Georges de Rivas : La Beauté Eurydice (extraits inédits)
Orphée à Eurydice
Je t'ai reconnue, Eurydice vêtue de ta robe éthérée
A tes lèvres de rubis et tes joues d'aube empourprée
Comme l'enfant prodigue entend l'angélus des prés
Dans les trilles d'un oiseau accordés à un Agnus Dei
Je t'ai reconnue plus vivante que la Diane des nuées
A la pomme de tes joues qui tel un feu de Poméranie
Illuminait l'éther du poème au regard du Dieu Agni
Je t'ai reconnue promesse et présence d'altière poésie
En cette mer pourpre où frénésie ourlée de hautes lames
L'Amour versa ce vin d'or scellant l'union de nos âmes
A son vaisseau qui voguait au gré d'une sainte fantaisie !
Et d'une amphore où rêvait à fond de cale ce pur diadème
Dont tu fus parée, reine du ciel de cristal et grâce du poème
Tu arbores, amour à toute rive la couronne à la lumière d'or !
Ô femme aimée, mon totem tatoué au vélin de la louange
Nue- parure et fleur du ciel au phare de ton regard d'ange
Tu vis au dessus de cette fange où naissent les nénuphars
Et t'élèves plus haut, fleur de lotus qui veille sur les eaux !
Tu es pureté du corps et de l'esprit, âme très limoneuse
Tu règnes, seule plante levée au dessus des eaux boueuses
Eblouissante sortie du fleuve insomnieux de la Nuit
Lotus sur les marais, lotus et luth vibrant de beauté inouïe !
Je suis habité par ta haute présence, oriflamme de l'Absence
Tu es autel sacré à sa divine flamme où s'allume ma flamme
Et l'éclat de la lumière-amour, c'est dans la nuit de tes yeux
Que je l'ai vue, Soleil de Minuit réverbérant le silence des cieux !
Les augures de la Montagne d'or avaient prédit
L'amour sorcier ou l'amour fou et sa rose inédite
Semée pour ceux que le mystère a choisi d'aimer
La Rose de l' Eden exhumée des cendres de l'Oubli
Qui n'est pas née de l'écume ni du sein d'Aphrodite
Or voici que tu t'es endormie aux rives du futur
Voici que tu demeures rêvant parmi les limbes
Muse nimbée de neige et d'un cortège d'augures
Et mon cœur a suivi cette route pavée d'oracles
Où rendu aveugle par les rayons ardents de l'Amour
J'ai vogué hors du temps et je suis devenu Voyant
O puits du divin silence, quelle étoile guide ma nuit ?
C'est l'étoile de l'Amour d'où s'élève cette ode nuptiale
Car Alphée ne suis-je poursuivant la nymphe Aréthuse
En forêt de Symphale, mais Orphée en quête de sa Muse
Eurydice, nymphe des forêts et Dryade à la grâce royale
Et l'étoile où Apollon me plaça, otage de son divin refuge
A neigé plus de larmes qu'il n'en fût aux eaux du Déluge !
Colombe immaculée, mon amour, vole vers l'arche de Noë !
Ode tissée de haute lice, ma lyre aux volets d'une onde pure
Et ses visions vermeilles mieux que le violet en l'iris de Suse
Chante aux violons d'une langue dont ta voix d'ange est l'épure
Or Alphée ne suis-je chassant Aréthuse aux portes de Syracuse
Mais Orphée, appelant Eurydice, son épouse et éternelle Muse
Et j'ai rêvé d'une aile d'or qui m'emportait vers cet autel nuptial
Où sanctifié notre amour laissa trace de sa grâce immémoriale
Noétique est la voix des amants élevée en cette nuit chaotique
Elle est celle de l'Âme du Monde qui tranche le nœud gordien
De ténèbres qui fermèrent leur ouïe au chant de l'ange gardien
Or j'ai trempé mes lèvres dans le fleuve aux ondes chamaniques
Et je bois à ces eaux lustrales où tu nageais, naïade talismanique !
John Roddam Spencer Stanhope - Orpheus and Eurydice on the Banks of the Styx
Eurydice
J'ai vu la Mort à face de carême, son visage blême aux yeux de marbre de Carrare qui descendait depuis l'Anneau d'Oort sur son carrosse macabre rempli de spectres glabres et blafards comme l'aura des lunes hivernales !
J'ai vu la Mort au crâne de céruse qui voguait sur son coursier aux crinières de cendres guidé par des candélabres nimbés de nuit, leurs sept yeux troués par les sept sceaux des ténèbres !
La Mort et son cortège de ruses, ravie jadis de voir la couronne d'épées au front du tyran de Syracuse
la mort qui laissait échapper de sa Bouche d'Ombre des myriades de voix de Cassandre
Et leur timbre strident de striges, pareil à l'effet torpide du curare, plongeait dans une profonde sidération les neuf Muses pétrifiées en leur haute Constellation !
J'ai vu la Mort en son apparat de ténèbres ouvrant leurs yeux d'or trompeur et sans carat dans les cieux vides
la mort surgie sur son traîneau de plomb où traînaient des plumes de palombes calcinées et ses yeux de sabre marbré où pleuvaient des larmes de sang jaillies aux orbites nues des Pleureuses et des flocons de neige noire aux orbes de sphères sans mémoire !
Et sur la vaste ellipse d'un astre aux apsides anoxiées deux foyers vides comme des pupilles de mort en coma
Et d'autres astres troyens exorbités exhibant encore la poussière d'une apocalypse à leur chevelure de trichoma !
J'ai vu un cortège d' astéroïdes troyens échevelées qui, propulsés par l'ire de titans resurgis, hélitroyaient des tyrans aux masques de démons fomentant des séismes et des autodafés !
Et d'autres entités qui hantaient depuis la nuit des temps le seuil d'éternité où se cache la Beauté
Sombres divinités au service du Malin qui troublent les mânes des morts, telle la sorcière qui dans l'opéra Orlando Furioso vole les cendres de Merlin !
J'ai vu encore depuis la Voie lactée une route lointaine encombrée d'ombres pensives qui tenaient conseil avec le peuple des elfes et l'Esprit des forêts
Et tous appelaient depuis l'héliopause où s'initiait de très grands souffles oraculaires
Tous appelaient le retour d'Orphée, le poète inspiré par l' Ether !
J'ai vu une âme couleur fleur de pécher guidant la nuée de génies et voyants qui pressaient le pis d'or vermeil d'une étoile naissante à peine sortie de sa couche embrasée.
Et veillant avec Hölderlin sur l'alphabet divin, Rimbaud chaussé des cothurnes de foudre qui dansait sur les feux des novas ayant trouvé la langue divine où se révèlent toutes choses au monde
J'ai vu Rimbaud exhaussé aux portes du firmament, arborant la grâce de la beauté en son âme nimbée du lys blanc, et son cœur très ardent saisi par l'éclair du pur amour où embaumait la rose rouge qui l'appelait depuis la Terre !
Orphée
Ô Génie de Rimbaud, en tes abysses encore vertes fuyant l'ennui des villes et des salons littéraires au fond d'obscures Abyssinies
Enfant des froides Ardennes parti pour le golfe solaire d' Aden où tu rêvas dans ta solitude abyssale d'ange déchu à l'Eden que le siècle te déroba !
Et depuis ton trépas, tu es devenu, âme très rebelle, un enfant de Marseille que la Vierge sur les Hauteurs pleura deux fois à ton entrée dans le port
Car tu portais à tes membres le poids de ta ceinture d'or et dans ton cœur de Voyant, le rosier arborescent du chant éternel, la merveille des Voyelles !
Ô Poète, nous avons vu ta ferveur de comète incandescente muée en iceberg des nuées et neiger des larmes de glaciers à tes joues halées d'un rayon lumineux
et nous t'avons suivi génie aux semelles d'or sur la route embrasée du crépuscule cheminant vers l'étoile de l'Amour, lumière incréée où le Christ au sourire t'attendait !
Eurydice
J'ai vu près de la mort au regard irisé de marbre et aux pupilles d'albâtre, la splendeur d'une lumière épousant le fleuve de la Voie lactée constellée d'un cortège d'âmes qui voguaient sur les violons de vents solaires
Leurs cordes stellaires vibraient au souffle du zéphyr, archet gréé d'un air très pur à nos paupières closes et notre ouïe enneigée !
Or la mort livide pareille au sang où infuse le curare contemplait muette le passage rituel de berceaux sidéraux nimbés de nobles idéaux où exultait le rire angélique d'enfants, tels les rayons du nouveau soleil levant
La mort aux orbites trouées d'abîmes où couvait la braise d'un feu ancien, regardait, comme saisie d'hypnose l'Espérance du monde voguer vers la terre, en ces âmes d'enfants vêtues de leur tunique d'or, leur unique corps de lumière !
Récitants : Carolyne Cannella et Georges de Rivas