Dans la série pre­mière pub­li­ca­tion, une des dernières livraisons des édi­tions Tit­uli. Géral­dine Geay pro­pose une parole sin­gulière, mise en vers selon la même régu­lar­ité, d’une den­sité brève, sèche et con­cise. Cela ne saurait mieux s’imposer en désavoeu de notre monde uni­forme et uni­voque, en dépit de ses cir­con­vo­lu­tions sophis­tiques pour l’atteindre. La par­tic­u­lar­ité de son expres­sion, inhibant une élo­quence frontale, tient juste­ment dans ce para­doxe incon­tourn­able : le fait que de tels vers (qua­si télé­graphiques) n’empêchent en rien une cer­taine assur­ance rhé­torique, sous un angle lyrique (cet autre ver­sant de la langue) très per­son­nel, incar­né. « Que la brute prononce à mots / Francs comme ses pier­res / Ses nerfs, ses chutes (…) » Et l’écart sug­géré entre rythme et ton, typogra­phie et réso­nance qui s’en échappe con­stitue la mesure de cette expres­sion. La parole puise dans un champ lex­i­cal sim­ple pour renou­vel­er des thèmes aus­si vieux que l’intime con­fron­té aux événe­ments mar­queurs de l’histoire en cours : « Ils n’étaient en rup­ture de rien / Ni ne pen­saient à éviter l’Histoire (…) J’ai agran­di vos nom­bres, j’ai le droit / De ne voir du reste du monde qu’un long dvd. (…) Des siè­cles d’espoir que le cli­mat change (…) / Mais nous sommes bien­tôt, à la fin de l’ouest (…) A courir plus vite que les policiers / L’aurore dans les yeux nous entrons dans la nuit (…) Tous douteront que Kolia soit Kolia / Et que les sculp­tés man­quent aux sept mil­liards (…) ». De temps à autre, Géral­dine Geay relaie la cul­ture pop­u­laire via ses fig­ures célèbres ; mais dont le vrai patronyme, le nom de l’interprète qui l’endosse ou la feinte prox­im­ité avec l’auteure révélés, les ramè­nent à leur human­ité, dans leur force pré­caire. Tels qu’Eminem par exem­ple (chanteur de rap) : « Si Mar­shall Math­ers lisait / Comme je ne peux pas / Le bat­tre et l’adorer (…) » ou « le Peter Weller de qua­tre-vingt dix, en Bur­roughs » et encore « Javier Bar­dem m’a vue / A pro­posé de me pis­ton­ner / Et m’a mor­du les doigts ». Certes le mot ici n’est pas chose ni refuge. Il ne se gon­fle d’aucune matéri­al­ité – qui plus est orne­men­tale. C’est la syn­taxe qui gère la tem­po­ral­ité des fig­ures en mou­ve­ment (« Presque des slo­gans dont rire ») ; dans un temps émo­tion­nel court trans­for­mant la lucid­ité de l’auteure en un chant de nerf, (à flux) ten­du, rapi­de où par­fois le verbe est absent pour mieux en extraire la sub­stan­tive moelle : « Un soir de douze heures / Bleu-gris / Par­mi les nuages, un seul mobile / Et en fin de ban­lieue / Le son de l’éclair man­qué (…) ». Ain­si, dès la pre­mière lec­ture, la fraîcheur et la spon­tanéité de son style s’imposent. Ici et là, la con­tem­pla­tion fig­ure une pause : « Elle prend mon œil à l’autoroute / Veut l’accident (…) Les visions soli­taires se main­ti­en­nent / Mieux défendues, sauf dites / Comme un réel voulu / Usent, ou les user / En wag­ons, les locos. » Si le mot n’est pas chose, objet, peut-être a‑t-il valeur d’échange : entre passé et présent, monde chao­tique et sen­si­bil­ité irré­ductible. « Mille mots reçus qui n’étaient pas pour moi / Mots dédiés à des morts sourds / Buveurs noc­turnes, faux-amis (…) Mots mal don­nés, bien pris / Comme des Jésus pas désirés / Nais­sent, nais­sent / Où l’intention se crashe. » Les immau­dits seraient donc pour Géral­dine Geay, aus­si bien les maux dits soulagés par leur accep­ta­tion que les mots impos­si­bles à maudire for­mant des sen­tences d’entre lesquelles s’échappent d’étranges échos insur­rec­tion­nels lancés à tra­vers le (dis)cours de son temps. C’est ain­si que la poésie mine de rien tra­verse le champ non défi­ni de l’(a)politique. Les Immau­dits seraient donc les mar­ques de cette lucid­ité qu’il ne faut pas hésiter à nom­mer : douce folie de vivre – soumise à ses trac­ta­tions. Si l’on dit que les geais imi­tent les bruits qu’ils ne com­pren­nent pas, nul doute que cette Geay-là échappe à la règle. 

 

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Mazrim Ohrti

Mazrim Ohrti est né en 1966. Il a gran­di en ban­lieue parisi­enne. Il est l’auteur de plusieurs chroniques en revues : Le Nou­veau Recueil, Poez­ibao, et Europe, prin­ci­pale­ment. Il vit en Bretagne.