une identité mal établie et mystérieuse. Corse ou auvergnate ou même ” La japonaise “, il s’agit de la définir. La question est d’autant plus importante que les parents sont bien les fondateurs à partir desquels on peut construire sa vie. Au point qu’une sanction grave passe par la mère : ” Geneviève, ta voix n’est pas assez forte ” et que se fait un transfert du père, tel un mythe, dans la personne mythique de Max Von Sydow. C’est avec une très belle page sur le cimetière, lieu symbolique de l’inquiétude, qu’est mise en scène ” la désespérance ” au moyen d’objets chargés de sens comme ” le petit angelot de plâtre ” et ” les brocs alignés “. L’ultime question est, de toute évidence, celle de la mort qui, avant d’avoir été celle du père et du petit frère, semble préexister : ” Sommes-nous déjà morts avant d’avoir été “.
Mais, pour parler de la mère et de beaucoup d’autres choses, les mots manquent : ” D’où vient que je n’ai plus de langue ” et le sujet principal de la réflexion est ici celui de la parole autant écrite qu’orale.
Il faut dire que le problème est justement celui de la langue pour la fillette vivant le bilinguisme jusque dans la graphie quand, par exemple, en Moselle, sur une carte française, l’écriture, comme sur les cahiers d’école, est gothique. Celle-ci est la marque de l’identité et l’enfant est ainsi heureuse d’avoir la même façon d’écrire que son père. Et, à l’oral, après avoir, un jour, récité elle peut dire ” Je suis Victor Hugo “. Ce moment fondateur d’un destin révèle l’importance de la parole poétique pour celle qui, dépassant la sanction maternelle, sera un jour à Radio France ” une voix dénarcissisée — bravo ! — mais malheureusement triste ” et qui à l’occasion du livre y réfléchit. Il s’agit, en effet, des ” débris de langue qui volent / sous les ruines maternelles “.
Alors de nombreux petits récits, comme celui du poème ” A Villequier “, se succèdent-ils jusqu’à celui, mis en abyme et écrit sous forme de dialogue, de la vie de la mère par elle-même. Ce sont les drames familiaux, la France d’autrefois avec la guerre, le travail d’infirmière et la lutte des femmes à Montfermeil puis à Paris. Enfin, ont lieu, avant que ne se ferme ce long passage, la naissance des enfants et celle de Geneviève.
Pour finir, deux Voix font écho à la parole de la mère. Ce sont celles de deux soeurs qui cautionnent un passé raconté ” dans la lignée tragique “. Et, par une dernière mise en scène que clôt théâtralement un coup de fusil, une ” Voix de fin ” évoque cette langue au double usage qu’il faut ” apprendre à parler ” pour pouvoir peut-être l’écrire.
Dans Une petite lettre à votre mère Geneviève Huttin a montré, par la délicatesse et la variété d’une expression généreuse, qu’elle est pleinement capable de réussir les deux.
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